Histoire, politique et revendications mapuches

La responsabilité historique – et actuelle – de ce que l’on a malencontreusement appelé le conflit mapuche incombe depuis toujours à l’Etat chilien.

Lors de l’Indépendance et au début de la République, durant une brève période, le peuple mapuche fut exalté pour le courage avec lequel il freina la colonisation espagnole.

Par contre, durant le reste du 19e siècle, la classe économique et politique dirigeante imposa le dogme selon lequel la construction du Chili impliquait la soumission par les armes de ce même peuple mapuche qui fut parqué sur d’étroites terres de moindre valeur.

Cela entraîna d’une part la création de très petites propriétés et l’apparition de la misère chez les Mapuches, et d’autre part l’accumulation de capitaux pour quelques non Mapuches privilégiés dont certains reçurent des terres de l’Etat.

De plus, des indigènes et d’autres paysans pauvres furent victimes d’achats de propriétés, très souvent du fait de manœuvres frauduleuses ou sous la pression. Au total, dès le commencement de ce processus, 4,5 millions d’hectares passèrent entre les mains de propriétaires privés non mapuches. Par ailleurs, l’Etat attribua seulement près d’un million d’hectares aux communautés indigènes.

Aujourd’hui, différentes études indiquent qu’au sein de la société civile le souci d’un traitement juste de la part de l’Etat à l’égard des revendications mapuches va croissant.

On ne peut nier que ces revendications soient dans le droit fil des droits collectifs des populations indigènes tels qu’ils ont été reconnus , entre autres instances gérant le droit international moderne, par l’ONU et la OEA.

L’Etat chilien a été incapable de ratifier la Convention 169 des Nations Unies (OIT) malgré les promesses faites par la Présidente. La Déclaration des Droits des Peuples

Indigènes approuvés par l’ONU( 13/09/07) et signés par le Chili est dès lors pratiquement inapplicable.De puissants groupes d’intérêts agitent ce fantasme :l’ intention des Mapuches de se séparer de l’Etat; cette intention est en fait inexistante. Et bien que l’on ne connaisse pas de projets séparatistes de la part des Mapuches, il est tenu – dans les milieux qui s’autoproclament authentiques patriotes – tout un discours exprimant, verbalement et par écrit, le souci de préserver l’unité du territoire et de la nation chilienne.

La vérité est que ce sont ces mêmes secteurs politiques et entrepreneuriaux qui divisent le pays entre indigènes et non indigènes, entre Chiliens paisibles et citoyens défendant leurs droits syndicaux, sociaux, économiques et politiques.

A ce propos, on rabâche dans la presse écrite, propriété d’une paire de consortium, ainsi qu’à la TV privée et dans de nombreuses émissions de radio , que les indigènes sont insatiables, qu’ils freinent « le progrès » (en fait, le profit de ces mêmes secteurs), qu’ils sont les marionnettes des »agitateurs marxistes ».

Ils tentent ainsi de répandre dans l’opinion publique un sentiment de peur devant « le soulèvement mapuche », ce qu’avaient fait « les patrons du Chili » sous la Colonie et pendant deux siècles sous la République.

Ils en arrivent maintenant à accuser le Gouvernement et l’Eglise de « porter atteinte à la Constitution », simplement pour avoir facilité la fin d’une grève de la faim d’une femme mapuche incarcérée comme « terroriste ». Ces gens , semble-il, s’ obstinent à se servir de l’Etat, comme ils l’ont fait sous la dictature dont ils ont bien profité – pour terroriser les citoyens qui se mobilisent au nom des revendications sociales.

En contradiction avec la déclaration de l’ONU, l’Etat continue à refuser aux indigènes le droit à la gestion ou à la cogestion économique, sociale, environnementale et culturelle sur leurs terres ancestrales, de même qu’il continue à refuser les formes d’autonomie politique liées à leur vie dans ces territoires.

Cela a amené le Chili à rejoindre la minorité des pays d’Amérique Latine qui ne reconnaissent pas, dans leur charte fondamentale, les peuples indigènes ainsi que le caractère pluriethnique et multiculturel de la nation.

La négation juridique des droits indigènes a été manifeste quand le Législatif rejeta le fragile concept de territorialité indigène inclus dans le projet de loi de 1933 , en même temps tout droit sur les ressources naturelles existant sur ces territoires ancestraux : eau, bois, minerais, pêche en rivière ou sur le littoral océanique, fut réduit à néant.

Toutes ces richesses composent l’habitat historique des Mapuches. Elles sont les conditions de la survie présente et future des cultures et des identités indigènes. C’est dans ces mêmes territoires que se sont installées les méga-capitales ou les méga-latifundias qui engrangent les super-bénéfices des industries forestières, de la cellulose, de l’hydroélectrique, de l’élevage du saumon ou de la pêche industrielle.

Reiman Alfonso, président de l’Association Nankucheu, de Lumaco, a dit ceci : « Sera-t-il légal et juste que les entreprises forestières anéantissent de grandes étendues d’arbres naturels ? Sera-t-il juste qu’une personne comme Angelini possède 500mille hectares et que nous les Mapuches qui sommes 1,5 millions nous ne possédions que 300 mille hectares. ? »

La criminalisation des mouvements réclamant le respect de la terre et des autres droits des Mapuches, sévit depuis1991 à travers l’application de la Loi Antiterroriste décrétée en 1984.

La tendance a consisté à appliquer de lourdes peines afin de discréditer et d’intimider les militants mapuches. Les sentences judiciaires dépendent, pour une grande part, des déclarations de témoins sans visages restant dans l’anonymat.

Les attributions octroyées à la Cour Martiale ont faussé les jugements impartiaux rendus par des « agents de l’Etat », comme, par exemple, dans le cas de la mort ,provoquée par une arme de haut calibre, du jeune mapuche Alex Lemun. Aujourd’hui, nous avons à déplorer la mort , provoquée par un tir de la police, du jeune Catrileo, étudiant mapuche , ainsi que les circonstances dans lesquelles l’enquête a conclu à la présomption d’un usage indu de la force.

Devant pareil contexte, le rapporteur spécial de l’ONU, Rodolfo Stavenhagen, a fait cette recommandation officielle : « Quelles que soient les circonstances, les activités légitimes de protestation ou de réclamation sociales des organisations ou communautés indigènes ne devront pas être pénalisées ou criminalisées. Des accusations de délits relevant d’autres contextes ( menace terroriste, association de malfaiteurs) ne devront être portées à l’égard de faits en relation avec la lutte sociale menée pour la défense de la terre…

Malgré tout, depuis 2000, près de 300 Mapuches firent l’objet d’accusations judiciaires en Araucanie, pour des réclamations en faveur de leurs communautés. Dix % d’entre eux, approximativement, furent accusés de « terrorisme».

Il est évident que pour préserver ses intérêts économiques et politiques, la droite veut que le Chili tourne le dos au monde et à la démocratie moderne. Elle refuse systématiquement la possibilité et la nécessité d’une coexistence qui tienne compte, dans la justice et le respect de l’identité, au sein d’un Etat multiculturel, des droits souverains spécifiques des peuples autochtones.

Le propos récurrent, dans le discours politique de l’Etat à l’égard des indigènes, consiste à répéter les mots d’ »intégration dans l’identité ». En même temps , la reconnaissance juridique des droits collectifs indigènes équivalant au moins aux accords et aux normes internationales actuels est refusée. De même, il est refusé que ces normes soit réellement appliquées. Les politiques en vigueur visent à rassembler dans les musées et à folkloriser toutes les manifestations des coutumes indigènes, détériorant ainsi leur identité.

Les déclarations d’un nombre significatif d’historiens – membres académiques d’éminentes universités –appellent les citoyens à réfléchir et à agir afin qu’il soit répondu aux requêtes des indigènes et que l’on progresse, dans une perspective démocratique, vers une prise en compte totalement responsable de ces droits humains ; ces droits qui, aujourd’hui, prennent la relève des droits collectifs des indigènes.

*Historien, Université de Santiago du Chili.

– Une traduction de Jean Pierre Plumat pour Investig’Action –

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