Contre tout espoir

Une vieille dame sans domicile fixe est morte de froid au début de cette semaine sur la place de la Concorde à Paris. Ce qui aurait été, il y a quelques années, une nouvelle d’importance dans la presse écrite est maintenant réduite, du fait de la banalisation de la misère, à trente secondes à peine au journal radiophonique.

Et la misère avance, discrètement et implacablement, vers de nouveaux sommets. En France, environ 7,5 millions de personnes, c’est-à-dire 12 % de la population, et parmi eux deux millions d’enfants, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Chaque jour, les pauvres sont de plus en plus pauvres mais, heureusement pour les statistiques globales de la richesse, les riches sont de plus en plus riches : une chose compense l’autre. Ainsi que nous le rapporte la journaliste de droite bien informée Sylvie Tierre-Brossolette, les villes jouissant d’un haut niveau social préfèrent payer les amendes que leur impose la loi pour ne pas construire de logements sociaux plutôt que de consacrer cet argent à leur construction. Cela paraît être le cas de Neuilly-sur-Seine, la cité résidentielle des environs de Paris dont Nicolas Sarkozy fut le maire jusqu’à son accession à la présidence. A l’argent considéré comme modèle unique correspond l’hypercroissance des multinationales : Exxon dont la richesse est supérieure à celle de 182 pays membres des Nations-Unies ; les 100 premières entreprises du monde possèdent plus d’un1/3 du PIB mondial ; les riches qui représentaient entre 1936 et 1975 1% de la population nord-américaine et possédaient 5% du PIB des USA ont relevé leur participation à plus de 20% durant ces 30 dernières années.

Richesses amassées à l’abri d’une légalité de façade derrière laquelle se cachent les bourses de valeurs manipulées et leurs cotisations truquées, les PDG voyoux, les Etats complices avec leurs asiles protecteurs du crime – six paradis fiscaux dans la seule Union Européenne – , l’intraitable, l’indomptable empire du gangstérisme économique, le tout fondé et légitimé par les vendeurs du capitalisme de marché qui s’autoproclament philosophes et qui font du darwinisme social la doctrine qui explique tout : les plus forts subsistent et prospèrent, les autres disparaissent. Les choses sont ainsi, tenter de les changer est pire car cela ne fait que produire plus de chaos et de désordre. Quelques emplâtres, oui peut-être, mais proposer d’autres modèles de société, avec d’autres valeurs et d’autres pratiques, chercher des alternatives à ce qui existe et parier de façon irresponsable sur l’improbable, c’est opter pour le terrorisme des utopies. Le rêve est une composante essentielle de l’être humain, non pas cependant le rêves des pauvres, il est fait de feux et de révolutions, mais bien seulement le rêve des riches qui vivent entre le luxe et la luxure, pour le plaisir hédoniste que nous décrit Lipovetsky développant le point de vue de la post-modernité. Face aux affirmations des gardiens du système qui soutiennent que les inégalités sont restées stables et ont diminué dans assez bien de cas, les renseignements les plus fiables prouvent le contraire. Selon Louis Maurin, directeur du Laboratoire des inégalités qui s’appuie sur les données de l’INSEE, la différence de revenu moyen en France entre les plus riches et les plus pauvres a augmenté de 4.682 euros dans les 8 dernières années.

Malgré tout, ce n’est pas ce chiffre qui est le plus inacceptable mais le recours permanent aux rémunérations pharaoniques ,lors du départ des cadres supérieurs (CEO), par le biais des parapluies dorés, le recours aux stock-options, aux plus-values, ainsi que nous le détaille Patrick Bonanza dans son livre Les Goinfres, Flammarion, 2007. Parmi les protagonistes mis en scène figurent toutes les grandes entreprises françaises . Parmi leurs présidents, se détachent Antoine Zacharias, président du Groupe Vinci ,avec près de 220 millions d’euros; Daniel Bernard, de Carrefour, qui partit avec 209 millions après avoir refusé à ses employés une augmentation de 2% ; sans oublier Jean-Marie Messier qui obtint un peu plus de 20 millions après avoir laissé son entreprise Vivendi au bord de la faillite .. Il est évident que les américains continuent, comme en tout, à emporter la palme : Tay Irani de l’Occidental Petroleum obtint 322 millions de dollars et Steve Jobs de Apple emporta le gros lot avec 647 millions. Il est évident également que nous les espagnols nous ne pouvons pas non plus, modestement, nous laisser donner de leçons par personne, les 108 millions d’Angel Corscostegui à l’occasion de sa sortie de Banesto, l’adieu , bien rémunéré également, de Francisco Pizarro à Endesa, sont là pour le démontrer. Face à un enrichissement aussi obscène et agressif, plus d’un milliard de personnes , ainsi que nous le rappelle Gustave Massiah de Cedetim, ont, depuis 1993, dramatiquement réduits leurs revenus déjà insuffisant et, aujourd’hui, plus de 1.600 millions de personnes vivent, ils faudrait dire meurent, avec moins d’un dollar par jour. Nous avons entendu dire par Jacques Delors que notre vieux continent ne peut avoir pour mission d’assumer toute la misère du monde. Ce réalisme complice et inacceptable , tout comme les postulations rhétoriques du Milenium, nous amène à nous retrancher, avec toute notre obstination et du haut de notre insignifiance , dans la résistance critique. Bien que ce soit contre tout espoir.

Publié dans la tribune libre de El Pais 29/12/07

Traduction de l’espagnol: Jean-Pierre Plumat

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.