Bataille pour la terre au Guatemala

« Le problème le plus important de la société guatémaltèque est la mauvaise distribution de sa première richesse, la terre, laquelle se retrouve concentrée entre quelques mains, alors que la grande majorité de la population qui se consacre à l´agriculture en manque, soit parce qu’elle n´en a pas du tout, soit parce que celle qu’elle possède est insuffisante ou mauvaise » Severo Martínez Peláez. La Patria del Criollo. 1970




 



 


Dans la nouvelle terminologie utilisée en temps de paix, on entend souvent dire que pour s’occuper de ce qui n’est pas la même chose que résoudre – la problématique de la terre, la « volonté politique » des gouvernements au pouvoir est un élément primordial. Cependant, il faut noter que cette « volonté politique » s’est traduite précisément par le maintien intact de la structure agraire actuelle. Cet état de faits se manifeste de manière répétée aux moments où les communautés et le mouvement autochtone et paysan décident d’occuper des fincas1, action revendicative répondant à la distribution inégale de la propriété et de la possession de la terre. Face aux occupations de terres, l’État et les propriétaires terriens serrent les rangs, mettent en oeuvre des actions répressives de manière conjointe et élaborent des discours destinés à présenter la population  paysanne et autochtone comme agitatrice, radicale, fainéante et improductive, mais surtout comme violant l’État de droit, la gouvernance du pays et le droit à la propriété privée.


 


Le processus de récupération des terres


 


Pour les communautés indigènes et paysannes, la lutte pour la terre représente le fondement matériel et symbolique de leur existence. Cette lutte, qui dure depuis plus de 500 ans, se manifeste actuellement par une série d’actions dénommée « processus de récupération de terres », en contraste avec ce que l’oligarchie des propriétaires terriens, l’État et l’opinion publique appellent les « invasions de terres ». D’un côté, les occupations de fincas mettent en évidence leur revendication centrale : dénoncer la spoliation historique de terres communales, commencée avec le développement de la production de matières premières dans la division internationale du travail ; et d´un autre côté, se libérer des mécanismes autoritaires de contrôle  social et des formes coercitives de travail auxquels ils ont été soumis dans les fincas d’agroexportation.


 


Les expulsions : la prérogative historique de la répression sur la négociation


 


Afin de respecter l’obligation de défendre la propriété privée, plus de 800 familles qui occupaient 12 fincas dans la vallée du Polochic (département d'Alta Verapaz) ont été expulsées de force en mars dernier (voir brève sur les expulsions violentes), en présence et avec la participation des propriétaires de l’entreprise Chabil Utzaj de production de canne à sucre, la famille Widmann, des forces de l’ordre, du Ministère Public, et des effectifs militaires et des paramilitaires embauchés par l’entreprise. Ces actions, exécutées en toute impunité en présence d’employés du Bureau du Procureur des Droits Humains et des avocats généraux du Ministère Public, ne sont pas considérées comme des violations de l’État de droit ni comme des actions de caractère terroriste, mais sont jugées nécessaires pour le respect de la loi. L’État, qui participe de cette structure de relations de domination, agit et laisse agir des propriétaires terriens et leurs forces de sécurité de manière arbitraire, privilégiant ainsi les actes répressifs plutôt que la négociation. En effet, la recherche du consensus impliquerait d’aborder de façon sérieuse la problématique qui émerge avec les occupations, celle de la concentration des terres. Toutefois, dans le cadre de la défense de la propriété privée, les forces de sécurité de l’État et les groupes paramilitaires des propriétaires s’acharnent contre les familles qui se trouvent dans les fincas occupées, en commettant de façon préméditée et en toute impunité, des exécutions extrajudiciaires. Ce qui s’est passé dans le cas de l’expulsion de la finca Nueva Linda en 2004 en est un exemple concret (voir brève sur les expulsions violentes). L’action des forces de sécurité publique et privée, dans le cas précité comme dans ceux de la vallée du Polochic et tant d’autres, est soutenue par l’État à tel point que, pour la justifier, il indique de façon récurrente qu’il agit dans le cadre de la loi et pour faire respecter la loi. Ainsi, il est important de réfléchir aux voies et aux mécanismes par lesquels pourrait se concrétiser le besoin urgent de réforme agraire et de la renaissance de la lutte pour les droits politiques et territoriaux des peuples autochtones, face à un État incapable de défendre la population paysanne qui souffre des effets du modèle d’accumulation capitaliste dans l’agriculture guatémaltèque. Ce qui pose le défi de trouver de nouvelles formes d'organisation et de mobilisation, qui permettraient de dépasser le piège démobilisateur des espaces de dialogue et de négociation qui ont été proposés par les gouvernements au pouvoir depuis des années, comme palliatifs à ce problème structurel.


 


Les “fincas” sont de grandes extensions de terres dédiées soit à la culture de matières premières d'exportation (canne à sucre, café, palme africaine, etc.), soit à l'élevage bovin. Au Guatemala, les propriétaires des fincas font souvent partie de l'oligarchie nationale.


 


Source: Collectif Solidarité Guatemala


 


Rodrigo Batres, chercheur en sociologie et en sciences politiques.
Extraits de la revue Enfoque. Nº17 du 3 août 2011.


 


 


 

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