Des dollars et des fascistes pour Iouchtchenko

En Ukraine, la lutte pour le pouvoir se poursuit. Quelles sont les forces politiques qui encadrent les manifestants de Viktor Iouchtchenko, le candidat soutenu par l’Occident ?

 

 

 

Dans l'Est de l'Ukraine, des centaines de milliers de personnes manifestent pour la présidence de Ianoukovitch. Dans l'Ouest et dans la capitale, par contre, ils sont des centaines de milliers à réclamer une nouvelle élection. Des masses de jeunes sont mécontents à juste titre de la crise économique qui sévit depuis les privatisations de 1991. Ils réclament du changement et sont faciles à mobiliser. Les ministres et le parlement de Kiev sont encerclés et paralysés par les manifestants qui agitent les drapeaux orange de Iouchtchenko, mais également les drapeaux rouge et noir de l'UNA-UNSO, les néo-nazis ukrainiens. Les manifestations en faveur de Iouchtchenko sont financées, entre autres, par le multimilliardaire Soros, qui n'en est pas à son coup d'essai. Soros a déjà recouru à ce genre de scénarios pour les coups d'Etat en Serbie et en Géorgie.

 

 

Les nazis de l'UNA-UNSO

 

L'OUN (Organisation des Nationalistes Ukrainiens) a entamé en 1929 ses attaques armées contre le pouvoir soviétique en Ukraine. Durant la Seconde guerre mondiale, leur chef, Stepan Bandera, a combattu aux côtés des occupants allemands. En 1941, son principal général, Choukhevitch, vêtu de l'uniforme allemand du Nachtigall Bataljon, a assassiné sept mille juifs. Après la guerre, les cadres de l'OUN ont été réaffectés dans les services secrets américains et la diaspora ukrainienne aux Etats-Unis a constitué un lobby d'extrême droite antisoviétique de masse.


Après la chute de l'Union soviétique, les successeurs de l'OUN, restés en Ukraine, ont fondé l'UNA-UNSO, en clair l'Assemblée nationale ukrainienne-Autodéfense populaire de l'Ukraine. En 1999 et 2000, ces néo-nazis ont incendié à Lviv (l'ancienne Lvov) des maisons de communistes, de Russes et de juifs. C'est dans cette région que l'ancien dirigeant de l'UNA-UNSO, Andry Chkyl, a été élu au parlement avec le soutien de Notre Ukraine, le parti politique de Iouchtchenko. Le gouvernement ukrainien a discuté pendant deux ans de la réhabilitation des collabos. Dans la région de Lviv, les anciens SS ont finalement touché les mêmes pensions que les anciens combattants contre le nazisme !


Le site internet de l'UNA-UNSO livre une grande bataille de propagande en faveur de Iouchtchenko. On y trouve également des liens vers des articles reprenant les points de vue de George Bush et de Zbigniew Brzezinski, le stratège américain qui, depuis 1997 déjà, exige que l'Ukraine se prépare à entrer dans l'Otan. Dans The Wall Street Journal du 1er décembre – dixit le website des fascistes ukrainiens – Brzezinski exige que Iouchtchenko soit proclamé vainqueur des élections, sinon il va falloir revoter. La Haute Cour de Justice ukrainienne a immédiatement exécuté cette injonction : il y aura de nouvelles élections le 26 décembre.

La revanche de l'Occident


La propagande nationaliste de Iouchtchenko joue sur les contradictions entre l'Ouest et l'Est de ce pays. L'histoire de l'Ukraine consiste en une série d'invasions et d'occupations par l'Occident : au 14e siècle, par la Lituanie, au 15e, par la Pologne, au 17e, par l'Autriche et au 18e, par la Suède. Au 19e siècle, l'Ukraine est devenue une partie de la Russie tsariste, qui était aux prises avec l'invasion de Napoléon. Au 20e siècle, la capitale Kiev tombe successivement aux mains des Allemands (1918), des Polonais (1920) et à nouveau des Allemands (1941). En 1997, le président Koutchma signe la Charte de Partenariat de l'Ukraine avec l'Otan. La même année, cette dernière organise des manœuvres navales dans la Mer noire.


La révolution bolchevique a libéré l'Ukraine du tsarisme. De 1922 à 1991, elle sera une république de l'Union soviétique. Mais ce n'est qu'en 1945 que les provinces les plus occidentales rejoindront l'Ukraine. Dans l'Ouest, les paysans ukrainiens ont été quatre siècles durant les serfs des grands propriétaires polonais qui leur avaient imposé manu militari la langue polonaise et la religion catholique.


La contradiction entre l'Ouest catholique, parlant l'ukrainien (et le polonais) et l'Est orthodoxe et russophone revêt en outre un aspect économique plus important encore. L'Ouest est agricole, mais bien des paysans se font des illusions en croyant que l'Union européenne va les subventionner. L'industrie est concentrée dans l'Est, qui produit 70% du produit national. Autour des charbonnages et des mines de fer du Donbass se trouvent les grandes industries sidérurgiques et chimiques. Lors des privatisations, bon nombre d'entre elles sont passées aux mains d'hommes d'affaires russes. Si l'UE et les multinationales européennes y avaient leur mot à dire, les travailleurs et les capitalistes de la région craignent – non sans raison – que ces entreprises ne soient liquidées.


Pour les travailleurs, cela fait une différence ? Pour qui doivent opter les communistes ? Nous avons posé la question à Tamila Yabrova, président de l'Union des Communistes d'Ukraine.


QUESTION : Les deux candidats à la présidence représentent tous deux le grand capital. Tous deux ont mené des privatisations. Cela fait-il une différence, pour les travailleurs ukrainiens, que l'un ou l'autre soit élu ?

Tamila Yabrova : Il s'agit de deux représentants du capital monopoliste, mais il y a une différence. Iouchtchenko représente exclusivement le capital américain. Il se sert des fascistes et des nationalistes ukrainiens comme de troupes de choc. Nous n'idéalisons pas l'autre candidat, Ianoukovitch. Mais celui-ci représente également les intérêts de la bourgeoisie nationale ukrainienne, laquelle veut garder intacte l'industrie dans l'Est et dans le Sud du pays. C'est favorable au développement de la classe ouvrière. Quand il y a du travail, le mouvement ouvrier est plus fort. Il reconnaît également les droits des russophones et c'est bon pour l'unité des travailleurs.

QUESTION : Les communistes sont quand même pour une société socialiste, pour le pouvoir de la classe ouvrière ? Aucun des deux candidats ne l'assurera.

Tamila Yabrova : C'est vrai, mais, pour le moment, la révolution socialiste en Ukraine n'est pas à l'ordre du jour. Notre tâche actuelle, en Ukraine, n'est pas de renverser le capitalisme mais de défendre notre indépendance contre les Etats-Unis. L'impérialisme américain veut étendre son influence et installer son monopole dans la région. C'est pourquoi il veut couper la Russie du pétrole autour de la mer Caspienne. Dans cette situation concrète, nous soutenons par conséquent Ianoukovitch contre Iouchtchenko. Lénine nous enseigne que nous devons non seulement tirer parti des contradictions entre capitalistes, mais également de la moindre fissure dans le front des capitalistes.

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