Israël : la communauté internationale peut-elle peser ? Entretien avec Ilan Pappe (III)

“La communauté internationale et les activistes ne peuvent pas remplacer le mouvement de libération, les Palestiniens doivent se libérer eux-mêmes, personne ne peut les aider à ça, même pas moi. Par contre, nous pouvons et nous devons faire preuve de solidarité avec leur libération. Cette solidarité peut être montrée sur le terrain, mais surtout en agissant dans le pays d’où les militants viennent. Il s’agit de trouver le juste équilibre.”


Raffaele Morgantini : Si, comme vous l'avez dit dans l'interview précédente, le soutien de l'Union européenne (UE) et des Etats-Unis ne va pas s'arrêter, qu’est-ce que la communauté internationale pourrait faire ou qu’est-ce qu’elle devrait changer afin de forcer Israël à exécuter et respecter les normes internationales ?

Ilan Pappé : Nous avons besoin d’un printemps européen. Dans le sens où nous savons tous que si les responsables politiques européens reflètent ce que les européens veulent, la politique des pays européens serait beaucoup plus dure envers Israël. Aujourd'hui, les gouvernements ne reflètent pas ce que les gens veulent ou pensent. Donc la question est de savoir comment nous pouvons transférer les sentiments pro-palestiniens de la population européenne aux gouvernements européens. Soit dit en passant, c’est la même situation aux Etats-Unis.

Je ne pense pas que les Américains sont plus pro-palestiniens que les Européens, mais ils commencent à en avoir assez d'Israël et ils voudraient que les Etats-Unis se concentrent sur leurs propres problèmes internes. Mais encore une fois, les dirigeants politiques n’expriment pas ce souhait. Nous avons eu le même problème en Afrique du Sud, il a fallu attendre 21 ans pour le premier acte civil européen contre l'apartheid sud-africain, qui a pris la forme de sanctions économiques. Donc, c'est un processus très long. Ce que la communauté internationale doit faire c’est de trouver des moyens pour convaincre ses dirigeants politiques qu'il est à la fois ethniquement et politiquement préférable d'adopter une politique beaucoup plus dure contre l'occupation illégale israélienne. L'UE est un bon exemple, car ils ont des liens et des relations solides avec Israël, ils les traitent essentiellement comme un membre de l’UE. Lorsque la campagne de boycott a commencé, c'est l'UE qui a d'abord essayé de convaincre Israël d'agir d'une manière différente. C'était juste un petit début, il reste encore beaucoup à faire, mais pour moi, c’est la bonne voie ; un processus qui part de la base vers les élites politiques.

Il ya beaucoup de politiciens européens qui aimeraient qu’Israël soit membre de l’UE. Pensez-vous que cela est possible, et si oui, où cela mènera-t-il ?

Peut-être que c’est une bonne idée car alors Israël aurait besoin de changer toute sa politique gouvernementale, qui actuellement viole de nombreuses lois de l’UE. D'autre part, cela pourrait être un problème, car les différents gouvernements de l'UE pourraient être amenés à accepter la cruauté et les violations d’Israël. Je pense toujours que la meilleure stratégie consiste à expliquer à ces politiciens pro-israéliens que l'histoire les jugera vraiment sévèrement à cause de leurs positions. Le problème est que les politiciens n'ont pas tendance à regarder au futur. Le seul moyen est de leur expliquer que, lorsque cette situation changera (dans notre cas, lorsque l'occupation se terminera et que la Palestine sera libre), ils seront du mauvais côté dans les livres d’histoire, parce que c’était des politiciens qui soutenaient un état d’apartheid.

C’était pareil pour les hommes politiques qui soutenaient Benito Mussolini. Si les politiciens se sentent à l'aise d'être du mauvais côté, c'est ok. Mais s'ils veulent être représentés dans les livres d'histoire comme des personnes œuvrant pour la paix et la justice, ils doivent changer leurs positions et leurs liens d’amitié avant qu'il ne soit trop tard. Israël a été maintenu en vie car il sert un grand nombre de d’intérêts stratégiques et militaires pour l’Occident, pas pour sa moralité. La réalité n'est pas la façon dont les chrétiens sionistes voient le monde, pensant qu’Israël doit être soutenu car il représente une certaine valeur morale. Ce type de soutien est dépassé aujourd’hui, et c'est aussi grâce au travail de la campagne BDS, c’est l'une des rares victoires que nous avons eues.


De quelle manière la solidarité internationale est-elle utile ? Quel est ou quel devrait être le rôle des activistes internationaux en Palestine ?

Je pense que l'aide internationale, qui est un peu différente des mouvements de solidarité, est souvent problématique. D'une part, ça permet aux Palestiniens un certain niveau de vie, mais d’un autre côté elle paie en quelque sorte pour l’occupation, pour les erreurs et les violations d’Israël. Il y a d'autres organisations, comme par exemple le Mouvement de Solidarité Internationale (ISM), qui est plutôt différent : il n'est pas question d'argent mais de personnes qui viennent aider d'autres personnes. Tant que cette injustice perdure, je pense qu'il est vraiment important que ce genre de mouvements continue d’affluer. Tous les militants internationaux qui viennent en Palestine devraient être des VIP. Je veux dire par là qu'ils devraient Visiter, ils devraient Informer et ils devraient Protester. Toutes les organisations internationales sérieuses devraient faire ces trois choses en même temps, mais peut-être parfois une chose moins que les autres, en raison des circonstances particulières ou du manque de ressources, et c'est dommage. Je pense qu'il est essentiel de les faire toutes en mêmes temps.

Je pense que le rôle principal des activistes internationaux est d'être les militants du monde extérieur. J'ai visité une fois le Pays basque, et j'ai remarqué qu'il y avait une distance entre le mouvement de solidarité et le mouvement de boycott, ce qui est dommage parce qu'ils doivent absolument travailler ensemble. Ce qu’ISM voit en Palestine c’est le résultat du travail du mouvement BDS en dehors de la Palestine, et cela fonctionne. Il ne s’agit pas seulement d’une question de solidarité sur le terrain, qui est très importante, mais aussi de la solidarité qui vient de l'extérieur.

La communauté internationale et les activistes ne peuvent pas remplacer le mouvement de libération – les Palestiniens doivent se libérer eux-mêmes, personne ne peut les aider à ça, même pas moi, par contre nous pouvons et nous devons faire preuve de solidarité avec leur libération. Cette solidarité peut être montrée sur le terrain, mais surtout en agissant dans le pays d’où les militants viennent. Il s'agit de trouver le juste équilibre. Je me souviens de l'un des premiers groupes de solidarité venus à Jénine, après le terrible massacre de 2002. Le fait que quelqu'un soit venu, était intéressant, sympathique et encourageant, et signifiait beaucoup pour les gens.

Nous pouvons voir tous les efforts que les Israéliens font pour vous empêcher de venir ici, et je pense que c'est une bon signe – preuve que vous faites quelque chose de bien. Je serais inquiet si demain Israël déclarait que tous les militants internationaux sont les bienvenus – cela signifie que vous ne faites pas quelque chose de bien.

Qu'en est-il de la campagne BDS, pensez-vous que le boycott universitaire et culturel pourrait être un instrument efficace contre l'occupation israélienne ?

J'ai toujours été un grand partisan du mouvement BDS. Comme je l’étais pour l’Afrique du Sud. Cela jouera également un rôle important dans l'évolution de la réalité sur le terrain ici. Mais c'est un long processus et nous devons être patients.

Dans le cas d’Israël, le boycott universitaire et culturel est particulièrement important, car Israël se considère comme un pays européen et démocratique au milieu du monde arabe. «Européen» non pas par rapport aux relations économiques qu'il entretient avec l’Europe, ou parce qu'il vend des tomates à la Hollande – parmi tant d'autres, il a également de solides relations économiques avec la Chine, la Russie et l'Afrique – mais parce qu'il fait partie de l'élite culturelle et universitaire européenne. Si les institutions universitaires et culturelles européennes déclarent ne pas vouloir travailler avec les institutions israéliennes en raison du comportement d’Israël, je pense que cela enverrait un message très fort.

Le boycott culturel et universitaire (contrairement au boycott économique, qui ne concerne que les territoires occupés) a un impact énorme et direct sur la société israélienne, et c'est seulement quand cela arrive que les israéliens parlent de ce qui se passe en Palestine. Par exemple, la seule fois où la presse israélienne – et parfois les médias internationaux aussi – parle de l’occupation, c'est quand quelqu'un comme Stephen Hawking déclare qu'il va boycotter une manifestation organisée par des personnalités israéliennes. Avant la propagation du mouvement de boycott, c'était seulement quand il y avait des attentats à la bombe en Israël que les Israéliens se souvenaient qu'il y avait une occupation. A présent, cette question est soulevée plus régulièrement, quand un célèbre groupe de pop ou un écrivain refuse de venir, ou quand une importante université aux Etats-Unis annonce ne pas vouloir travailler avec les universités israéliennes. Ce genre de boycott est vraiment important, et c'est la chose essentielle que la communauté internationale peut faire.


Les mouvements internationaux de solidarité pensent parfois qu'ils devraient avoir une opinion concernant, par exemple, la solution, d’un état ou (de plusieurs) états, mais en fait cela ne les regarde pas. Il appartient aux Palestiniens et aux Israéliens de décider comment ils vont vivre. Ce que les mouvements internationaux peuvent faire c’est de créer les conditions pour un dialogue raisonnable. Mais nous devons mettre fin à l'occupation avant de commencer à parler de paix. La ruse israélienne a depuis de nombreuses années consisté à essayer de convaincre le monde que la paix mettra fin à l’occupation. Mais nous savons qu’en réalité cela va dans l'autre sens : nous mettons fin à l'occupation et ensuite nous commencerons à parler de la paix. Je pense que le mouvement BDS et les mouvements de solidarité avec la Palestine sont tous des organisations populaires qui n'acceptent pas le diktat israélien «La paix mettra fin à l’occupation ». Ces organisations ne font pas partie des négociations de paix mais œuvrent à mettre fin à l'occupation et à l’apartheid.

Que diriez-vous aux personnes qui croient que les événements culturels et sportifs ne doivent pas être politisés ?

Eh bien, ce type de boycott a été très efficace dans le cas de l'Afrique du Sud. En effet les Sud-Africains blancs n'ont commencé à penser à l'apartheid que lorsque les grandes équipes sportives de l'Afrique du Sud n’étaient pas invitées à des manifestations sportives internationales. Par ailleurs, je pense que le sport est politique. Par exemple, l'année passé Israël a accueilli le tournoi de football de l'UEFA des moins de 21 ans, et l'équipe de football palestinien n'a pas été invitée. Les joueurs Palestiniens de Gaza ne seront même pas en mesure d'aller en Israël et de voir le tournoi. Le sport est politique si ce n'est pas accessible à tout le monde d'y participer.

Les universités également sont clairement politiques. Les universitaires israéliens, lorsqu’ils sont à l’étranger, pensent qu'ils sont les ambassadeurs d’Israël. Les synagogues à l'étranger se voient comme les ambassades d’Israël. Lorsque les universitaires israéliens se considèrent comme des ambassadeurs, et représentent quelque chose que les personnes les plus décentes à l'étranger considèrent comme inacceptable, alors le peuple a le droit de montrer son rejet.

Et personne ne dit à ces gens qu'ils représentent Israël, ils le disent eux-mêmes. Il y avait un grand débat dans le pays basque sur la chanteuse israélienne Noah – si les gens devaient boycotter son concert ou pas. Des personnes sont allées sur son site Web et ont vu qu'elle avait écrit qu'elle représentait Israël pour sa tournée. Donc, elle ne venait pas seulement en tant que chanteuse, mais en tant que représentante d’Israël. Nous sommes en 2013 et si vous dites que, cela signifie que vous représentez ce que représente Israël, et ce qu’Israël fait aujourd'hui, par conséquent, vous êtes une cible légitime du boycott.

 
Si vous avez manqué la 1ère et 2ème partie de l'entretien avec le professeur Pappe, cliquez sur le liens suivants :


 
 
 
Source : Investig'Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.