Balles perdues : commerce privé et biens publics

Durant le premier mois du Gouvernement de Cristina Kirchner se sont produit deux faits graves pour le pays que Proyecto Sur a dénoncés déjà pendant la campagne électorale : l’achat de 25% des actions d’YPF par le banquier privé de Santa Cruz Enrique Eskenazi, avec l’approbation et le suivi des Kirchner, et le lancement du mégaprojet « train à la vitesse d’une balle ». Voilà deux mesures aux conséquences stratégiques pour le futur de l’Argentine qui méritent un ample et profond débat national. Le Gouvernement a esquivé le Congrès et la classe politique-y compris une partie de l’opposition- regarde ailleurs, comme s’il s’agissait d’une affaire sans importance. Les deux cas prouvent les options néolibérales et en faveur du privé, des pouvoirs publics. La reprivatisation d’une partie de YPF au profit de la « bourgeoisie nationale » liée au couple présidentiel est un scandale, quand on sait que le pays dispose de réserves publiques suffisantes pour reprendre toute l’entreprise au profit de la Nation. La société prétendument expérimentée « Petersen Energia »- qui devrait permettre l’ « argentinisation » pétrolière- est un leurre puisqu’elle n’existe pas dans ce pays et a été enregistrée à Madrid en août 2007. L’achat de 14,9% des actions par Eskenazi n’a demandé en fait que 10% de manière effective, puisque les 90% restants sont un crédit concédé par Repsol et diverses banques. Voilà une fois de plus du commerce privé avec des richesses et biens publics, comme cela se passe avec le partage des concessions minières dans les provinces alliées au kirchnerisme. Des centaines de gisements sont livrés quotidiennement à des sociétés fondées par des amis du pouvoir, qui a leur tour les revendent à des multinationales.

Quant au sus-nommé « train à la vitesse d’une balle », ou train français à grande vitesse TGV, l’annonce du contrat ressemble à une mauvaise blague, quand les passagers restent actuellement abandonnés dans les gares ou les aéroports. S’ils parviennent à voyager, ils le font avec des trains qui ne sont pas en état de rouler à plus de 50 km/h. Les Kirchner approfondissent la destruction du système ferroviaire argentin commencée par Menem, par des concessions dans lesquelles l’Etat paie tous les salaires, les défrichements, l’entretien et les frais de fonctionnement, et le privé- sans prendre aucun risque- est l’unique bénéficiaire des millions générés par les chemins de fer. Aujourd’hui, le système ferroviaire coûte aux argentins trois fois plus que quand il appartenait à l’Etat, quand il y avait 36.000 km de voies et 95.000 travailleurs. Actuellement ne restent que 8000 km de voies et 14.000 employés. On dit que le « train à la vitesse d’une balle » nous coûtera 3600 millions de $ et que 90% de cette somme sera fournie par la banque française Société Générale. Cela veut dire qu’en fait nous allons nous endetter une fois de plus pour un ouvrage pharaonique dont personne ne peut dire ce qu’il coûtera en réalité ni quand il sera terminé. Il suffit de se rappeler les cas de la « Planta de Aguas Pesadas », à Arroyito ; la Centrale thermoélectrique Atucha II, qui est toujours en construction ; ou Yacyreta, qui a fini par coûter 10 fois plus que prévu, avec des travaux toujours en cours ! Le TGV n’a fonctionné dans aucun pays hors d’Europe- ni même aux USA- parce que ses nombreuses exigences nécessitent des développements technologiques parallèles. La tentative de le développer en Egypte fut un échec très coûteux.

Il ne s’agit pas seulement de coûts de fabrication, ni du prix élevé du billet pour les passagers de classe moyenne et haute pour le corridor Buenos Aires-Rosario-Cordoba : ce projet nous lie à la technologie de pointe française et confirme le renoncement du Gouvernement à reconstruire l’industrie ferroviaire nationale.

Celle-ci exportait autrefois dans toute l’Amérique Latine et elle pourrait aujourd’hui être dans ce pays un tremplin pour la création de centaines de milliers de postes de travail. Les ingénieurs et spécialistes argentins prouvent de manière crédible que, avec ce que l’on gaspille aujourd’hui et avec ce qu’il est prévu de gaspiller encore, il serait possible de reconstruire un système ferroviaire capable d’offrir aux villages intérieurs et aux économies régionales un train sûr et confortable qui roule à 120 km/h. Le Chemin de Fer est non seulement un moyen de transport, mais il génère une culture de la communication et c’est un instrument fondamental pour l’intégration nationale.

Il est nécessaire de susciter le débat et d’exiger l’implication du Congrès : l’abandon est actuellement tel que l’Argentine n’a même pas une loi nationale sur les transports ! Nous devons récupérer les ressources stratégiques nationales et apporter une réponse à la dramatique crise des transports que nous connaissons. Un pays de 4000 km de long, principalement agraire, avec 40 millions d’habitants, sans pétrole, n’est pas viable sans Chemins de fer : il n’est même pas possible de faire parvenir les récoltes aux ports. Le débat entre public et privé est toujours en suspens : l’expérience des dernières années démontre que les privatisations ont été, et continuent d’être un vol, en plus de léser les usagers.

* Cinéaste et ex-candidat à la Présidence de Proyecto Sur.

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