Hors-la-loi et clandestins, pour la paix

Mariné Pueyo est conseillère communale à la mairie de Pampelune. Elle a été élue en 2007 sur les listes d’ANV (Action Nationaliste Basque), un ancien acronyme remis à jour après l’interdiction de Batasuna. Le parlement espagnol a adopté une loi promue par les socialistes et les libéraux, avec des paragraphes et interprétations juridiques qui ont généré l’apartheid politique.

 

La loi prévoit en effet que toute liste qui comptait parmi ses candidats d’anciens membres d’Herri Batasuna ou des groupes politiques qui lui ont succédé au fil des ans, pourrait être supprimée de la course électorale. Ils ont parlé explicitement de «contamination». De nombreuses listes d'ANV ont ainsi été déclarées illégales, beaucoup d'autres ont été incriminées après le vote.

 

Enfin, certaines ont été autorisées car elles remplissaient un rôle d’équilibre électoral. C’est le cas dans le département de la Navarre, dont la capitale est, justement, Pampelune. Le visage de Marina Pueyo s’alterne avec celui d'autres militants dans les dernières conférences de presse de la gauche basque. Elle parle au nom d’une formation clandestine et illégale, dans une situation absurde et souvent grotesque, où l'action politique est de plus en plus difficile.


Interview de  Mariné  Pueyo, porte-parole de la gauche basque et conseillère municipale à la mairie de Pampelune


Mariné Pueyo, la gauche basque a fait une sorte de révolution copernicienne. Une première bonne étape a été franchie en 1998, puis une autre dans le processus de paix qui a émergé après la déclaration d’Anoeta ainsi qu’avec la déclaration d’Altsasu. Tout cela a amené à la réalisation d’un document de base pour définir cette nouvelle phase politique. Vous avez réussi à marginaliser le concept de violence armée d’un processus politique et avait trouvé des accords avec d’autres acteurs sur une proposition précise qui aurait pour conséquence de finalement dépasser le conflit.  

Après l'échec des conversations de Loyola, la gauche basque a entamé un processus important et profond de réflexion. Il s’agissait d'analyser les avantages et les inconvénients des tentatives de solutions passées. Cette réflexion a produit un certain nombre de conclusions: nous avons derrière nous cinquante ans de résistance et nous sommes arrivés au seuil d'un changement politique, avec de grandes possibilités pour changer de stratégie. Unilatéralement, nous avons fait des propositions pour faire face à l'État dans un processus d'accumulation de forces. C’est pour cela que nous avons rendu publique la déclaration d'Altsasu, pour parvenir à une solution démocratique, ouverte à toutes les options et revendiquant les principes Mitchell, afin qu’aucun des parties ne recourent au chantage ni à la violence.

 

Quelles difficultés avez-vous rencontré?

C'est vraiment étrange que d’une part, une organisation politique  soit jugée illégale, que ses réunions soient interdites et qu’elle n’ait pas droits civils et politiques, et que d’autre part, cette même organisation réussisse à faire participer à un débat politique plus de huit mille personnes. C’était dur et difficile, mais nous l'avons fait. La base s’est vraiment impliquée de manière profonde dans ce débat. Dans un autre contexte politique, cela aurait été plus facile. Mais après deux ans de travail, nous voyons les fruits que cela a portés. Et malgré tous les obstacles, nous avons été en mesure de rouvrir la route au processus démocratique.

 

C’est difficile parce que vous êtes membre d'une force politique illégale.

Oui. Nous avons travaillé dans la clandestinité, dans la clandestinité la plus complète.

 

Dans le texte de votre proposition, il ya une forte ouverture à d'autres forces politiques. Cherchez-vous à ouvrir un dialogue multilatéral?

Notre stratégie est d'accumuler des forces politiques sociales et syndicales. Nous avions un travail politique au niveau international très important pour parvenir à la paix et à la normalisation politique en Euskal Herria. Mais nous disons que la solution doit venir non pas de l'extérieur mais de l'intérieur. Pour cela, nous travaillons avec toutes les associations politiques et syndicales. Le document Zutik par exemple : Ea, Eusko Alkartasuna, a été le parti le plus disposé à partager et discuter nos analyses et nos diagnostics avec un minimum d'accord, ce qui a uni nos forces.

 

Malgré les différences qu’il y avait entre vous et eux?

Nous sommes nés et vivons d'une manière différente. Ils sont sociaux-démocrates et nous sommes révolutionnaires. Mais nous devons laisser de côté ce qui nous sépare et prendre ce qui nous unit. Eux aussi ont compris que la priorité est que ce pays doit être libre d'exercer le droit à l'autodétermination. Avec cela, nous avons le développement d'accords stratégiques qui nous permettra de parvenir à des accords définitifs, avec un minimum également dans le sens de la politique sociale. Ce sont des accords minimes avec des différences importantes. Mais Ea et nous-mêmes avons misé sur ce qui nous unit. Ensuite, chaque parti suivra son propre parcours politique.

 

Quels sont vos commentaires sur le rôle de l'ETA ? En vertu de l'arrangement que vous avez établi, quelles mesures attendez-vous de l’organisation armée?

L’ETA a dit ce qu'il pensait devoir dire. Il a communiqué publiquement sa décision unilatérale de ne pas mener à terme des actions armées. L’ETA a fait un compromis en adoptant la Déclaration de Bruxelles, qui parle de médiation internationale. C’est une étape importante. Il n'ya pas de disposition claire de la part des gouvernements qui continuent sur le chemin de la répression. Chaque fois que nous franchissons une étape politique, on nous répond par la répression.

 

D'importantes manifestations ont eu lieu, certaines ont été réprimées par la police. Comment décririez-vous la situation actuelle de la société basque?

A la fois beaucoup d’illusions et beaucoup d'espoir. L'accord stratégique signé avec Ea, qui est transposé à d'autres forces politiques, a ouvert quelques portes. Le travail qui a été fait pour parvenir à un accord de paix signifie que la majorité sociale de ce pays comprend que nous sommes proches d'une solution. C'est d’ailleurs ce qui a provoqué l'accord de Gernika. Le Gouvernement Basque, par deux fois, a interdit les manifestations. Il a ainsi permis à beaucoup de gens d’ouvrir les yeux. La troisième manifestation qui s’est tenue à Bilbao, avec 46 000 personnes sous pression policière, devrait faire réfléchir n'importe quel politicien.

 

Du côté de Madrid, nous avons vu des réactions assez fermées aux communiqués de l’ETA. Mais il ya aussi des petites ouvertures qui ne sont pas soulignées ou diffusées par la presse?

Nous apprécions quelques positions qui parlent de petits pas. Mais il est certain que l’immobilité et le blocus dominent. Nous devrons travailler beaucoup plus dur et faire des plus grandes pressions.

 

Il y a donc un double niveau de réponses de la part du gouvernement et de l'État espagnol?

Non. Comme réponse, il y a seulement les répressions, les détentions et même des dénonciations de tortures brutales, ainsi que l'arrestation de membres d'une organisation internationale comme Askapena. Cela révèle toute la nervosité que provoquent les avancées accomplies par la gauche basque.

 

Les jeunes de l'aile gauche basque (les derniers à avoir été arrêtés ou dénoncés ces dernières semaines) ainsi que les hors-la-loi, sont-ils impatients? Ou bien ont-ils accepté cette dynamique?

Pour la première fois dans l'histoire de la gauche, toutes les organisations ont participé à l’élaboration de cette stratégie commune. Les jeunes ont un rôle très actif. La répression les frappe car tout le monde sait qu'ils sont le moteur de ces politiques. Ils sont les meilleurs éléments à régulièrement finir en prison. Sans eux, ce processus ne serait pas possible.

 

Le rôle des agents internationaux: la Déclaration de Bruxelles prévoit une médiation possible qui, par le nombre et la qualité des acteurs, semble être unique dans l'histoire des tentatives pour résoudre le conflit.

Madrid s’oppose toujours à ce type de positions. Nous considérons que le soutien international est très important et nous croyons que le gouvernement espagnol a peur d’une possible médiation internationale. C’est sous cet angle que nous voyons les arrestations récentes dans le groupe Askapena qui a travaillé dur sur le plan international. On peut demander pourquoi ces arrestations sont intervenues maintenant et pas il y a deux ans alors que les documents sur lesquels se basent l’accusation sont largement dépassés. Nous pensons que les véritables raisons qui expliquent ces arrestations sont liées au travail qu’Askapena a réalisé pour développer un soutien international en rappelant notamment que le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture avait dénoncé la violation systématique des droits de l’homme, tout comme Amnesty International. Il est clair que les agents internationaux vont jouer un rôle de plus en plus important pour dénoncer les mensonges du gouvernement espagnol lorsqu’il nie violer les droits de l’homme.

 

Est-ce que ça fait peur d’être la porte-parole d’une formation illégale, clandestine et même considérée comme terroriste ?

Non. Nous sommes convaincus d’avoir raison. Nous avons assez de force pour ne pas avoir peur et ne pas être paralysés par la panique. Les militants de la gauche basque ont toujours su que l'engagement, notre engagement, pouvait conduire à la prison ou à la mort. Mais c’est pour cela que nous sommes convaincus qu’aujourd’hui, nous pouvons finalement voir le bout du tunnel.

 

Légalement, vous êtes toujours conseillère municipale, mais avec des idées « illégales » ?

La stratégie politique judiciaire de 2007 a été kafkaïenne : l'annulation des listes a été appliquée dans certains endroits et pas dans d'autres. Cela a répondu à une stratégie d'impulsion politique. Le Parti socialiste nous a laissé à Pampelune, car il pensait que nous serions utiles pour barrer la droite. C’est pour cela qu’ils nous ont laissé exister sur le plan légal. Ils pensaient ensuite pouvoir nous dépouiller de tous nos droits au fil des ans mais n’y sont pas parvenus.

 

Mais ce qui est illégal en Espagne ne l’est pas en France.

Ca devrait faire réfléchir dans n’importe quel tribunal européen. Pourtant, dans une décision politique prononcée à Strasbourg, cette particularité n’a pas été prise en considération. C’est une situation schizophrène : nous sommes légaux et illégaux à quelques mètres de distance seulement, de part et d’autre de la frontière entre l’Espagne et la France.

 

Pensez-vous que cette répression des idées ait amené de nouveaux sympathisants dans les rangs de la gauche basque?

Je pense que oui. Nous avons gardé notre ligne pendant cinquante ans et malgré ce, une répression sévère. Finalement, des pans de plus en plus larges de la société ont ainsi pu voir la souffrance. La répression a en effet frappé par cercles concentriques et frappe actuellement toujours plus de personnes. Malgré l’intoxication médiatique, beaucoup de gens ont ouvert les yeux : ils ont compris que les allégations que nous faisions étaient vraies et qu’il n’y avait aucune raison objective de faire souffrir de la sorte. Beaucoup se sont ainsi rapprochés de nos idées.

 

Quand Batasuna, ou la gauche basque, sera-t-il légal ?

Nous y travaillons. Je ne sais pas si nous réussirons pour 2011. Nous verrons bien. Nous voulons être dans la légalité.

 

 

Traduit de l'italien par Investig'Action

 

Source originale: Peace Reporter

 

Source: www.investigaction.net

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