Il s’agit de dissimuler toute preuve des effets nocifs des armes à l’uranium

Article paru dans le journal: HORIZONS et DEBATS, numéro 40, du 6 octobre 2008. Zurich

Horizons et débats: Vous avez été directeur de l’«US Army Depleted Uranium Project» et vous êtes un spécialiste des effets de la guerre sur la santé et l’environnement. Pouvez-vous nous parler de la situation des anciens combattants depuis 1991 ?

Doug Rokke: Il y a eu de nombreuses victimes directes de la guerre qui ont subi des blessures mortelles (KIA: killed in action) dues à des projectiles et à des bombes, ou non mortelles (WIA: wounded in action). Mais la plupart des victimes de l’opération Tempête du désert (ODS) étaient des DNBI (disease and non-battle injuries). Cela signifie que ces atteintes ont été provoquées par des intoxications dues aux armes utilisées, à la destruction des entrepôts irakiens d’armes chimiques et biologiques qui avaient en grande partie été fournies à l’lrak par les Etats-Unis, à la destruction des infrastructures irakiennes qui a dégagé des corps organiques et anorganiques, à des substances biologiques et à des isotopes radiologiques qui sont utilisés ordinairement dans l’agriculture et l’industrie de même qu’en médecine, et à l’utilisation délibérée de munitions à l’uranium, qui sont chimiquement et radiologiquement toxiques. Selon le rapport GWIS1 du Departement americain des Anciens combattants, parmi les 696 842 soldats américains qui ont participé à l’opération Tempête du désert, au moins 78 559 sont morts maintenant et 278 713 ont demandé à bénéficier de soins médicaux à vie et d’une pension d’invalidité en raison de leurs blessures et de leurs maladies.

Les opérations Liberté pour l’lrak (OIF) [Irak depuis 2003] et Liberté immuable (OEF) [Afghanistan et ailleurs depuis 2001], qui se poursuivent, ont causé, selon le Pentagone, 30 642 WIA et au moins 4 168 KIA.2 Le VA Health Care Utilization Report de mars 2008 du Département des anciens combattants estime cependant qu’au moins 324846 victimes DNBI de l’OIF et de l’OEF rendues à la vie civile sont actuellement malades et nécessitent des soins médicaux en raison de multiples problèmes de santé. Malheureusement, seuls 958 932 des 1 129 340 anciens combattants des OIF et OEF étaient encore en vie en février 2008 ( US Department of Veteran Affairs Gulf War Veterans Information System Report. Taper www.va.gov puis GWVIS ). Les données publiées par le Pentagone sont donc en contradiction avec celles du Département des Anciens Combattants. Des informations apportées par des médias militaires (www.armytimes.com ) et civils révèlent que les anciens combattants des OIF et OEF rentrent chez eux pour y mourir de maladies contractées au contact de substances toxiques et non à la suite de blessures dues à des bombardements ou à des projectiles.

H-D: Comment ces chiffres élevés s’expliquent-ils ?

Doug Rokke: Ils ne peuvent s’expliquer que par le fait que depuis l’été 1990, au cours des combats menés du golfe Persique à l’Afghanistan, les victimes ont été directement exposées aux effets cumulés de divers poisons: armes chimiques et biologiques, matériaux dangereux, maladies endémiques, résidus d’incendies de puits de pétrole, pesticides, mauvaise qualité de l’eau et de la nourriture, réactions immunitaires et munitions à l’uranium. Bien que quelques-unes de ces expositions pourraient avoir été inférieures aux valeurs limites acceptées et recommandées par le National Institute for Occupationnal Safety and Health ( Recommended Exposure Limits—NIOSH REL.s: www.cdc.gov/niosh/npg/ ), les effets synergiques de l’ensemble des expositions ont entraîné des problèmes sanitaires multiples et complexes.

Le refus des médecins du Pentagone et du Département des Anciens Combattants de prodiguer des soins aux malades ou le fait de les retarder délibérément ont eu pour conséquence, à la suite de diagnostics erronés ou de la volonté de nier les effets de ces expositions sur la santé, des soins inefficaces. Des troubles psychiques ou psychiatriques classiques ont également été diagnostiqués mais quand on considère que les victimes souffrent également de graves troubles physiologiques tels que des troubles neurologiques ou respiratoires, il devient évident que beaucoup de ces problèmes psychiques et psychiatriques sont dus à une neurotoxicité.

H-D : Quelles différences y a-t-il entre les expositions connues et supposées qui ont fait des victimes parmi les civils et les soldats lors de l’OIF et de l’OEF et les risques auxquels ont été exposés les victimes de l’opération Tempête du désert ?

Doug Rokke :Aujourd’hui les dommages sanitaires dus aux combats en Irak, en Afghanistan, en Somalie, au Liban, dans les Balkans, en Géorgie et en Ossétie du Sud sont les suivants: maladies dues à la mauvaise qualité de l’eau et de la nourriture, maladies endémiques, contact avec des substances chimiques, biologiques et radiologiques dues à la destruction des infrastructures des pays en question, pesticides et usage massif d’armes à l’uranium contre toutes sortes de cibles: blindés, bâtiments ( en particulier habitations civiles et stations d’épuration des eaux), et toutes sortes de véhicules civils. Cela a conduit à la contamination de l’air, de l’eau, du sol et de la nourriture, absorption par la peau ou par des plaies ouvertes.

Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est l’usage continuel de munitions à l’uranium par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, Israël et le Canada bien que des documents internes du Pentagone confirment les graves effets sanitaires à court et long terme qu’elles entraînent. L’information interne qu’a fournie le colonel J. Edgar Wakyama de la direction du Pentagone avant le début des combats en Irak confirme tous les problèmes sanitaires prévus alors et diagnostiqués aujourd’hui qui sont liés à la toxicité chimique et radiologique des munitions à l’uranium (www.grassrootspeace.org/wakyama2.rtf ou www.grassrootspeace.org/wakyama2.pdf )

H-D: Pourquoi est-ce que l’on continue à ne rien vouloir savoir des effets nocifs de ces substances, et en particulier des munitions à l’uranium, sur la santé et l’environnement ?

Doug Rokke : La réponse est simple. Malgré leurs effets nocifs à court et long terme sur la santé et l’environnement, ces munitions ont un tel potentiel destructeur que les pays qui les utilisent, en particulier les Etats-Unis, ne sont pas prêts à y renoncer.

Dès la fin des combats des troupes terrestres lors de l’opération Tempête du désert , les responsables du Pentagone ont publié des mises en garde et des directives dans lesquelles elles confirmaient ces effets nocifs et indiquaient ce qu’il fallait faire pour éliminer une partie du moins des armements et des installations détruites par l’U.A. (Uranium Appauvri). L’objectif était—et est encore— de faire en sorte que l’on puisse continuer à utiliser les armes à l’U.A et en même temps d’échapper à la responsabilité de leur utilisation ainsi que d’éviter d’éventuelles conséquences diplomatiques et politiques qui conduiraient à ce que, dans le monde entier, on réclame immédiatement la fin de l’utilisation des armes à l’U.A., la décontamination de l’environnement et des soins médicaux immédiats et optimaux pour les victimes civiles et militaires.

Parmi les documents clés figure le Memorandum de Los Alamos du 1er mars 1991 qui reconnaît les effets nocifs des munitions à l’uranium sur l’environnement mais demande au personnel du Pentagone de promouvoir leur utilisation en ignorant volontairement tous les rapports faisant état des effets nocifs pour l’environnement de l’utilisation des armes à uranium. [ Nous reproduisons ce document dans sa version originale et en traduction afin que les lecteurs puissent y réfléchir et le faire connaître à tous leurs amis et à tous les soldats qui pourraient entrer en contact avec des munitions à uranium lors d’opérations militaires, à tous les politiciens, universitaires et membres des professions médicales qui pourraient être amenés à soigner des soldats ou des civils victimes d’armes à l’uranium.]

Le Memorandum de Los Alamos signifie que tous ceux qui ont servi ou servent encore comme experts au Pentagone ainsi que ceux qui ont participé au nettoyage des sites contaminés ou soigné des victimes des munitions à l’uranium doivent mentir dans leurs rapports afin qu’il n’existe aucun document officiel prouvant les effets nocifs à court et à long terme sur la santé ou l’environnement provoqués par l’usage ou la manipulation des munitions à l’uranium dans les combats, la recherche, les exercices de tir ou lors de leur fabrication, afin qu’il n’existe aucun document officiel prouvant la contamination qui en résulte pour le monde entier.

Le second document provient de la Defense Nuclear Agency ( Agence nucléaire de la Défense américaine ). Son auteur, expert américain réputé, a identifié d’innombrables problèmes, notamment la décontamination de l’environnement, les effets politiques et diplomatiques à long terme, la crainte que la presse ne soulève le problème et avant tout le fait que la contamination par les armes à l’uranium représente une grave menace pour la santé. En conséquence, l’auteur insiste avec force sur la nécessité de procéder immédiatement à la décontamination de l’environnement et de prodiguer sans délai des soins médicaux aux victimes.

En résumé, nous avons d’une part deux documents prouvant les risques pour la santé et l’environnement entraînés par l’utilisation d’armes à l’uranium et d’autre part les collaborateurs du Pentagone qui recommandent de ne pas tenir compte de ces risques afin que les Etats-Unis et d’autres pays puissent continuer à utiliser ces armes en échappant à toute responsabilité.

A la suite de l’utilisation massive d’armes à l’uranium contre des cibles militaires et civiles lors de la destruction des infrastructures d’Irak, d’Afghanistan, de Somalie, du Liban, de la Géorgie et de l’Ossétie du Sud ( et de la destruction probable de celles de l’Iran) ainsi que de pesticides, nous avons provoqué une pollution irréversible de l’air, de l’eau, du sol et de la nourriture.

H-D: Que peut-on faire pour éviter les terribles conséquences pour la santé et l’environnement des opérations militaires actuelles ?

Doug Rokke: Les Etats-Unis et leurs alliés doivent procéder au nettoyage complet de toutes les régions contaminées et prodiguer des soins médicaux immédiats et optimaux aux victimes militaires et civiles conformément à leurs prescriptions de toutes sortes !

( www.grassrootspeace.org/depleted_uranium_regs.html )

H-D : En plus des 3 500 soldats allemands qui sont déjà en Afghanistan, 1 000 autres doivent être envoyés. Nos lecteurs allemands tiennent sans doute beaucoup à savoir à quels dangers ces soldats s’exposent.

Doug Rokke : Il suffit d’avoir à l’esprit les problèmes de santé bien documentés dont souffrent plus de 500 000 victimes des Forces armées américaines—sans parler des victimes civiles— problèmes non susceptibles d’être traités. Toutes les personnes—mères, pères, épouses, enfants, ecclésiastiques, universitaires et politiciens—qui permettent que des soldats allemands ( ou d’autres pays) soient envoyés là-bas doivent être conscients que l’avenir de leur pays, la santé et la sécurité de tous les individus et la capacité de ceux qui reviennent blessés à prendre soin de leur famille sont compromis. Il est très probable que les soldats allemands invalides ne pourront plus travailler et que les coûts sociaux et médicaux seront plus importants que ce que l’économie peut supporter. D’où ma modeste recommandation: que les Allemands gardent leurs soldats chez eux où ils serviront le pays plutôt que de servir de chair à canon.

Nous devons savoir que la guerre est obsolète parce que les systèmes d’armes et la conduite des conflits armés provoquent aujourd’hui des dommages sanitaires et environnementaux irréversibles. Aussi est-il nécessaire que chacun d’entre nous se fasse ambassadeur de la paix, car celle-ci ne peut être obtenue que si chacun se souvient que devant Dieu, nous sommes tous frères et sœurs et que nous devons vivre en harmonie. La paix doit donc commencer en chacun de nous.

Nous croyons que chacun devrait prendre à cœur le contenu du discours passionné prononcé le 18 septembre 2008 par Mgr Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, devant le Conseil des Droits de l’homme.

1 GWVIS = Gulf War Veteran Information System 2 Site du Pentagone: www.defenselink.mil/news

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