Côte d’Ivoire, la loi du sang

Laurent Gbagbo a été arrêté, Alassane Ouattara est installé à la présidence. Pourtant, ce sont toujours les armes qui règlent confits et enjeux de pouvoir en Côte d’Ivoire.

Dans la nuit du 27 avril dans un quartier d’Abidjan, IB alias Ibrahim Coulibaly est mort. Assassiné par ses anciens compagnons d’armes. Sa vie tumultueuse s’est achevée dans son fief d’Abobo, dans le nord d’Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire. Là même où il avait réalisé quelques-uns de ses plus hauts faits d’armes. Depuis Abobo, IB dirigeait le fameux «commando invisible» qui avait réussi à déstabiliser le régime de Laurent Gbagbo.

 



IB n’était pas un petit chef de guerre parmi d’autres. Ibrahim Coulibaly avait joué un rôle de taille dans le coup d’Etat de 1999, qui avait fait tomber le régime d’Henri Konan Bédié. Par la suite, IB avait repris les armes en 2002. La rébellion menée par des nordistes avait failli emporter le régime de Laurent Gbagbo. Seule l’interposition des troupes françaises avait permis de sauver le pouvoir de Gbagbo. IB aimait à se présenter comme le «père de la rébellion».

Si sa mort est un événement considérable, ce n’est pas seulement parce qu’IB était un personnage-clé de l’histoire ivoirienne de la dernière décennie. Ce n’est pas davantage parce qu’il s’agit d’une exécution sommaire. Ces derniers mois, les atrocités se sont multipliées. Début avril, lors de l’avancée sur Abidjan des troupes soutenant Alassane Ouattara, des crimes ont été commis –par les deux camps–, notamment à Duékoué dans l’Ouest. Des centaines de civils ont perdu la vie. Des enfants de 5 ans ont été brûlés vifs.

De même, lors de la chute de Laurent Gbagbo, des proches du Président sortant ont été battus à mort. Ils sont passés de vie à trépas sans autre forme de procès. Il en a été ainsi de l’ex-ministre de l’Intérieur Désiré Tagro, qui avait pourtant joué un rôle-clé dans les négociations de reddition de Laurent Gbagbo. Il est mort le 12 avril des suites de blessures infligées après la prise d’assaut du palais présidentiel où étaient réfugiés les derniers fidèles de Laurent Gbagbo.

 

Répartir le pouvoir par la violence

Toutes ces atrocités ont suscité relativement peu d’émoi. La communauté internationale considérant que le combat des hommes de Ouattara était une «noble cause» dès lors qu’il s’agissait de conduire au palais présidentiel un homme bénéficiant de l’onction du suffrage électoral. Un élu que seule l’obstination de Laurent Gbagbo empêchait d’exercer le pouvoir.

Une idée un peu naïve avait fait son chemin: dès que «Gbagbo le têtu» aura rendu les armes, tout ira pour le mieux dans le pays. Comme par un coup de baguette magique. Mais il n’en est rien.

Longtemps, il a été de bon ton de dire que les armes étaient uniquement utilisées pour faire respecter le verdict des urnes. Mais la mort d’IB montre qu’elles servent aussi à redistribuer «le gâteau», les dépouilles. IB réclamait le titre de général trois étoiles. Il refusait de faire allégeance à Guillaume Soro, le Premier ministre de Ouattara. La réponse ne s’est pas fait attendre.

Pour réclamer le départ de Laurent Gbagbo, les partisans de Ouattara faisaient sans cesse référence au respect de l’Etat de droit. A l’esprit des lois. Mais plus qu’à Montesquieu et à son Esprit des lois, certains d’entre eux semblent emprunter à la pensée de Joseph Staline. Penseur beaucoup moins sophistiqué que Montesquieu, le dirigeant soviétique n’hésitait pas à dire: «Quand il n’y plus d’hommes, il n’y a plus de problèmes.»

IB avait sans doute commis des crimes. Mais n’aurait-il pas mieux valu le traduire en justice? Sa fin prématurée pose questions à tous les Ivoiriens. Quel sort sera réservé à l’avenir aux ennemis du régime? Ou même à ceux qui, sans lui être hostiles, réclament une partie du pouvoir?

Quel avenir demain pour les partisans d’Henri Konan Bédié? L’ex-président (au pouvoir de 1993 à 1999) qui avait appelé à voter Alassane Ouattara au second tour de la présidentielle. Le poste de Premier ministre avait été promis à son parti. Mais pourra-t-il le réclamer? Pourra-t-il l’obtenir? Ces dernières semaines son silence est d’ailleurs assourdissant.

Si le président Ouattara n’a pas les moyens d’empêcher que ses soutiens ne règlent leurs conflits à l’arme lourde, comment peut-il gouverner le pays? Comment peut-il empêcher d’autres règlements de comptes? Au sein même de la population, chez les anonymes, un certain nombre de Bétés (l’ethnie du président Gbagbo) sont terrorisés. Ils n’osent plus sortir de chez eux de peur d’être victimes de violence. Le simple fait de porter un patronyme de l’Ouest est devenu dangereux.

Le climat est si lourd que les Ivoiriens se prennent à imaginer le pire. Si un conflit de pouvoir surgit entre Alassane Ouattara et son Premier ministre Guillaume Soro, il est difficile d’imaginer qu’il se réglera par la voie des unes. Avant de devenir chef-rebelle, IB avait un temps été le garde du corps d’Alassane Ouattara. Tout un symbole…

 

Qui va juger Laurent Gbagbo?

Autre question en suspens, quel sort sera réservé à Laurent Gbagbo et à son entourage? Ses proches se plaignent d’ores et déjà de ne pouvoir lui rendre visite. Dans quelle ville du Nord est détenu l’ex-président?

Il serait dangereux pour les nouvelles autorités de ne pas lui réserver un jugement équitable. Lors de la présidentielle de novembre 2010, près de 45% des suffrages se sont portés sur son nom. Il était majoritaire à Abidjan.

Autre question épineuse: comment juger Gbagbo et son entourage, sans ouvrir la boîte de Pandore? Au cours de la dernière décennie, bien d’autres crimes ont été commis, notamment par les ex-rebelles. Si la justice internationale enquête, elle mettra à jour les crimes des uns et des autres. Difficile à accepter pour certains chefs de guerre qui occupent aujourd’hui le haut du pavé.

Le président Alassane Ouattara a promis la création d’une commission vérité et réconciliation sur le modèle sud-africain. Mais ce type de structure ne peut fonctionner que dans une société pacifiée et démocratique. La Côte d’Ivoire est-elle d’ores et déjà pacifiée? Est-elle déjà sur le chemin de la vérité et de la réconciliation? «Rien n’est moins sûr», explique Alain, un Abidjanais qui se terre chez lui, en attendant les jours meilleurs promis par les nouvelles autorités.


Source : SlateAfrique

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