Faire la guerre au Mali ou comment éluder les bonnes questions

Le cas du l’intervention au Mali ne déroge pas à la règle : les États occidentaux ne sont prompts à s’attaquer qu’aux conséquences d’un phénomène ; quand bien même d’ailleurs, ses causes seraient à trouver dans la responsabilité de ces mêmes États.

 

S’agissant du rôle de la France, le Conseil engage « les États Membres, y compris ceux du Sahel, ainsi que les organisations régionales et internationales à fournir un appui coordonné à la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali) » . Parallèlement à la mise sur pied de cette force internationale africaine, un large pan de la Résolution souligne la priorité des pourparlers directs ; qui avaient d’ailleurs déjà lieu depuis près d’un an sous l’égide de l’Algérie.


La France a ainsi pris tous les observateurs de court en lançant son opération « Serval » dans le Nord du Mali, ruinant ainsi toute la dynamique diplomatique à l’œuvre jusqu’alors. La Belgique, de son côté, fait preuve d’une constance remarquable dans son suivisme. Peu importe la manière dont elle le fait et les moyens qu’elle y met, notre pays est décidément de toutes les guerres et un « Comité ministériel restreint » suffit à chaque fois pour le décider.


Le cas du l’intervention au Mali ne déroge pas à la règle : les États occidentaux ne sont prompts à s’attaquer qu’aux conséquences d’un phénomène ; quand bien même d’ailleurs, ses causes seraient à trouver dans la responsabilité de ces mêmes États. L’avancée des troupes rebelles vers Bamako est en effet la première raison permettant d’expliquer officiellement l’intervention franco-européenne. Or, d’aucuns oublient trop souvent que cette avancée n’a été permise que par l’intervention militaire occidentale en Libye où les Touaregs et les mercenaires incorporés dans l’armée libyenne se sont enfuis à la chute de Kadhafi, emportant avec eux un arsenal militaire considérable. La deuxième raison entendue pour expliquer – et apparemment légitimer – l’intervention au Mali est la « lutte contre le terrorisme » . La même raison qui a poussé les mêmes États à faire la guerre en Afghanistan ou en Irak, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît. Ces interventions ont-elles fait reculer le phénomène terroriste ? Non. Bien au contraire ! Les attentats ont continué à se multiplier dans ces pays ou ailleurs ; et la prise d’otages dans l’Est de l’Algérie – conséquence directe de l’intervention occidentale – prouve une nouvelle fois que l’histoire se répète. Les différentes expéditions militaires occidentales ont paradoxalement renforcé les organisations qu’elles étaient censées combattre. Et pour cause : cette lutte contre le terrorisme prend pour cadre des États économiquement peu avancés, au système corrompu et autoritaire, où l’exclusion économique d’une majorité de la population est profonde. Ce qu’une guerre ne peut qu’aggraver. Pourtant, la « lutte contre le terrorisme » reste un concept légitimateur fort dans nos pays, au mépris du déroulement des événements et de l’évidence qui se dégage de son observation.


« Heureusement », une troisième raison, plus tangible, se fait entendre pour expliquer l’intervention militaire au Mali, du côté français en tout cas. La région du Sahel est en effet une région riche en pétrole, gaz et uranium2 notamment, et fait l’objet de nombreuses convoitises pour les futurs gisements qui ne demanderaient, selon de nombreux observateurs, qu’à être prospectés et exploités. Cette richesse stratégique explique la présence de nombreux acteurs économiques multinationaux (présence d’entreprises européennes, chinoises, américaines, canadiennes, australiennes, turques, qataries, etc.) dans la région, en même temps qu’elle doit questionner sur la perpétuation de la pauvreté endémique des pays qui en sont les hôtes. Comment cela se fait-il qu’on est pauvre, quand on est riche ? La corruption des dignitaires locaux, souvent présentée comme le facteur explicatif de ce non-sens, est probablement une donnée du problème. Alimenter la corruption en est sans doute une autre. A cela s’ajoute notre système économique d’échanges mondiaux profondément inégal et excluant.


Ainsi, l’analyse de l’intervention militaire au Mali ne peut faire l’épargne de l’analyse des causes qui ont permis ces situations de violence et de déliquescence de l’État ; épinglant par là même les responsabilités internationales. Le calcul est vite fait, la guerre est décidément moins périlleuse et permet étrangement de se positionner au-dessus de la mêlée.


Carlos Crespo, Président de la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie.

 

Carte blanche parue dans Le Soir

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