Elections contestées et “désordres” en Russie

Mikhaïl Gorbatchev, l’ancien président de l’URSS, démissionnaire il y a près de vingt ans jour pour jour, a lancé un appel aux dirigeants russes pour qu’ils refassent des élections législatives “honnêtes”, le scrutin du 4 décembre étant largement contesté, y compris par l’OSCE et les Etats-Unis. Plusieurs manifestations de protestataires – unis et partagés entre libéraux et communistes- ont eu lieu, entraînant des centaines d’interpellations et quelques arrestations. Peu de réelles violences jusqu’à nouvelle ordre. Mais un nouveau rassemblement anti-Poutine (l’actuel permier ministre étant la bête noire des opposants) est prévu le 10 décembre.

 

Il n’y a évidemment pas de « Retour de l’URSS » (titre à sensation et ridicule du « Courrier International ») et « Russie Unie » n’est pas un nouveau « PCUS ». (PC soviétique dissous en 1991) Certains observateurs ont apparemment vingt ans, au moins, de retard. Qualifier l'actuelle Russie de "dictature totalitaire" n'est pas sérieux non plus, ou en tout cas…prématuré. Jamais dans son histoire millénaire, la Russie n'a connu d'aussi larges libertés – individuelles, de choix de vie, de commerce, d'expression. La "Démocratie", c'est une autre histoire. Le multipartisme n'a guère pris racine et les partis politiques rassemblent peu de monde. Les élections ont été sans cesse manipulées et trafiquées depuis les débuts de la "Nouvelle Russie".

La brutale libéralisation économique entamée après 1991 a plongé la majorité des gens dans la pauvreté et les stratégies de survie. Les privatisations au profit des oligarques ont…privé les travailleurs et les citoyens de leurs droits formels à la propriété publique. Aucune espèce d'autogestion ou de participation – comme on en rêvait dans les années Glasnost – n'a réellement pu se développer. Sous Poutine, depuis 1999, la conjoncture économique s'est redressée, après une décennie de dépression, les pétrodollars ont enrichi, outre les super-riches, une classe moyenne (20 % de la population ?)

L'Etat a repris le contrôle des ressources naturelles, il est vrai au profit d'une caste-classe dirigeante peu transparente. Des promesses de redéploiement industriel, scientifique, éducatif, social ont valu à Poutine une vaste popularité, entre 1999 et 2008. Depuis lors, les résultats se font attendre, et les "fondamentaux" (démographie, infrastructures, santé publique, éducation) continuent à se dégrader. D'où le mécontentement diffus, exploité par les oppositions jusque là peu influentes. D'où la lassitude et, d'après divers sondages, le pessimisme des jeunes diplômés, qui ont des emplois (nous ne sommes pas en Tunisie) mais songent à partir, à quitter un pays qui leur apparaît médiocre et sans perspectives. Il faut dire qu'en vingt ans de "libéralisation", l'effondrement de la culture littéraire traditionnelle et l'avènement d'une culture audiovisuelle digne de la Berlusconnie n'ont pas peu contribué à une débilisation générale.
Et la priorité absolue aux exportations de gaz et de pétrole – à la course aux profits que cela implique et au mépris de tout ce qui lui est étranger- laissent peu espérer une "renaissance russe".


Le tableau des forces en présence

 

RUSSIE UNIE  (Poutine-Medvedev) est une sorte de « syndicat des élites » et des décideurs – business, pouvoir d’état, gouverneurs et maires, etc…- doublé de mouvements de jeunesse de masse qui, certes, reprennent les « techniques » soviétiques de mobilisation. Mais ce parti n’a aucune idéologie autre que « la modernisation ». Son succès est du au fait qu’il a « rassuré » les gens après le chaos des années 90 et que Poutine apparaissait comme un nouveau leader crédible. Son recul est du au fait que l’autoritarisme officiel n’a pas…d’autorité réelle dans un appareil d’état et une société rongés par la corruption et les illégalismes. Donc, on est encore loin du parti « dictatorial » espéré par certains milieux « décideurs » et policiers…et parfois dénoncé par les opposants.

 

Le PARTI COMMUNISTE de la FEDERATION DE RUSSIE (Ziouganov) N’EST PAS un « PC soviétique » reconduit, mais un parti RUSSE, qui planche sur les intérêts RUSSES. Il cultive bien sûr la nostalgie de l’URSS (répandue dans toutes les couches de la société) et les traditions d’Octobre 1917, de Staline, et de la Victoire de 1945. Mais il affirme aussi un profil nationaliste et s’est rapproché de l’Eglise orthodoxe. Il recrute dans les couches pauvres et âgées. Il revendique la nationalisation des secteurs clé. Au plan international, il se veut « antiimpérialiste » (anti-US), il a soutenu Saddam Hussein et Kadhafi, le régime syrien, l’antisionisme, dénonce les guerres en Libye et celle qui se prépare contre l’Iran

 

Le parti JUSTE RUSSIE (Mironov) a été propulsé par le Kremlin pour concurrencer le PC, de façon à avoir une gauche « loyale ». Mais ce parti s’est pris au jeu, s’est engagé dans des protestations sociales, et s’est réclamé de projets et valeurs partagées entre un héritage « soviétique » et un « réalisme » social-démocrate. Il recrute dans les milieux ouvriers, syndicaux, d’intellectuels « de gauche ». Il occupe désormais (pour combien de temps ?) la place restée vide d’une social-démocratie dont avait rêvé Gorbatchev et qu’a refusé de devenir le PC.

 

 Le PARTI LIBERAL-DEMOCRATE (Jirinovski) est ultranationaliste et xénophobe, mais son nationalisme, à la différence du PC, est anticommuniste. Il flirte avec l’extrême-droite néofasciste mais, à chaque moment décisif, tant sous Eltsine que sous Poutine, se range aux côtés du pouvoir, ce qui lui vaut la suspicion d’être « téléguidé par le Kremlin ». Il recrute surtout parmi les petits entrepreneurs et les commerçants.

 

Le Parti IABLOKO (Iavlinski) est membre de l’Internationale libérale. A la différence des autres partis libéraux eltsiniens, discrédités par les « réformes » catastrophiques des années 90, il porte un regard critique sur ces « réformes » et se réclame d’un libéralisme plus social.

 

A proximité de ce dernier parti se situe la nébuleuse des partis et groupes d’opposition qui réclament une « Russie sans Poutine ».

Par exemple, « Solidarnost » que mène l’ancien dirigeant eltsinien Boris Nemtsov, les mouvements de défense des Droits de l’Homme et des libertés (comme « Mémorial » et « Golos » très cités ces derniers jours chez nous), une kyrielle d’ONG financées par les Etats-Unis (National Endowment fort Démocracy), et – à gauche et à l’extrême-gauche- les mouvements protestataires écologistes, trotskistes, anarchistes etc… 

Au plan international, les opposants libéraux et démocrates en général sont pro-occidentaux, pro-US, pro-Israël, hostiles à la politique extérieure russe jugée « antiaméricaine » et « soutenant les dictateurs ».

Tous ces partis, groupes et mouvements d’opposition – dont seuls les plus libéraux sont mis en avant dans les médias occidentaux- sont vraiment d’accord sur un seul point : éliminer Poutine. Au delà, on peut imaginer que si les ultralibéraux retrouvaient une place dans le pouvoir, ils mèneraient une politique contraire à celle qu’on souhaite parmi les « antipoutiniens » de gauche ou anars.

 

Le Parti National Bolchévik, interdit, se recycle, avec son leader Edouard Limonov dans un mouvement « Autre Russie ».  Ces « natsboly » sont alliés aux libéraux et ont rompu avec l’aile fascisante et « eurasienne » d’ Alexandre Douguine.

 

A noter encore : les protestations sociales se déroulent la plupart en dehors de toutes ces structures politiques. Elles émanent souvent de groupes formés spontanément, dans les usines, les quartiers, les régions, autour de revendications qui portent sur le logement, l’aménagement urbain, la défense de l’emploi,  de l’environnement, des jardins d’enfants, de la gratuité de l’école et des soins etc…

 

 

Elections législatives du 03 décembre 2011: les résultats

 


Suite au décompte mardi de 99,99% des bulletins de vote, le parti Russie unie recueille 49,3% des voix aux élections à la Douma (chambre basse du parlement), le Parti communiste (KPRF) 19,2%, Russie Juste 13,25% des suffrages, le Parti libéral-démocrate (LDPR) 12,0%.


"Il s'agit d'un bilan provisoire que je peux vous remettre aujourd'hui", a déclaré mardi le président de la Commission électorale centrale (CEC) Vladimir Tchourov, au chef de l'Etat Dmitri Medvedev.

Selon M.Tchourov, le taux de participation aux législatives du 4 décembre s'est élevé à 60,2%. 32.348.000 électeurs ont donné leurs voix au parti au pouvoir Russie unie, qui pourrait avoir 238 sièges à la nouvelle Douma. Le KPRF aurait 92 mandats, Russie Juste 64 sièges et le LDPR en obtiendrait 56.

 

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