Israël : même de Gaulle était isolé…

Il y a quarante ans, la guerre des six jours

« Les Egyptiens attaquent Israël », titre France-Soir ce 5 juin 1967. En fait, à l’heure où le quotidien sort sa première édition, c’est Israël qui a pris l’initiative, détruisant au sol l’aviation égyptienne. Ainsi commence une « guerre préemptive » (lire « Empire, stratèges et conflits ») au terme de laquelle Israël aura quadruplé son territoire, occupant la Cisjordanie, Jérusalem-Est, le Sinaï et le Golan. Le mensonge est si gros que, pour sa seconde édition, le journal de Pierre Lazareff rectifie – si l’on ose dire – le tir : « C’est la guerre au Moyen-Orient », affiche désormais sa « une ».

Archives du Monde diplomatique

Caricatural, cet exemple symbolise l’attitude de l’essentiel de la radiotélévision et de la presse face à la guerre des six jours : plusieurs mois durant, la fin – la défense d’Israël – a justifié les moyens – jusqu’aux manipulations les plus flagrantes…

Dans les mois qui précèdent le conflit, les médias ont présenté les décisions du président égyptien Gamal Abdel Nasser (lire « Erreurs tactiques, choc de stratégies ») comme une tentative d’annihilation de l’Etat juif. Même Le Canard enchaîné s’est laissé aller : le 31 mai, sous le titre « Vers la solution finale du problème d’Israël », il écrit que « le Raïs (nom égyptien du Führer) déclare solennellement, devant les représentants de la presse mondiale, que si Israël bouge seulement le petit doigt, il sera procédé à sa destruction totale, sans préciser toutefois par quels moyens (fours crématoires ? chambres à gaz ?) ».

A l’heure de l’offensive israélienne, on l’a vu, c’est le monde arabe que les journalistes accusent d’agression. Le 6 juin, le quotidien socialiste Le Populaire titre encore : « Attaqué de toutes parts, Israël résiste victorieusement ». Et, à l’issue du conflit, cette posture prétendument défensive justifiera les conquêtes de l’armée de Tel-Aviv. Combat célèbre, le 8 juin, « Le fantastique bilan de l’armée d’Israël ». Le même jour, dans Le Figaro, Yves Cuau écrit : « Il semble bien ce soir que la victoire de l’armée de David soit l’une des plus grandes de tous les temps et que jamais dictateur n’ait reçu si vite une pareille “volée”. »

Cette manipulation n’est pas sans effet sur l’opinion, dont la mobilisation en faveur de la politique d’Israël va croissant tout au long de la crise et de la guerre. Des milliers de manifestants défilent à Paris et dans de nombreuses villes, avec, au premier rang, la classe politique au grand complet (sauf le Parti communiste français [PCF] et l’extrême gauche). « 50 000 “fans” au super show d’Israël », se réjouit Paris-Jour le 1er juin, insistant sur la présence de Johnny Hallyday, tandis que L’Aurore annonce : « Impressionnantes manifestations en faveur de la nation menacée ».

Publié en pleine page par la quasi-totalité des quotidiens, l’appel du Comité de solidarité française avec Israël rassemble des centaines de signatures – Serge Gainsbourg, Juliette Gréco, Yves Montand, Simone Signoret et Michel Piccoli côtoient Raymond Aron, Michel Droit, Maurice Druon, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Une autre pétition, lancée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, et qui rassemble essentiellement des intellectuels et des artistes de gauche, remporte aussi un grand succès. Dans Le Monde, le 14 juin, le professeur Maurice Duverger observe : « L’enthousiasme d’une grande partie des Français pour la cause israélienne met le PCF en situation difficile, même à l’égard de ses propres partisans. »

Le président de la République lui-même a du mal à se faire entendre : « L’Etat qui le premier emploierait les armes n’aurait ni l’approbation ni, à plus forte raison, l’appui de la France », a déclaré le général de Gaulle au conseil des ministres du 2 juin. Logiquement, dès que le conflit éclate, il annonce un embargo sur toutes les armes à l’encontre de tous les belligérants. Quelques mois plus tard, dans une conférence de presse – dont on n’a retenu que la phrase controversée présentant les Juifs comme « un peuple sûr de lui et dominateur » –, il ajoutera qu’Israël « organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions ; et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme ».

Avec le recul, cette analyse a des allures de prophétie. Mais, à l’époque, elle choque. Jusqu’au Nouvel Observateur, qui, le 7 juin, titre « Pourquoi de Gaulle a lâché Israël » et explique : « La France gaulliste n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts. » Il faut dire que le choix du général rompt avec deux décennies de soutien inconditionnel aux dirigeants d’Israël, que la France a permis de se doter de la bombe A, puis H. Chez les uns, il se heurte au sentiment – légitime – de culpabilité engendré par le souvenir de la participation active de Vichy au génocide. Chez d’autres, il gâche la joie de la revanche sur « les Arabes » qu’Israël offre aux nostalgiques de l’Algérie française.

Il faudra l’invasion du Liban et les massacres de Sabra et Chatila en 1982, puis l’Intifada des pierres à partir de 1987, pour que les Français prennent nettement leurs distances avec Israël et appellent de leurs vœux la création, à ses côtés, d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale. L’Elysée les aura précédés, les successeurs du général de Gaulle – de Georges Pompidou à M. Jacques Chirac – ayant fait leur sa politique proche-orientale. En ira-t-il de même avec M. Nicolas Sarkozy ?

Dans les médias de 1967, à la seule exception de la presse communiste et d’extrême gauche et de Témoignage chrétien, un mot frappe par son absence : « Palestinien ». Des principales victimes de cette guerre, qui complète la Nakba (« catastrophe ») de 1948, la France ne sait rien, pas même leur nom…

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