“En fait, la résistance contrôle l’Irak”

– “Les journalistes font du ‘journalisme à l’hôtel’ ”

– “C’est la résistance qui contrôle le pays, de Kirkuk à Bassorah, et même des quartiers de Bagdad.”

– “En Irak, personne ne veut une guerre civile. Il y a des escadrons de la mort. Pour qui ?”

– “J’ai fait un décompte dans les hôpitaux : 3 à 4.000 tués par mois”

– “Les Britanniques ont occupé la région en 1920. De la même façon. Avec les mêmes conséquences.”

La semaine dernière, le journaliste de renommée mondiale Robert Fisk (The Times, The Independent) présentait son nouveau livre1 dans une librairie anversoise. Quelques extraits.

Pol De Vos

09-11-2005

Les journalistes font du «journalisme à l'hôtel»

Robert Fisk2. En Irak, le journalisme à l'hôtel bat son plein. CBS, CNN tous sont bien à l'abri derrière de hautes murailles de béton. Les correspondants écoutent le porte-parole des États-Unis, se rendent à la conférence de presse des Britanniques et téléphonent au ministre irakien de l'Information. Ils adressent leurs rapports à partir de leur chambre d'hôtel. Je n'ai pas de problème avec ça, mais qu'ils admettent au moins qu'ils ne s'aventurent pas à l'extérieur. Aujourd'hui, ils affichent une image de normalité qui ne correspond absolument pas à la situation. Ce n'est pas ma façon de faire du journalisme

Les Américains se déplacent dans la peur d'une caserne à l'autre

Robert Fisk. Oubliez les histoires autour de la nouvelle constitution. Oubliez le récent référendum. La réalité irakienne est différente. La résistance a le pays sous contrôle, de Kirkuk à Bassora, y compris d'importantes sections de Bagdad. Les Américains se déplacent dans la peur d'une caserne à l'autre dans leurs véhicules blindés.

La résistance vient en grande partie de militaires et d'officiers

Robert Fisk. Récemment, j'ai rencontré trois dirigeants de la résistance armée. L'un d'eux, un général de l'ancienne armée irakienne, m'a dit: «C'est la deuxième fois que nous nous rencontrons. La dernière fois, c'était en 1980, sur la ligne de front face à l'Iran. À l'époque, vous m'aviez interviewé après avoir grimpé sur mon char.» La résistance est constituée en grande partie de soldats et d'officiers.

Depuis le début de la guerre, des dizaines de milliers de civils ont été tués

Robert Fisk. Je voulais avoir une idée du nombre de civils tués par l'occupation. En juillet dernier, je suis donc allé d'hôpital en hôpital et j'ai dénombré, un par un, les cadavres dans les mortuaires de Bagdad. En un mois, j'ai compté 1100 décès de civils résultant de violences. Rien que dans la capitale. Si on ajoute toutes les autres villes, où la violence n'est pas moindre, on en arrive facilement à 3 ou 4 000 tués par mois, ce qui représente pas mal de dizaines de milliers de personnes depuis le début de la guerre.

Des escadrons de la mort sont actifs en Irak

Robert Fisk. En Irak, personne ne veut d'une guerre civile. Dans toute l'histoire du pays, il n'y a jamais eu de guerre civile. Sunnites et chiites ne sont pas ennemis. Mais quand on voit comment une bombe sème la mort et la destruction dans une gare routière, on s'en rend compte: quelqu'un veut attirer l'Irak dans une guerre civile. Tous les attentats ne sont pas l'uvre de la résistance ou d'al-Qaïda. Des escadrons de la mort sont actifs et ils obéissent à des ordres. Des ordres de qui? Moi, je fournis les faits, à vous de tirer les conclusions

Le principal groupe de combattants étrangers? Les Américains et les Britanniques.

Robert Fisk. Le président Bush et Tony Blair parlent sans arrêt des combattants étrangers qui organisent le terrorisme en Irak Mais ils oublient d'ajouter que le principal groupe de combattants étrangers (environ 180.000) portent les uniformes des États-Unis ou de leurs partenaires dans la coalition.

Le départ des Américains aura de l'influence sur le monde entier

Robert Fisk. Bien sûr, il s'agit du pétrole, mais pas uniquement du pétrole. Il s'agit de la construction de l'Empire, les grandes puissances ont un besoin inné de guerres de conquête. Mais la guerre en Irak est finie, pour les Américains L'Occident a perdu la guerre en Irak parce que les Irakiens ne nous intéressent pas du tout. Les États-Unis doivent s'en aller, mais ils sont incapables de le faire C'est pourquoi le sable de désert est de plus en plus imprégné de sang. Le retrait des États-Unis de l'Irak aura de l'influence sur le monde entier. Et vous pouvez en être sûr, dès que les États-Unis annonceront un début de retrait, les troupes britanniques quitteront l'Irak.

L'Occident veut apporter la démocratie au Moyen-Orient. Mais il ne s'agit pas de démocratie, il s'agit de contrôle. Et oui, les Irakiens veulent peut-être un petit peu de nos valeurs démocratiques mais ce qu'ils veulent surtout, c'est leur libération et être débarrassés de l'occupant. Ils veulent la justice et la liberté bien avant la démocratie.

La situation aujourd'hui est aussi grave que celle des années 20

Robert Fisk. Pour comprendre le Moyen-Orient, il faut comprendre l'histoire de la région. C'est la même chose chaque fois, l'Occident pense qu'il peut oublier l'histoire. Dans mon livre, je tire les parallèles entre l'occupant britannique des années 20 et la situation actuelle. Les mêmes brutalités de la part du colonisateur, les mêmes foyers de résistance qui, inévitablement, aboutiront aux mêmes résultats.

1 Robert Fisk. La grande guerre pour la civilisation. La conquête du Moyen-Orient. Ed. La Découverte, 2005, 1437 pages. · 2 Robert Fisk est correspondant au Moyen-Orient depuis 1976. D'abord pour le Times, ensuite pour l'Independent. Par le biais de ses expériences personnes, il retrace dans son ouvrage l'histoire globale d'une région particulièrement agitée.

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