Il faut appeler un chat un chat

Quand est-ce qu’un terroriste n’est pas considéré comme tel ? Quand les médias américains le qualifient de « chrétien ». Quand est-ce qu’un groupe terroriste n’est pas considéré comme tel ? Quand les médias américains l’appellent « mouvement d’opposition au gouvernement ».

Lorsqu’il s’agit de violence commise au nom de la religion, les médias américains appliquent bel et bien deux poids deux mesures, comme l’illustrent les reportages diffusés récemment sur le groupe Hutaree, qui opère depuis l’Etat du Michigan. Dans leurs articles sur les raids menés récemment par le FBI – qui a notamment saisi un stock d’armes détenues illégalement par ces extrémistes, déjoué leur tentative d’assassiner des policiers et enfin fait échouer leur projet de guerre contre les Etats-Unis, les médias ont benoîtement parlé de “milices”.

Le chef du groupe, David Brian Stone, âgé de 45 ans, ne cache pas qui il est lorsqu’il donne à son mouvement le nom de « Hutaree » qui signifie « guerrier chrétien », comme l’indique son site internet. Sa devise est tirée de l’Evangile selon Saint Jean, ( Jn 15:13) : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis ».

Le comportement de ce groupe ressemble pourtant beaucoup à celui de ceux que les médias qualifient de terroristes.

Or dans son reportage du 29 mars dernier, Joshua Rhett Miller, de la chaîne de télévision Fox News emploie les termes de « groupe paramilitaire d’origine chrétienne » en parlant de Hutaree. Dans un article paru le même jour, et dans la même veine que leur confrère, Nick Bunkley et Charlie Savage, du New York Times, sur un ton presque embarrassé, qualifient David Brian Stone et Hutaree de « paramilitaires chrétiens apocalyptiques », , Peu importe si ces paramilitaires sont armés jusqu’aux dents, suivent des entrainements similaires à ceux d’Al-Qaïda ou bricolent même des explosifs sur le modèle de ceux utilisés par les terroristes en Irak.

Dans sa rubrique « Sujets d’actualité », le New York Times s’évertue à éviter d’employer le mot « terroriste », décrivant le groupe Hutaree comme « un mouvement paramilitaire chrétien originaire du Michigan » et reprenant le terme d’« extrémistes anti-gouvernementaux », utilisé par le procureur général Eric Holder.

Le mot « terroriste » serait-il désormais réservé aux musulmans? Dans le cas d’événements comme les attentats manqués de mai 2009 contre des synagogues à New York ou encore la tentative d’Umar Farouk Abdulmutallab de faire exploser un avion au-dessus de Detroit, les médias n’ont en général aucun scrupule à parler de « complots terroristes déjoués ». Cette attitude alimente une peur irrationnelle de « l’autre » ou du musulman. Cela engendre aussi un dualisme implicite du « nous contre eux », une « Amérique chrétienne » dans sa majorité contre un « monde musulman » prétendument monolithique – comme le suggère le politologue Samuel Huntington dans sa célèbre théorie du « choc des civilisations ».

La religion est souvent considérée comme la cause de la violence terroriste, alors qu’en réalité elle en est plutôt l’un des instruments les plus efficaces. Comme le soulignait Scott Shane, dans son article « Lâcher le mot bombe » paru dans le New York Times du 4 avril, nous avons besoin d’un débat solide à propos du choix des termes à employer de façon homogène. Les journalistes peuvent jouer un rôle utile, en étant cohérents et en dénonçant ceux qui veulent traiter un groupe en bouc émissaire tout en évitant à d’autres le déshonneur d’être associés à des termes comme « terroriste ».

Les chrétiens ordinaires, comme moi, sont embarrassés lorsqu’un mouvement comme Hutaree est étiqueté « chrétien ». Cet épisode fera peut-être que les Américains non-musulmans comprennent ce que près d’un milliard et demi de musulmans ressentent, depuis quelques années, chaque fois qu’ils entendent l’expression « terroristes musulmans » ou, pire encore, « terroristes islamiques ».

Une bonne règle à suivre, pour les journalistes et pour nous tous d’ailleurs, serait de traiter les autres comme nous aimerions être traités.

Appeler terroriste celui qui en est un – indépendamment de ses origines – fait partie de cette règle.

{Jon Pahl ( jpahl@ltsp.edu Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. ) enseigne l’Histoire de la chrétienté en Amérique du Nord à l’institut du Lutheran Theological Seminary de Philadelphie. Il est l’auteur de l’ouvrage Empire of Sacrifice : The Religious Origins of American Violence (Empire du sacrifice : les origines religieuses de la violence aux Etats-Unis). Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews), paru d’abord dans le quotidien The Colorado Daily. }

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