Combattre « L’Etat Islamique » n’est pas la priorité d’Israël

Défiant le consensus selon lequel la guerre contre l’Etat Islamique (EI, ou Daech, en arabe) serait une priorité pour la communauté mondiale, impliquant des rivaux à échelle internationale tels que les US, l’Europe, la Russie, la Chine et des rivaux à échelle régionale comme l’Iran, la Syrie, l’Arabie Saoudite…,la guerre menée par les Etats-Unis n’est pas la priorité régionale d’Israël ni de la Turquie. Israël n’est pas non plus l’une des priorités de l’ EI.

Photo : Le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu parle à un rebelle syrien pendant une visite à l’hôpital militaire localisé dans les montagnes syriennes du Golan, près de la frontière syrienne. Mardi 18 Février 2014

La priorité absolue d’Israël est d’imposer les termes d’un traité de paix à la Syrie avant de retirer ses forces du territoire syrien occupé ainsi que des territoires palestiniens au Sud du Liban.

Pour cela, Israël est déterminé à rompre son principal obstacle, l’alliance Syrie-Iran. Changer le régime actuel de Damas ou de Téhéran serait un pas en avant. L’Etat Islamique peut être envisagé comme faisant partie des plans d’Israël vis-à-vis de cet objectif stratégique.

Devant l’assemblée générale qui s’est tenue en septembre dernier, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu déclarait que « vaincre l’ISIS (l’Etat Islamique en Syrie et Irak) et laisser l’Iran au seuil de l’énergie nucléaire revenait à gagner une bataille et perdre la guerre ».

Amos Harel a déclaré dans Foreign Policy le 15 septembre 2013 qu’il n’est donc ’’pas surprenant que le gouvernement de (Benjamin) Netanyahu n’ait pas encore pris de mesures immédiates contre l’Etat Islamique.’’

Il serait même question pour Israël d’aller dans la direction opposée, en offrant les moyens à l’EI et à d’autres groupes terroristes d’aller combattre en Syrie.

Le quotidien israélien Haaretz du 31 octobre 2013 citait un ’’Officier Général’’ selon lequel la coalition dirigée par les Etats-Unis ’’fait une grosse erreur en combattant l’Etat Islamique…les Etats-Unis, le Canada et la France sont du même bord qu’Hezbollah, que l’Iran et que (le président Syrien) Bashar al-Assad. Cela n’a pas de sens.’’

Le 8 septembre, The Jerusalem Post a indiqué qu’Israël avait fourni des « images satellite ainsi que d’autres informations » à la coalition. Trois jours plus tard, Netanyahu déclarait lors d’une conférence à Herzliya : « Israël supporte entièrement l’appel du Président Barack Obama pour une action unie contre l’EI. Nous jouons notre rôle dans cet effort continu. Certaines choses se savent, d’autres moins ».

L’appel d’Obama était un feu vert pour le soutien israélien des rebelles syriens et non-syriens. Des déclarations syriennes officielles font état d’une coordination très proche d’Israël avec les rebelles.

Les déclarations israéliennes prétendent que ces aides sont « humanitaires » et destinées à une opposition syrienne « modérée ». Opposition que les Etats-Unis ont déclaré avoir entraînée et armée en Arabie Saoudite, en Jordanie et en Turquie. Une partie non négligeable des 64 milliards de dollars destinés aux conflits à l’étranger de la législation budgétaire d’Obama (19 décembre 2013) ira à ces « modérés ».

Ni les Etats-Unis ni Israël ne s’inquiètent de savoir si ces « modérés » resteront fiables après avoir été lourdement armés, ni si le terme ’’d’opposition’’ reste approprié.

Mais le fait qu’Israël soit le seul pays voisin de la Syrie qui ferme ses portes aux réfugiés, pendant qu’il soigne les rebelles avant de leur permettre de repartir au front, contraste avec la ’’cause humanitaire’’ défendue. 

 

L’EI va fermer les frontières israéliennes 

 

Le 3 septembre dernier, le Ministre des Affaires Etrangères israélien a confirmé que le journaliste américain Steven Sotloff – qui fut décapité – était également un citoyen israélien. Dans un discours adressé à la famille de Sotloff, Netanyahu qualifiait l’EI de ’’branche d’un arbre empoisonné’’ et de ’’tentacule d’un terrorisme Islamiste violent.’’

Le même jour, le Ministre de la Défense Moshe Ya’alon déclarait officiellement hors-la-loi l’EI et ses associés.

Le 10 Septembre, une réunion urgente sur la sécurité était organisée par Netanyahu pour se préparer au possible danger que représentait l’Etat Islamique se rapprochant de la frontière israélienne. Un danger confirmé par les dernières batailles entre l’EI et le front al-Nusra à la frontière sud Syrie-Liban, et dans le champ de mire de l’artillerie israélienne.

Le 9 Novembre, Ansar Bait al-Maqdis (ABM), qui avait lutté contre l’armée égyptienne, relayait un enregistrement audio sur lequel il plaida allégeance à l’EI. Il déclarait plus tard le premier wilayah (province) dans la péninsule égyptienne du Sinaï, au sud d’Israël.

Le 14 Novembre 2013, The Israeli Daily citait Netanyahu déclarant lors d’un meeting confidentiel organisé à propos de la Défense que l’EI est ’’actuellement actif hors du Liban…près de la frontière nord d’Israël. Nous devons considérer cela comme une menace sérieuse’’.

Mais, ’’en réalité, comme les services secrets israéliens font vite l’état des lieux, il n’y a pas de signes que quelque chose de la sorte arrive’’, écrivait Amos Harel dans Foreign Policy cinq jours plus tard.

En septembre, Mosch Ya’alon disait aux journalistes que l’organisation terroriste ’’agit loin d’Israël’’ et, de ce fait, ne représente pas une menace imminente. L’activiste pacifiste Uri Avnery écrivait le 14 Novembre : « Les Généraux, actuels et précédents, qui ont bâti la politique israélienne ne peuvent que sourire quand le mot ’danger’ est mentionné. »

Israël ’’ne voit certainement pas l’EI comme une menace extérieure” et ’’l’EI n’est pas non plus une menace interne à la sécurité intérieure d’Israël’’, a déclaré Dimi Reider, journaliste israélien et membre de l’Associate Policy Fellow at the European Council on Foreign Relations sur un blog de Reuters le 21 Octobre dernier.

Ce que Netanyahu décrivait comme une ’’menace sérieuse’’ dans le nord n’est pourtant pas suivi d’action contre le groupe car, toujours selon le Premier Ministre israélien, ’’nous devons supposer que le Hezbollah’’, qui est allié à la Syrie et l’Iran, ’’n’a pas fait son propre ménage’’.

La présence d’un wilayah de l’EI à la frontière sud entre Israël et l’Egypte préoccupe ce pays, plongé dans un violent conflit interne “anti-terroriste” qui empêche toute aide égyptienne permettant de stabiliser la région arabe du Levant ou de soutenir les Palestiniens dans leur combat pour mettre fin à l’occupation de leurs terres. Sans parler du fait que la présence de l’EI oppose déjà l’Egypte à l’ennemi numéro un d’Israël, le Hamas, dans la bande de Gaza et crée un environnement hostile qui mène au renfort de la coopération militaire entre l’Egypte et Israël.

Donc, Israël ne va pas ’’interférer’’ car ’’ce sont des affaires internes aux pays où cela a lieu’’. “De manière informelle, Israël est prêt à assister…mais pas en aidant militairement ni en rejoignant la coalition” (menée par les Etats-Unis) contre l’EI, selon le chef-député de l’ambassade israélienne de Moscou, Olga Slov, cité par un média russe le 14 novembre. 

 

La Jordanie, c’est une autre histoire

 

Les voisins à l’Est d’Israël, la Jordanie et la Syrie sont une autre histoire.

’’La Jordanie se sent menacée par l’EI. Nous coopérerons avec eux d’une façon ou d’une autre’’ a dit l’ambassadeur Slov. Les médias jordaniens ont rapporté que plus de 2000 Jordaniens avaient rejoint le groupe dissident d’Al-Qaeda, c’est à dire l’EI, ainsi que la branche d’al Qaeda, le front al-Nusra, ou d’autres rebelles combattant pour un Etat “Islamique” en Syrie. Des centaines d’entre eux ont été tués par l’armée arabe syrienne.

Le 27 juin dernier, The Daily Beast citait Thomas Sanderson, co-directeur au Center for Strategic and International Studies, affirmant qu’Israël considère la survie de la Jordanie comme un ’’objectif essentiel à la sécurité nationale.’’

Si la Jordanie demande l’assistance d’Israël pour la protection de ses frontières, Israël n’aurait pas ’’beaucoup d’autre choix’’ que celui d’aider, selon Yaakov Amidror, directeur du Conseil de Sécurité Nationale d’Israël, cité par Beast.

Par précaution, Israël est en train de construire une ’’barrière de sécurité’’ de 500 km à la frontière avec la Jordanie.

Pendant qu’Israël veut et se prépare à “intervenir” dans les affaires jordaniennes, il est déjà fortement impliqué en Syrie, où la vraie bataille fait rage depuis maintenant 4 ans contre les terroristes de l’EI.

The Associated Press rapportait que l’EI et Al-Nusra ont conclu un accord pour arrêter de se combattre mutuellement et coopérer dans le but de détruire les rebelles entrainés et soutenus par les Etats-Unis (Le front des Révolutionnaires Syriens et le Mouvement Hazm) ainsi que les forces armées du gouvernement syrien au Nord du pays.

Mais Colum Lynch (à Foreign Policy le 11 juin 2014) nous rappelle qu’au sud de la Syrie, ces groupes terroristes se coordonnent avec d’autres et ont abouti à ce qu’appelle le Lieutenant-Colonel Peter Lerner – porte-parole des Forces d’Occupation Israéliennes – un ’’accord à l’amiable’’ avec Israël à la frontière.

En Octobre 2014, Al-Nusra, la branche syrienne d’Al Qaeda, faisait partie des groupes de rebelles qui ont pris la seule frontière de Quneitra entre la Syrie et les Hauts du Golan occupés par Israël. On attend toujours une réaction d’Israël.

Le 19 Septembre 2014, Raghida Dergham, rédacteur et diplomate chevronné, correspondant au quotidien arabe Al-Hayat basé à Londres, écrivait que ’’beaucoup de Sunnites en Irak et dans le Golfe considèrent l’EI comme une arme contre l’extrémisme chiite, dans leur quête pour récupérer leur “position perdue’’.

Un accord politique public entre Israël et les pays Arabes du Golfe s’est développé sur la base d’une compréhension mutuelle autour de leur priorité régionale : le démantèlement de l’alliance Syrie-Iran comme prélude à un ’’changement de régime’’ dans ces deux pays ; sans perdre de vue les aboutissants, c’est-à-dire imposer la paix avec Israël en tant que pouvoir régional sous l’hégémonie des Etats-Unis. L’EI est un instrument utile pour ces objectifs. La guerre des Etats-Unis contre l’EI serait sans intérêt, pour le moment du moins.

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Source : Nicola Nasser

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