Bush veut provoquer Chavez

Avec l’expulsion, en dehors de toute norme juridique, de la diplomate vénézuélienne Jeny Figueredo, bras droit de l’ambassadeur vénézuélien aux Etats-Unis, le conflit des Etats-Unis avec Caracas atteint son point culminant.

María Corina Machado et le jeu indécent de Washington contre le Venezuela, par Larry Birns

VenezuelAnalysis/ COHA, mercredi 18 février 2006.

Les pressions diplomatiques de la part de Washington se multiplient, par exemple avec les manœuvres de Washington pour empêcher l’achat d’équipements pour les modestes forces armées vénézuéliennes. Le quiproquo lors de l’expulsion de la diplomate vénézuélienne n’est qu’un exemple de plus où le gouvernement Bush jeter de l’huile sur le feu de façon délibérée dans les difficiles relations entre les deux pays. Cet épisode après les accusations du Venezuela conte l’attaché militaire John Correa qui réalisait des activités d’espionnage, ce qui avait conduit à son expulsion du pays (le Venezuela n’avait aucune raison d’inventer cette accusation, et Washington avait toutes les raisons de la démentir). La brutalité de la réponse diplomatique montre que la stratégie de Washington allait au-delà d’un nouveau geste hostile à l’encontre d’un Chávez dont on sait l’âpreté. L’opinion publique doit maintenant se pencher sur cette affaire d’expulsion parce qu’elle représente une illustration de l’utilisation de la diplomatie afin de dégrader, au lieu d’améliorer, les relations entre les deux antagonistes.

Le geste de Washington est complètement disproportionné et rompt avec les conventions diplomatiques. Dans des circonstances normales, si un pays expulse une personne appartenant à la liste des résidents diplomatiques, on doit répondre à ce geste en visant une personne de rang et de situation comparable. Dans ce cas-là, le département d’Etat a mis un point d’honneur à choisir d’expulser la diplomate se trouvant au deuxième niveau dans la hiérarchie de l’ambassade vénézuélienne à Washington. Ces continuelles démarches négatives doivent être comprises comme faisant partie de la campagne permanente de Bush contre Chávez. Dans sa volonté d’attenter contre l’ordre constitutionnel vénézuélien, Washington finance des cabales anti-Chávez confectionnées au Venezuela même, afin de pouvoir simuler une réaction outragée lorsque les organisateurs de ces basses œuvres sont finalement menacés de poursuites. L’exemple le plus clair c’est tout ce qui se joue autour de María Corina Machado, dirigeante de l’organisation radicalement anti-chaviste Súmate.

Indignation déplacée

Pour l’un de ses premiers gestes en tant que secrétaire d’Etat assistant pour les affaires interaméricaines, Thommas Shannon s’était présenté devant le sous-comité de la Chambre des représentants pour l’hémisphère occidental en novembre 2005, où il avait dénoncé la « persécution » de Machado et d’Alejandro Plaz, dirigeants de l’organisation électorale Súmate. Ces deux personnes font actuellement face à des poursuites pour « conspiration contre la forme républicaine de la nation », accusation basée sur l’encaissement par Súmate de la somme de 31 000 dollars provenant de la National Endowment for Democracy (NED). En ce qui concerne donc Shannon, tout espoir de le voir travailler de façon professionnelle et modérée s’évapore maintenant. L’extrémisme idéologique de la Maison Blanche, qui a tellement nui aux relations entre l’Amérique latine et les Etats-Unis, semble devoir se poursuivre.

Tandis que Washington tente de dépeindre le procès contre Súmate comme un acte de vendetta politique commis par un gouvernement autoritaire contre une débonnaire dirigeante politique, la vérité c’est que selon les normes de beaucoup de pays – y compris les Etats-Unis – les organisations politiques locales ne peuvent pas accepter des contributions financières provenant de l’étranger pour des questions électorales.

Cependant le gouvernement Bush contribue de façon enthousiaste à aider madame Machado et l’organisation Súmate. Cette affaire est devenue paradigmatique pour l’évaluation des relations entre Washington et le gouvernement de Chávez. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie, le gouvernement Bush avait fait venir Machado à Washington en mai 2005 où on lui avait offert une forte visibilité avec séance de photos avec le président Bush dans le bureau ovale et conférence de presse au Capitole. Chacune de ces occasions avait permis à la Maison Blanche de blâmer le gouvernement Chávez pour ses supposées tendances autoritaires.

Si on se limite à prendre au mot leur invraisemblable histoire, ce que Machado et Plaz reconnaissent avoir commis aurait provoqué la même réaction judiciaire aux Etats-Unis, où le Code électoral fédéral interdit expressément pour les campagnes électorales états-uniennes les dons provenant de gouvernements ou de citoyens étrangers. C’est précisément cette interdiction qui avait provoqué le scandale autour de John Huang, lorsque ce contributeur à la campagne démocrate avait été accusé de transmettre, en fait, une aide provenant des autorités chinoises, lesquelles auraient alors recherché les faveurs des dirigeants du Parti démocrate. Washington considère donc que de telles restrictions dans la loi vénézuélienne n’ont pas la même validité ou n’ont pas les mêmes caractères d’applicabilité. En fait les autorités de Caracas accusent Machado d’être le fer de lance de la déloyale opposition politique locale. Cette organisation composée de membres de la classe moyenne bien placés était prête à endommager de façon irréparable et permanente le système politique vénézuélien afin de renverser l’actuel gouvernement qu’elle méprise.

C’est la loi

L’affaire Plaz et Machado semble claire. La Loi vénézuélienne sur les partis politiques, les réunions publiques et les manifestations [Ley de Partidos Políticos, Reuniones Públicos y Manifestaciones], qui remonte à 1965, contient une clause en son article 25 selon laquelle les partis « ne doivent pas accepter de donations ou subventions provenant d’entreprises étrangères, ou d’organisations ou gouvernements étrangers ». Les autorités de Caracas affirment donc que le fait que l’organisation ait accepté un don de 31 000 dollars de la part de la NED constitue justement l’acceptation d’une donation d’origine étrangère, et donc que l’activité de Súmate lors du referendum de 2004 – activité financée grâce à ce don – relevait de la politique et non de la « promotion de la démocratie » non partisane.

La générosité de la NED envers les riches

Une recherche rapide révèle que la NED est loin d’être une organisation de charité tout à fait ordinaire. En fait, le mot « endowment » [don ou dotation] sert à cacher quelque chose. La NED a toujours été gérée quasiment comme une agence d’intelligence dont l’objectif principal était de blanchir de l’argent destiné aux organisations d’extrême droite, à l’étranger, qui avaient besoin de liquidités pour financer leurs coups ou pour assassiner leurs adversaires. Les architectes de la politique Reagan avaient d’abord réussi à obtenir le soutien du Congrès – Démocrates compris – en inventant un système satisfaisant aussi bien les Républicains que les Démocrates. Cela avait été obtenu en procédant à la division des fonds : la moitié pour des opérations ouvertement centristes comme le National Democratic Institute (NDI), devant jouer le rôle de déodorant libéral pour combattre l’odeur nauséabonde des trois autres bénéficiaires, qui envoyaient des fonds pour aider les causes extrémistes. La NED a été soutenue par le Congrès et la presque totalité de son budget de 80,1 millions de dollars en 2004 provenait du contribuable états-unien. Il faut aussi noter que la NED avait été fondée par le Président Reagan au plus chaud de la Guerre Froide et elle était destinée à financer secrètement des opérations controversées avec lesquelles le département d’Etat ne souhaitait pas être associé publiquement.

Carl Gershman est président de la NED depuis sa fondation. C’était l’un des idéologues les plus à droite du gouvernement Reagan (il travaillait sous les ordres de Jeanne Kirkpatrick, alors ambassadrice auprès de l’ONU, ambassadrice de type Bolton). Tout au long de son histoire, l’organisation – dont les soutiens, y compris la Chambre de Commerce et le International Republican Institute (IRI), ont été impliqués dans des projets controversés poursuivant les mêmes objectifs idéologiques – a soigneusement réservé ses fonds pour l’aide aux causes extrémistes. En Haïti par exemple le IRI était intimement lié aux « bandits » paramilitaires (ainsi décrits par Powell, alors secrétaire d’Etat) qui ont renversé le Président constitutionnel Jean-Bertrand Aristide. Ce genre de compromissions peu ragoûtantes est apparu avec évidence dans un article récent du New York Times, lequel suggérait que le IRI avait œuvré de façon partisane conte Aristide plutôt que de se comporter de façon non partisane. Il n’est pas trop exagéré de dire que le soutien de l’IRI pour Súmate était la répétition de ses agissements, très controversés, en Haïti.

L’histoire d’une innocence

Alors que les avocats de Súmate arguent du fait qu’il s’agit d’une ONG, il est indéniable que, depuis sa fondation, cette organisation a été une organisation archi-politique avec une claire orientation idéologique. Comme un rejoué des millions de dollars apportés par la NED pour collaborer en 1990 à la victoire de Violetta Chamorro contre Daniel Ortega et les sandinistes au Nicaragua, le langage de Súmate, protégé de la NED, est indéniablement orienté contre le gouvernement Chávez, déclarant par exemple que « une fois en poste, le rhétorique révolutionnaire du Président Chávez, son mépris des institutions et de la vie démocratiques et ses attaques au vitriole contre ses opposants, ont accentué la tension sociale et politique et ont radicalisé l’opposition ».

Machado à l’offensive

Les affirmations de leur impartialité et de leur autonomie par rapport à toute influence étrangère de la part des dirigeants de Súmate sont risibles quand on sait que Machado, membre fondateur de l’organisation et ennemie mortelle de Chávez, a rencontré le Président Bush dans le bureau ovale durant 50 minutes en mai 2005 – un honneur qui n’a été offert ni au Président démocratiquement élu du Venezuela ni à de nombreuses ONG locales. Une telle cordialité envers Machado était basée sur l’harmonie de leur vision spéciale du monde et sur la haine partagée pour les valeurs de la gauche entre le Président états-unien et la Madame Defarge vénézuélienne, c’est-à-dire María Corina Machado.

Il était important de savoir ce que Machado n’était pas. Elle n’était pas une mère de famille appelée aux armes par une sorte de vision à la Jeanne d’Arc. Depuis que Chávez est arrivé au pouvoir, elle a eu un rôle politique mortel. Elle ne se trouvait pas accidentellement présente, comme elle l’affirme, lorsque les putschistes en 2002 ont, Machado comprise, inscrit leurs noms sur le document qui scellait le coup, avant de fermer les institutions du pays, dont la Cour Suprême et le Parlement ; cependant que Chávez était tenu prisonnier.

Le procès de Machado et Plaz avançant, Washington tentera de dépeindre le tableau d’un régime autoritaire – du genre STASI – harcelant l’opposition démocratique. Un tableau plus sincère indiquerait que Súmate s’est mue en un terrain à la légalité hautement douteuse. S’il s’agissait d’une organisation états-unienne recevant de l’aide de Chávez, ses actions compromettantes seraient certainement remises en cause dans le cadre de la loi électorale états-unienne de la même façon que sa légalité peut être mise en doute selon les critères de la jurisprudence vénézuélienne.

Analyse préparée par Larry Birns, Directeur du Council on Hemispheric Affairs (COHA)

Source : www.venezuelanalysis.com/articles.php ?artno=1667

Traduction : Numancia Martínez Poggi

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