Impressions cubaines : les dégâts des ouragans, McCain ou Obama, la crise, l’Europe…

Interview par Montserrat Ponsa i Tarrés,

Felipe Pérez Roque, Ministre des Relations extérieures de Cuba depuis 1999, a été à Madrid à l’invitation du Ministre Fernando Moratinos pour passer en revue les contacts bilatéraux et travailler les bases pour favoriser le dialogue politique entre la République de Cuba et l’Union Européenne. Ma visite se fait en respect du gouvernement espagnol.

Ton pays vient de souffrir de graves dommages à cause des ouragans

Ce fut un cataclysme pour Cuba ; nous aurons besoin de temps et de moyens, nous avons épuisé les réserves que nous avions pour les ouragans ; les pertes se calculent à hauteur de 5 mille millions de dollars. Notre tâche prioritaire est de réparer les dégâts et construire de façon telle que plus jamais cela ne puisse se reproduire. N’en doute pas, NOUS Y ARRIVERONS ! OUI, parce que nous avons le capital humain, la foi, l’optimisme, l’esprit, et l’envie d’aller de l’avant. Ce furent des ouragans sans précédents par les dégâts causés- alors que nous parvenions à nous récupérer des années 90 : des maisons, des hôpitaux, des productions agricoles. La mer est entrée sur 4 km à l’intérieur des terres en beaucoup d’endroits de l’île, emportant avec elle des villages entiers de pêcheurs. Grâce à la prévention, les gens coopèrent, mettent leurs biens dans des conteneurs préparés à cette fin, et qu’ils récupèrent une fois la tempête passée. Sur les 11.200.000 habitants de l’île, il y a eu 3.200.000 évacués. Notre problème urgent, et non résolu à ce jour, est le logement. Nous ne sommes plus non plus capables de produire du blé ni du soja : la température est trop élevée, la pluie est capricieuse. Nous portons nos efforts à présent sur l’importation. Nous devrons essayer de réinstaller 80% de la population rurale et 20% de la population urbaine pendant que seulement 25% se consacre à l’agriculture. Les crédits, l’aide technologique, les coopératives, manquent. Cuba a 200 barrages avec une capacité de 10 mille millions de m3. Heureusement l’eau n’est pas perdue.

Quelles sont les priorités ?

D’abord augmenter la production agricole, touristique- les investissements avaient grimpé de 15%- et pétrolière. Nous avons des compagnies qui forent, on estime qu’il y a beaucoup de pétrole dans le Golfe du Mexique mais pour faire un puits, il faut 100 millions de dollars. Tout est plus cher pour nous, nous avons des problèmes de technologie car nous ne pouvons rien utiliser qui, dans ses composants, contienne la moindre pièce d’origine étrangère, les USA l’interdisent. Nous avons beaucoup de produits pharmaceutiques que nous ne pouvons pas exporter, des vaccins, des médicaments anticancéreux, une industrie variée, mais il y a des obstacles à l’enregistrement des produits.

Comment qualifierais-tu les relations avec le gouvernement espagnol ?

On se parle avec respect et ouverture d’esprit, il n’existe plus la rupture de l’époque Aznar, qui a été au Congrès des USA pour exiger plus de dureté envers Cuba. Moratinos, sans pour autant partager certaines de nos idées, a voyagé à Cuba, et a supporté les attaques de la droite. S’il pouvait exister la même chose dans toute l’Europe… Nous n’acceptons pas d’être traités comme un Etat subordonné. Nous n’accepterons jamais les ingérences, nous exigeons la Souveraineté pour notre pays.

Cuba, la grande controverse, aimée ou haïe, il n’y a pas de moyen terme. Pourquoi ?

Nous savons que nous n’avons pas le pays que nous souhaitons, nous avons celui que nous pouvons faire. Nous allons affronter nos erreurs, il y en a, fruits de notre inexpérience, mais n’oublie pas que Cuba est un pays solidaire qui malgré qu’il ne dispose pas de moyens, apporte une aide de formation aux pays qui en ont besoin avec des médecins et des professeurs. Nous avons d’excellents experts en software, en énergies alternatives, en biomasse, en médecine.

L’Europe semble disposée à vous écouter, à satisfaire votre ambition d’être un Etat souverain

L’hypocrisie nous dérange parce que l’Europe suit le chemin des USA, mais pas le sien propre. Beaucoup d’Etats affirment qu’ils vont nous donner leur appui mais quand vient le moment de vérité, ils reçoivent un coup de fil, avec offres ou menaces, et ils changent de position. Les Européens, à l’exception de l’Espagne, ne comprennent pas certains pays d’Amérique Latine. Ces sujets ne se discutent pas aux Nations Unies, mais au Fond Monétaire International

Que penses-tu de la crise mondiale de ce monde globalisé ?

Je dirais ceci pour railler un peu : Je suis venu voir la construction du socialisme en Europe. Nous n’avons pas de bourse mais cette situation qui affecte l’économie de toutes les familles nous inquiète. Cette crise provient de ceux qui voulaient nous moderniser. Les américains blancs offraient des hypothèques à des gens qui ne pourraient pas la payer.

Question obligatoire : Mac Cain ou Obama ? Y aura-t-il des différences envers Cuba ?

Nous avons vu passer 10 Présidents. Mac Cain a dit Bush n’a pas été assez énergique contre Cuba, je vais agir…Obama, dans ses premières allocutions, a laissé entendre qu’il était disposé à s’asseoir à la table de discussion, surtout pour que les expatriés puissent continuer à envoyer de l’argent à leurs proches, mais il a également affirmé je partage les objectifs de Mac Cain mais pas les moyens. Je vais m’asseoir après que soient créées les conditions…

Le Commandant Raul Castro est disposé à s’asseoir à la table de négociations, il demande seulement que l’on respecte notre Souveraineté.

La discussion avec Felipe Pérez, ami de longue date, dans l’Ambassade fut intéressante, de même que ses paroles judicieuses qui ne manquaient pas d’ironie Un jour nous devrons rendre hommage aux poules de notre pays parce que chacune, sans manger, produit 300 œufs à l’année. Un million ont été détruits par des ouragans.

Il a aussi expliqué que quand le Commandant Fidel Castro se rendit aux USA en 1959- Cuba était un protectorat américain- après la Révolution, le Président Kennedy « n’a pas pu » le recevoir et ce fut Nixon qui le reçut, lequel affirma celui-là, si ce n’est pas un utopiste, il est très dangereux.

Si le blocus s’arrête, où peut se situer Cuba ?

L’espérance nous tient debout. Les souffrances sont si nombreuses, les années extrêmement dures du blocus avec Bush ! Avec Clinton, elles étaient un peu atténuées, mais maintenant les banques ne « peuvent » pas négocier avec nous, les USA ont frappé durement celles qui acceptaient des transferts bancaires avec l’île. Celles qui étaient à Cuba s’en sont allées, ils ont menacé les Suisses, les Anglais. Des 120 qui existent au Japon, seules deux ont accepté des relations avec nous. Nous devons changer chaque jour celles avec lesquelles nous négocions, car si les Américains le découvrent, nous devons stopper les négociations. Ce sera un moment heureux…

Les peuples d’Amérique Latine ont dit « assez d’oppression », et veulent décider de leur futur, exigent la souveraineté. L’axe du mal, comme l’appellent certains, s’est élargi, Cuba n’est plus seule. Comment vois-tu cela ?

UNASUR est la grande espérance, les peuples unis peuvent influencer leur avenir, l’espoir peut devenir réalité pour tous.

Montserrat Ponsa i Tarrés, journaliste, Catalogne-Espagne.

Traduit par Jean-Louis Seillier pour Invest ig’Action

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