Honduras: l’illégitimité d’une Constitution ?


La querelle dialectique portant sur la légalité du violent processus de destitution ainsi que sur l’expulsion du président du Honduras n’est pas terminée.



 




Dessin par Carlos Latuff


Il y a des mois, nous avons présenté notre point de vue selon lequel il n’y a pas eu de violation de la constitution de la part du président Zelaya lorsqu’il appelait à une consultation populaire non contraignante concernant  une assemblée constituante. Cette discussion est néanmoins vaine quant au fond. Fondamentalement, elle cache un autre problème : la résistance d’une classe et d’une mentalité qui façonnent l’establishment en fonction de sa propre conception de ce que doit être une République bananière. Cette discussion révèle l’esprit d’une classe cherchant désespérément à identifier au chaos quelque changement que ce soit. Mais, dans le même temps, cette même classe réprime le peuple et les médias qui lui sont opposés. ?


Le principal argument des auteurs du coup d’Etat au Honduras réside en ce que le texte de la  constitution de 1982 (articles 239 et 374) ne permet aucun changement. On n’a jamais reproché à la Loi de Participation citoyenne de 2006 qui permettait les consultations populaires d’être anti-constitutionnelle. Tout au contraire, la participation populaire est prescrite par cette même constitution (article 45). Tout ceci laisse apparaître, chez ses rédacteurs, un esprit « scolastique »transcrit dans un langage humaniste.

Aucune norme, aucune loi ne peut être au-dessus de la constitution d’un pays. Néanmoins, aucune constitution moderne n’a été écrite sous la dictée de Dieu, mais bien par des êtres humains et dans leur propre intérêt. C’est-à-dire qu’aucune constitution n’est au-dessus d’un droit aussi naturel que la liberté pour un peuple de changer.

Une constitution  qui se fonde sur sa propre intangibilité confond son origine humaine et précaire avec une origine divine. Ou bien, elle prétend établir la dictature d’une génération sur toutes les générations futures. Si ce principe d’inamovibilité avait quelque sens, nous devrions supposer qu’avant que la constitution du Honduras soit modifiée, le Honduras devrait disparaître comme nation. Si ce n’est pas le cas, ce pays devrait être régi durant tout un millénaire par les mêmes textes de loi.  ?
Déjà, les religieux orthodoxes ont voulu éviter tout changement dans le Coran et dans la Bible en y comptant le nombre de mots. Quand bien même les sociétés et leurs valeurs se modifient,  il est interdit de modifier un texte sacré. Celui-ci ne trouve alors son salut que  dans une interprétation plus conforme aux nouvelles valeurs. Cela est démontré par la prolifération des sectes, des appellations se terminant par  « -isme » ainsi que des nouvelles religions surgissant d’un même texte.

Dans un texte sacré, cependant, l’interdiction de changement, bien qu’elle soit inapplicable, est davantage justifiée  étant donné qu’aucun homme ne peut amender le texte de Dieu. ?
Ces prétentions à l’éternité et à la perfection ne furent pas rares dans les constitutions ibéro-américaines qui, au 19ème siècle, prétendirent inventer des républiques, au lieu de laisser les peuples créer leurs propres républiques et des constitutions qui soient à leur  mesure, selon le pouls de l’histoire. Si la constitution de 1787 est encore en vigueur aux Etats-Unis, cela est dû à sa grande souplesse et aux nombreux amendements qui y furent apportés. Si cela n’avait pas été le cas, ce pays aurait aujourd’hui comme président un homme réduit aux trois-quarts, à peine un être humain. « Un négrillon ignorant », comme l’appela l’ex-chancelier de facto Enrique Ortez Colindres. Et pour couronner le tout, l’article V de la fameuse constitution des Etats-Unis aurait interdit tout changement constitutionnel du statut des esclaves.

Une constitution comme celle du Honduras ne peut avoir d’autre résultat que sa propre disparition avec, en préambule, une effusion de sang, tôt ou tard.

Ceux qui invoquent sa défense devront la défendre les armes à la main et dans la logique étroite d’un ensemble de normes qui violent l’un des droits naturels  les plus fondamentaux auxquels on ne peut renoncer.
Depuis des siècles, les philosophes qui imaginèrent et énoncèrent ces utopies que l’on appelle aujourd’hui Démocratie, Etats, Droits Humains l’ont dit explicitement : aucune loi n’est au-dessus de ces droits naturels. Si elle se prétend telle, la désobéissance se justifie. La violence n’est pas le fait de la désobéissance mais bien de celui qui viole un droit fondamental. Cela dit, à part cela, il y a la politique. La négociation, c’est la concession, c’est-à-dire la politique des faibles. Une  concession, en effet, peut être appropriée, inévitable, mais insuffisante à long terme.

Une démocratie mûre implique une culture et un système institutionnel qui prévient les ruptures des règles du jeu, les violations des règles du jeu. Mais dans le même temps, et pour cette même raison, une démocratie se définit par le fait qu’elle permet et facilite les inévitables changements qu’apporte toute nouvelle génération, qu’apporte une société développant une plus grande conscience historique.

Une constitution qui s’y oppose est illégitime, face au droit inaliénable  à la liberté (celle de changer) et à l’égalité ( celle qui préside à toute décision de changer). Cette constitution n’est qu’un texte sur papier, c’est un contrat frauduleux  qu’une génération impose à une autre au nom d’un peuple qui,  déjà, n’existe plus. ? ?


Source: Agence Latino-américaine d’Information


Traduit par jean-Pierre Plumat pour Investig’Action  ?

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