Deux pays, une même terre : détruire les ghettos

Il y a quelques années, ma vie était un long fleuve tranquille. Issue d’une famille de la petite bourgeoisie algérienne, je suis venue en France pour finir mes études et à l’issue d’études supérieures et approfondies, j’ai obtenu dans une université française le diplôme de doctorat en informatique et mathématiques appliquées, mention très honorable avec les félicitations du jury.

Je voulais revenir en Algérie et aider à la construction de mon pays mais les événements tragiques que l’Algérie a connus ont retardé mon retour et à la fin de la guerre civile, mes enfants avaient grandi et mon retour s’avéra alors être problématique.

Une question se pose alors à moi : Suis-je « plutôt française » ? Si oui, cela signifierait-il que je dois oublier les venelles marchandes, les souks, les hammams et les mosquées de ma terre natale ? De même dois-je aussi oublier le pain de ma mère et le café de ma mère ? Et la voix de l’imam psalmodiant des paroles coraniques en cette belle langue arabe forte et musicale, dois-je aussi l’oublier ? Certainement et honnêtement non, j’en suis incapable !

Suis-je alors « plutôt algérienne » ? Si c’est le cas, signifierait-il alors que je dois oublier mes vingt deux années passées en France ? Oublier que je respire l’air de ce pays, mange son pain et bois son eau ? Oublier que mes meilleurs amis sont français, que mes élèves et mes enfants sont français et que ma maison et que mon jardin dont je caresse chaque fleur chaque matin se trouve en cette terre de France ? Là encore, je dis non, je suis incapable de le faire !

Durant toute ma vie, j’étais bercée par les deux langues et les deux cultures, arabe et française ; mon identité est faite de mélanges et de croisements, je ne suis ni une Arabe « pure », ni une française « pure », je suis faite d’un amalgame et d’une conjonction heureuse de ces deux cultures. Mon identité complexe et multiple ne peut se réduire à une simple appartenance nationale, raciale ou ethnique ; elle est un pont pour tisser des liens, dissiper les malentendus et réconcilier les fâchés.

Mon identité est imprégnée d’une autre composante plus forte car universaliste ; elle prend ses racines de toutes les cultures, toutes les langues, toutes les prières et toutes les civilisations du monde.

Puis vinrent le 11 septembre et la guerre sainte de Bush contre le monde islamique ; les incompréhensions, les haines et les manichéismes s’y développèrent et s’en nourrirent pour entraîner la planète dans une guerre de civilisation aux conséquences désastreuses et imprévisibles.

Au début, J’ai choisi l’option de la neutralité ; j’ai bouché mes oreilles et fermé mes yeux à l’instar d’ Omar Al Khayam qui a traversé un siècle tumultueux, une coupe de vin dans une main et une plume dans l’autre, ne se souciant guère de ce qui l’entourait. Cependant, devant les guerres destructrices contre des peuples faibles et l’assimilation de tout musulman à un terroriste potentiel, toute neutralité devenait coupable.

Tout tend à prouver que l’on va vers l’irrémédiable, vers une catastrophe que les mots « Nakbah » et « Shoah » seront insuffisants à la nommer comme l’affirme Edgar Morin. La peur de voir le musulman devenir le nouveau juif, a fait resurgir en moi une composante musulmane endormie de mon identité « Chaque être humain a plusieurs identités. Je suis un être humain. Je suis égyptien lorsque les Égyptiens sont opprimés. Je suis noir lorsque les noirs sont opprimés. Je suis juif lorsque les juifs sont opprimés et je suis palestinien lorsque les Palestiniens sont opprimés » a écrit Chehata haroun, ce juif Egyptien qui a refusé de quitter son pays l’Egypte pour émigrer en Israël. Et je suis musulmane quand les musulmans sont opprimés.

Lors de l’affaire des caricatures, naïvement, je m’attendais à trouver, de la part de l’ensemble de ma famille politique, un soutien à une communauté victime d’un racisme abject. Au lieu de cela, arrogance, égoïsme et suffisance prirent bien souvent le dessus « Nous sommes le pays des droits de l’homme et nous ne permettons pas à des barbares de saper nos libertés », ai-je lu et entendu, tandis que sur internet, s’ajoutaient parfois, sur de nombreux sites, des messages haineux et racistes.

J’ai constaté qu’une communauté déjà affaiblie et meurtrie est presque seule face à ce racisme agressif et pernicieux ; une communauté attaquée de toute part ; j’ai constaté peu de compassion et peu de soutien. Cela m’a rappelé les années trente et leur horreur. Effrayée, j’ai constaté que le musulman est en train de prendre la place du juif.

J’ai tenté de lutter contre vents et marées pour, à ma manière, porter la voix des sans voix et j’ai publié l’article « Les caricatures de Mohammed et l’idéologie occidentale » ; cela m’a valu, une avalanche de critiques et d’attaques. Certains m’ont accusé de stigmatiser l’occident et d’autres de racisme « anti blanc ».

L’affaire des caricatures offre les prémisses d’un avenir sombre. Les probabilités actuelles d’un grand désastre sont alarmantes, s’inquiète Edgar Morin, mais il arrive que l’improbable et l’imprévu changent le cours de l’histoire rassure t-il.

Une part de cet imprévu se trouve certainement dans la volonté de comprendre la culture musulmane et d’instaurer un dialogue dans le but d’une coexistence et non pour dominer et humilier : « si elle est authentique, la volonté de comprendre les autres cultures exclut toute ambition dominatrice. Là est l’humanisme. Sinon la barbarie l’emporte » écrit Edward Said dans « l’orientalisme ».

A ce niveau, la gauche a une responsabilité vis-à-vis des français musulmans et de la nature du dialogue à instaurer. Elle doit lutter contre tous les racismes, combattre les préjugés, les discriminations afin que les musulmans de France ne finissent pas dans des ghettos communautaires.

Car une identité est faite de multiples appartenances ; elle n’est pas immuable et se transforme tout au long de l’existence. Quand une personne est attaquée à cause de sa religion, de la couleur de sa peau ou de sa tendance sexuelle, elle voit son identité toute entière envahie par la composante attaquée et l’identification ne se fait qu’à elle et à elle seule. Ceux qui la partagent se sentent solidaires, se regroupent et finissent dans des ghettos communautaires.

Et la responsabilité de la gauche aujourd’hui est de détruire les ghettos et non de les construire.

Bibliographie

1- Le monde moderne et la question juive, Edgar Morin, éditions du Seuil, 2006.

2- Les identités meurtrières, Amin Maalouf, éditions Grasset, 1998.

3- L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, par Edward W. Saïd (1935-2004), éditions du Seuil

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