Dix Belges sous les bombes israéliennes

Jo Cottenier, membre de la direction du Parti du Travail de Belgique, a accompagné au Liban huit jeunes de la région d’Alost. Dans le camp de réfugiés palestiniens de Rashedieh, ils ont été pris sous les bombardements israéliens. « C’est grâce à nos amis palestiniens que nous avons pu revenir si vite en Belgique ». Récit.

Julien Versteegh

20-07-2006

Q: Qu’est-ce qui vous a amené à être au Liban ?

Il s’agissait d’un voyage organisé à l’initiative de An Muylaert, médecin du travail, activiste pour le problème des réfugiés palestiniens. Nous accompagnions huit jeunes de 18 à 23 ans de la région d’Alost et qui n’avaient jamais été au Liban. Nous étions partis faire un camp de travail volontaire dans le camp de réfugiés palestiniens de Rashidieh, à 10 km de la frontière israélienne. Près de 20 000 personnes y vivent sur une superficie de 1 km2. Nous y étions accueillis par l’organisation Beit Atfal Assomoud qui s’occupe d’enfants, de jeunes et mène l’éducation autour des droits légitimes du peuple palestinien.

Nous sommes arrivés au Liban le 3 juillet. Les jeunes se sont très vite familiarisés avec les palestiniens sur place. Ils ont organisé des jeux, des chants, des danses avec les jeunes du camp. Nous avons organisé un pic nick dans les montagnes. Le matin il y avait des animations, l’après-midi des visites de familles pauvres, des discussions, des échanges culturels. Deux jeunes du groupe se sont occupés de repeindre les maisons des familles les plus pauvres.

Nous avons visité la frontière israélienne où des palestiniens expliquaient que leur village n’étaient pas loin de l’autre côté.

Q : Puis sont arrivés les bombardements…

Le matin du 12 juillet, nous étions occupés à des animations avec les enfants. Tout à coup, les palestiniens nous disent qu’il y a un fameux problème, que deux soldats israéliens ont été capturés et qu’il y a des tirs et des bombardements à la frontière. Au loin, nous pouvions voir la fumée des bombardements sur la frontière.

Des avions nous ont survolé. Des jeunes de notre groupe ont vu l’armée libanaise tirer sur les avions.

La situation était très délicate. Nous avions la responsabilité d’un groupe de huit jeunes. Nous avons décidé d’appeler l’ambassade pour savoir ce qu’ils nous conseillaient de faire. Je leur ai téléphoné. D’abord ils étaient paniqués de nous savoir dans un camp palestinien…

A part cela, ils ne savaient pas nous conseiller. Ils nous disaient de rester sur place. Mais les palestiniens nous ont conseillé de partir immédiatement, de ne prendre aucun risque. Ils nous ont fourni un bus avec un chauffeur.

La route vers Beyrouth était déjà bombardée. Nous avons dû faire un grand détour par des chemins de montagnes poussiéreux.

Heureusement, nous connaissions beaucoup de gens sur place, principalement dans les camps de réfugiés palestiniens. Nous téléphonions à chaque déplacement pour annoncer notre arrivée. A chaque fois, nous étions accueilli à bras ouverts. Nous pensions que les évènements se limiteraient au sud du pays. Nous avons logé dans le camp de Mar Elias à Beyrouth. Nous sommes arrivés mercredi après-midi à Mar Elias. Notre avion était prévu le samedi matin. Nous pensions être en sécurité. Mais le jeudi matin à 6 heures, nous avons été réveillé par les bombardements sur l’aéroport.

Les bombardements semblaient ciblés. Mais lorsque nous avons appris que l’aéroport de Beyrouth avait été détruit, nous avons finalement décidé de partir directement vers Damas et la Syrie. Nos amis palestiniens du PYO (organisation des jeunes du Front Populaire de Libération de la Palestine) nous ont aidé pour réserver un bus vers Tripoli, dans le nord. Ils ont contacté le camp de Nar El Baret pour annoncer notre arrivée. La route entre Beyrouth et Damas était coupée. Nous avons donc décidé d’aller vers le nord franchir la frontière. De Nar El Baret, nous avons contacté une compagnie de transport. C’était un combat pour avoir un mini bus. Nous avons payé 325 dollars pour une réservation pour le lendemain. Nous avons logé dans le camp de Nahr El Bared. Le lendemain, vendredi, le bus devait arriver à 10 heures. A midi, il n’était toujours pas là. Les palestiniens ont réussi à négocier un arrangement. L’ambassade belge était en contact avec nous. Mais elle courait derrière les évènements et ne prenait aucune initiative. Ils n’ont même pas demandé les noms des membres du groupe. A part nous dire que nos initiatives étaient bonnes, ils ne faisaient rien.

Finalement notre bus est arrivé à 14 heures. A 16 heures nous étions à la frontière syrienne. Mais tout était bloqué. Nous avons fait les derniers kilomètres à pied à travers un flot de milliers de personnes en fuite.

Pendant 12 heures, nous avons attendu un visa pour pouvoir quitter le Liban. C’était une bataille pour changer de l’argent, avoir des dollars, pour avoir le visa. C’était le chaos complet. Il nous a fallu des heures pour comprendre qu’il fallait payer pour passer. Nous avons payé 50 dollars et 30 euros pour avoir notre visa.

A quatre heures du matin, nous avons enfin pu entrer en Syrie. Arrivés à 7 heures du matin à Damas, dans le camp de réfugiés de Yarmouk où nos amis du PYO nous attendaient.

Nous avons raté l’avion et attendu un jour de plus pour prendre le suivant. Mais nous sommes les premiers Belges à être rentré à Zaventem dimanche soir. Et ceci c’est grâce à nos amis palestiniens qui nous ont admirablement bien aidés. Nous ne nous sommes jamais senti en danger.

Q : Comment expliquer l’offensive israélienne ?

C’était préparé depuis longtemps. Les Israéliens ont différents objectifs, dont celui de détruire la force de frappe du Hezbollah. La capture de deux soldats n’est qu’un prétexte.

Cela reflète leur esprit colonialiste pour lequel un Israélien vaut 100 libanais. Pour deux soldats, la réaction israélienne est complètement démesurée.

C’est un coup monté et préparé. Israël a des ambitions régionales qui sont soutenues par les grandes puissances occidentales. Ils veulent déstabiliser le gouvernement libanais qui est très déjà très fragile. On y retrouve le Hezbollah et des ennemis féroces du Hezbollah.

Dans l’histoire, Israël a déjà essayé d’imposer au Liban une dictature à la botte d’Israël. Aujourd’hui ils semblent refaire la même chose, en essayant de complètement déstabiliser le gouvernement et forcer une partie de celui-ci à combattre le Hezbollah. Il y a aussi la volonté de façonner un nouveau Moyen-Orient à la solde des Etats-Unis. Aujourd’hui, à travers le Liban, ils ciblent la Syrie et l’Iran. Les Etats-Unis veulent instaurer un contrôle global sur la région. C’est pour cela qu’il faut être solidaire de la lutte palestinienne et de ceux qui les soutiennent.

Le Hezbollah est présenté comme une menace dans la région. Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer ?

Nous avions demandé avant le voyage une rencontre avec quelqu’un du Hezbollah. Nous nous sommes rendus à Saïda où nous avons été reçu par le dirigeant du Hezbollah du Sud Liban, le sheik Nabil Kaouk. Nous avons discuté une heure ensembl au cours d’une entrevue très amicale et très ouverte.

Le Hezbollah se déclare complètement solidaire de la lutte palestinienne. Il est scandalisé par les événements de Gaza. Quand une famille palestinienne est massacrée sur une plage de Gaza tout les médias parlaient du Mondial de football. Mais quand un soldat israélien se fait enlever, la communauté internationale parle du terrorisme palestinien ou du terrorisme du Hezbollah.

Le Hezbollah veut continuer le combat pour faire respecter les résolutions de l’ONU et la création de l’état palestinien.

Le Hezbollah est une force politique importante dans la vie politique libanaise. Leur conception de la société n’est évidemment pas la nôtre, ils veulent une société islamique. Mais si l’on interroge les progressistes libanais, tous ont beaucoup d’admiration pour la capacité d’action du Hezbollah. Après une heure d’entrevue avec le sheik, trois télévisions libanaise sont arrivées dans le bureau : Al Manar, LBC et TV News. Nous sommes passés sur les trois chaînes avec un message de soutien à la lutte palestinienne.

Le Hezbollah est le seul parti libanais qui a la volonté et la capacité de résister à Israël. Et la question est la suivante : soit on résiste, soit on accepte l’injustice. Israël ne reconnaît pas les élections libres palestiniennes. Une partie du gouvernement palestinien a été arrêté. Israël massacre sans que personne ne bouge. C’est dans ce contexte que le Hezbollah a kidnappé deux soldats israéliens.

Mais leur rôle est contesté dans la vie libanaise. Le Hezbollah a deux ministres au sein du gouvernement. Mais beaucoup s’opposent au Hezbollah. Israël et les Etats-Unis exigent que le Hezbollah respecte la résolution de l’ONU 1557 qui exige son désarmement. Le Hezbollah dit qu’il acceptera lorsque toutes les résolutions concernant les palestiniens seront appliquées, y compris le retour des réfugiés.

Q : Il semblerait pourtant que l’Iran et la Syrie sont derrière toute cette affaire…

C’est évident que la Syrie et l’Iran soutiennent le Hezbollah. Mais Israël a un soutien combien plus important des Etats-Unis. Israël possède l’arme atomique et des armes sophistiquées.

Le soutien de la Syrie et de l’Iran n’explique pas l’énorme soutien de la population libanaise pour le Hezbollah. Car le Hezbollah ne ferait pas ce qu’il fait s’il ne comptait sur un grand soutien parmi la population. Le Hezbollah s’est constitué comme organisation de résistance lors de l’invasion israélienne du Liban en 1982. Il me semblera très difficile de venir à bout du Hezbollah. L’attaque israélienne ne fera que renforcer les ressentiments à l’égard d’Israël.

Q : Une expérience comme celle-là doit laisser des traces…

Pour le groupe c’était une aventure incroyable. L’ambiance était très chaleureuse. Mais c’était très triste de devoir abandonner tous ces amis. Nous avons vécu en première ligne le début des hostilités. Le fait de vivre cela nous a laissé une sensation unique. Nous avons pu comprendre la question palestinienne, la question du Hezbollah et la brutalité de l’armée israélienne qui bombarde n’importe quoi.

Le groupe est prêt à retourner là-bas. Les parents ont vu que nous avions été responsables par rapport aux jeunes.

Ces jeunes qui n’étaient pas politisés sont aujourd’hui convaincus de la justesse de la lutte palestinienne et de la résistance à Israël.

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