Irak,"la liberté en action"

Hier, M. Bush a prévenu les citoyens américains qu’il y aurait un nouveau regain de violence… en Irak. Il a appelé cela la « rançon du progrès », du fait que l’Irak « fait route vers la démocratie ». Dans l’univers véreux, enfumé et rempli de miroirs de M. Bush, où violence est synonyme de progrès et où l’Irak se rapproche de plus en plus d’une « démocratie » qui ne cesse de se dérober, la vérité n’a jamais été aussi éloignée de la rhétorique des gens qui rédigent ses discours.

M. Bush a qualifié une « grande partie de l’agitation politique » en Irak de « liberté en action ».

Si seulement la réalité pouvait se hisser au niveau de ses projections hallucinatoires…

Si seulement Abdul Aziz Al-Hakim, l’homme politique le plus influent d’Irak, chef du Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (SCIRI), n’avait pas sorti hier un avertissement à peine voilé à l’adresse des Irakiens arabes sunnites pour leur dire que les chiites au pouvoir ne permettraient pas qu’on apporte d’importants amendements à la nouvelle constitution du pays.

Si seulement…

Le commandant en chef des troupes américaines, s’adressant aux membres des Vétérans des guerres à l’étranger, déclarait également hier : « Nous continuerons à rendre leur territoire aux Irakiens de façon à ce qu’ils puissent défendre leur démocratie, qu’ils puissent faire le gros du travail et que nos troupes soient à même de rentrer dans leurs foyers avec l’honneur qu’elles auront gagné. »

Tout comme Brandon Bare, de Caroline du Nord.

Ce soldat de 19 ans est rentré d’Irak en avril dernier avec des coupures et autres blessures dues à une attaque à la grenade. Trois mois après son retour chez lui, le jeune Brandon Bare a estimé nécessaire de tuer sa femme de 18 ans de 71 coups de couteau. Manifestement, il avait été traumatisé par son séjour en Irak et son engagement dans les combats de Mossoul et Fallujah.

Fallujah « la pacifiée », la « ville de l’espoir », comme FOX « News » aime à la qualifier et où trois soldats américains ont perdu la vie, hier, lorsque leur Humvee a été détruit par un mine routière. Un quatrième soldat, à l’instar de Brandon Bare, a été blessé au cours de la même action.

Et pourtant, le pays des hallucinations est un endroit agréable où il fait bon se trouver, pour quelqu’un comme M. Bush, du moins, qui, hier, a également dit que la plupart des Irakiens étaient optimistes quant à leur avenir.

Malgré les enlèvements incessants, le chômage qui galope allègrement au-delà des 50 %, la rareté de l’électricité, l’absence d’eau potable et la violence qui bat son plein sans discontinuer, Bush a encore déclaré : « La grande majorité des Irakiens préfère la liberté avec l’énergie qui fonctionne de façon intermittente à la vie dans les ténèbres permanentes de la tyrannie et la terreur. »

La sécurité est si précaire à Bagdad aujourd’hui que de nombreuses personnes ne sortent plus de chez elles qu’en cas d’absolue nécessité. Les enlèvements d’Irakiens, à tout moment, sont symptomatiques de l’escalade dans l’absence de lois, escalade naturellement aggravée par la tourmente politique qui secoue le pays depuis les élections du 15 décembre.

Les officiels irakiens disent qu’on mentionne au moins 30 kidnappings d’Irakiens chaque jour à Bagdad. Ces enlèvements font partie de l’absence de lois de plus en plus marquée qui accompagne la tourmente politique du pays, autrement dit « la liberté en action ».

Rien n’a changé sur le plan des enlèvements depuis mon dernier voyage à Bagdad. Bien des otages sont libérés au moment où les familles paient la rançon exigée. D’autres fois, quand la rançon a été payée, et la chose est arrivée à un ami de mon interprète, la famille a reçu un appel lui disant qu’elle pouvait aller récupérer le corps de son fils de 16 ans à la morgue.

J’ai reçu aujourd’hui un e-mail d’un Irakien de Bagdad. Il contredit un tantinet la rhétorique du pondeur de discours de M. Bush :

« Cher Dahr,

Il est malaisé de brosser un tableau de ce qui se passe, la situation est si mauvaise, tout simplement.

Manque de vivres, y compris l’eau, l’essence et l’électricité.

Perturbations du trafic, du fait que la police n’autorise qu’une seule bande de circulation aux check-points sécuritaires et cela prend beaucoup de temps, pour franchir ces check-points.

Bien des zones de Bagdad sont très peu sûres et quasiment inaccessibles.

Les kidnappings et les assassinats de médecins se poursuivent toujours.

Un consultant chirurgien a récemment été assassiné chez lui. Il vivait dans le district de Yarmouk, près du centre culturel. L’un de ses fils avait été kidnappé quelques mois plus tôt et relâché après le paiement de plusieurs milliers de dollars.

Un de mes amis, un neurologue bien connu, a été kidnappé dans sa clinique même et sa famille a demandé l’aide de ses amis et parents pour rassembler sa rançon.

Ma femme conduisait sa voiture dans le bas de la ville et elle a été touchée à la main gauche par une grosse pierre lancée depuis un pick-up de la police parce qu’elle n’avait pas voulu céder le passage à une voiture rapide qui essayait de la dépasser… Encore une chance qu’ils ne lui ont pas tiré dessus !!!

Les Irakiens sont de plus en plus effrayés par la police locale et par l’armée irakienne du fait que ces gens conduisent excessivement mal et qu’ils abusent de l’autorité dont ils sont désormais investis.

Ai-je mentionné que la fourniture d’énergie est d’une heure de courant toutes les cinq heures ?????

Ahmed [nom modifié pour des raisons de sécurité] »

(c)2004, 2005 Dahr Jamail.

Les dépêches irakiennes de Dahr Jamail

http://dahrjamailiraq.com

12 janv 06

« La liberté en action »

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