Avancées et contradictions de la gauche au Brésil

En octobre prochain, le Brésil retourne aux urnes. Les élections présidentielles sont les plus importantes (il y a aussi le renouvellement de la moitié des parlementaires au niveau fédéral et régional – les États – ainsi que celui des gouverneurs des États). Élu à la présidence en 2002, le populaire fondateur du Parti des travailleurs (PT), Luiz Inácio « Lula » da Silva, a, pendant huit ans, dominé le pays, au point où aujourd’hui, selon divers sondages, il obtient l’approbation de 80 % des Brésiliens. Presque tout le monde, même à droite, admet qu’il est le président le plus populaire de l’histoire de la république. Il serait probablement réélu facilement, mais la constitution interdit trois mandats d’affilée.

 

Dilma contre José

La candidate du PT qui veut lui succéder à la présidence, Dilma Roussef, était, il n’y a pas si longtemps, une technocrate assez peu connue. Au début de la campagne officielle qui vient de commencer, elle reste cependant en avance dans les sondages devant le principal candidat de la droite, José Serra (affilié au Parti social-démocrate brésilien, PSDB). Le PT lui-même pourrait augmenter ses mandats au Congresso (il a présentement 83 députés sur 513), devenant le premier parti politique du pays. L’élection de Dilma serait un deuxième « tremblement de terre » dans un pays où ont dominé pendant des siècles des hommes riches et blancs dans un pays pauvre et métissé.

Une campagne électorale polarisée

Dilma dispose d’un avantage important sur la droite du fait des changements qu’a connu le Brésil depuis huit ans. Le premier changement, le plus visible et le plus fondamental, est le fait que cinquante millions de Brésiliens (25 % de la population) sont sortis de la pauvreté. En effet, un vaste programme d’assistance, « Fome zero » (Zéro faim) a permis à des millions de familles de recevoir jusqu’à 200 réais par mois (environ $120 dollars). Les familles s’alimentent mieux, les enfants vont davantage à l’école et parallèlement, une certaine dignité humaine a été rétablie pour ceux et celles qui subissaient la famine et la misère se perpétuant au Brésil depuis la domination coloniale au XVIe siècle [1]. C’est, ni plus ou moins, une sorte de « révolution » qui a changé bien des choses, notamment dans le vaste Nordeste, zone de grande pauvreté, territoire des anciens esclaves africains et des communautés autochtones, pour qui le président Lula est devenu une figure quasiment mythique. Entre-temps, l’économie brésilienne connaît une embellie, qui le fait bien paraître par rapport aux pays capitalistes du Nord affectés par la crise. Parallèlement, le Brésil de Lula s’est affirmé sur la scène internationale, en articulant un faisceau d’alliances qui fait en sorte de diminuer la dépendance envers les États-Unis tout en renforçant les capacités de l’Amérique latine de s’affirmer dans le monde.

La droite déstabilisée

Devant autant de résultats, la droite est déstabilisée. Elle tente de discréditer Dilma en rappelant son passé d’ancienne guérilléra (elle a combattu la dictature militaire les armes à la main au début des années 1970). On la traite aussi de « faire valoir » de Lula, laissant croire que le président sortant va continuer de régner « dans l’ombre ». La droite insiste aussi sur le fait que Lula a élaboré une politique internationale qui indispose Washington, non seulement en Amérique latine, mais ailleurs dans le monde où le Brésil se retrouve avec Cuba, le Venezuela, voire l’Iran, des « États voyous » selon la droite brésilienne qui adopte ainsi le langage des néoconservateurs états-uniens. Pour le moment en tout cas, ce ne sont pas arguments qui passent bien pour la majorité des Brésiliens et qui reflètent le désarroi des élites traditionnelles du pays.

Une domination séculaire remise en cause

Colonisé par les Européens il y a 500 ans, le Brésil est devenu alors le pays de l’esclavage et des plantations de sucre, de café et de cacao, raconté si merveilleusement par le génial Jorge Amado. Les maîtres étaient les maîtres, génération après génération, dans des enclaves urbaines tournées vers l’Europe et plus tard, les États-Unis. Les dominés se révoltaient régulièrement, mais la violence extrême des dominants les remettait à « leur place », comme ce coup d’état militaire de 1964 qui a élaboré une dictature « efficace » sévissant pendant plus de 20 ans. Au centre de ce dispositif se retrouvent plusieurs registres de pouvoir. Le premier registre est évidemment économique. Le Brésil, encore aujourd’hui, demeure le pays le plus inégalitaire au monde : à peine 1 % de la population concentre 50 % des richesses. Les quartiers riches des grandes villes, véritables « forteresses » médiévales, emmurées et protégées par des armées privées, se retrouvent devant les fameuses favelas (bidonvilles) où s’entassent, dans des conditions misérables, des millions de pauvres urbains qui fuient la famine structurelle du monde paysan.

Violence et manipulation

Le deuxième registre de la domination est au niveau politique. Traditionnellement, la scène politique est dominée par des « caciques », qui contrôlent des réseaux de pouvoir et de manipulation. Surtout au niveau local, ces caciques s’assurent par divers moyens que les gens votent du « bon côté ». Aux fraudes électorales pratiquées sur une grande échelle ont succédé des systèmes plus sophistiqués de financement opaque et de patronage impliquant des institutions, des entreprises, des groupes sociaux. Lorsque ces réseaux sont menacés (cela était le cas dans les années 1950), les dominants s’appuient alors sur l’armée. Même lorsque l’armée est dans les casernes, la violence étatique n’est jamais loin au Brésil. La brutalité policière, les régimes d’incarcération et disciplinaires moyenâgeux, la prolifération de milices privées opérant en dehors de la loi et l’impunité dont bénéficient les détenteurs de l’autorité étatique sont autant de moyens pour contrôler les « classes dangereuses ». Jusqu’à récemment, cette « alternance » de pouvoir dictatorial et de régime démocratique limité a réussi à maintenir les dominants au pouvoir.

La bataille des idées

Ceux-ci enfin opèrent sur un troisième registre, celui de l’idéologie. Les dominants représentent la « civilisation », le progrès, la modernité. Les dominés sont au mieux des démunis qu’il faut « protéger », au pire « discipliner ». L’Église catholique, du moins dans ses hauteurs hiérarchiques, les Églises évangéliques (en essor depuis une trentaine d’année) répètent un message qui valorise la soumission et qui encouragent les dominés d’espérer une meilleure vie après la vie. Pour compléter le tout, les grands conglomérats médiatiques, tous privés (comme le gigantesque Réseau Globo), produisent et reproduisent à l’infini un monde de rêve, où les bons triomphent des méchants, sans jamais en remettre en question les fondements d’une société construire sur la violence et l’expropriation.
Or aujourd’hui, cet édifice de la domination est lézardé. Il n’est certes pas détruit, mais l’initiative a changé de mains. Le pouvoir de Lula, sorte de révolution bien tranquille marquée de grands compromis est globalement menaçant pour les dominants brésiliens même si leurs privilèges économiques n’ont pas été touchés, du moins jusqu’à date. Devant cela, les principaux secteurs de la gauche brésilienne, de même que les mouvements sociaux les plus importants, affirment leur appui au gouvernement sortant et appellent la population à voter « contre la droite ». Comme l’affirme Joao Pedro Stedile, un des principaux leaders du MST, une victoire de Dilma représentera un alignement des forces plus favorable aux mouvements sociaux, permettant de lutter pour de nouvelles avancées sociales, y compris au niveau de la réforme agraire.

Hésitations des couches moyennes et populaires

En dépit d’une polarisation qui semble favoriser le PT et Dilma, on ne peut pas dire que les jeux sont joués d’avance. La droite dispose encore de plusieurs atouts. Mais en parallèle, il n’est pas certain que le PT puisse faire le plein des votes populaires. La situation est en effet plus ambiguë dans les grands centres urbains du sud du pays, et notamment dans la mégapole de Sao Paulo (15 millions et plus d’habitants). En réalité, les programmes sociaux du gouvernement Lula ont surtout aidé les secteurs les plus défavorisés, et beaucoup moins les classes populaires et moyennes urbaines, disposant d’un emploi (relativement) stable et d’acquis sociaux. C’est le cas notamment des employés du secteur public, des « cols blancs » des entreprises industrielles et de services et d’une vaste couche de Brésiliens qui n’ont pas « directement » bénéficié du gouvernement Lula même si, indirectement, ces secteurs ont profité de l’embellie économique générale.
Parmi ces hésitants, on compte aussi une partie de la classe ouvrière, qui a mal vécu la stagnation, voire le déclin relatif de l’industrie. Les politiques économiques de Lula en effet, ont misé sur la consolidation du secteur financier et des services, entretenue par une politique fiscale austère et des taux d’intérêts élevés, de même que sur l’expansion de l’agro-industrie sous toutes ses formes. En huit ans, le Brésil est devenu le principal exportateur de soja et de viande au monde, ce qui a bien sûr bénéficié à la balance commerciale et à la valeur nominale des taux de croissance. Dilma affirme cependant que le bilan demeure « globalement » positif au niveau de la création d’emplois et de l’augmentation du salaire minimum (multiplié par 4), mais il est clair que la bonne performance économique des huit dernières années reste vulnérable.

Les limites de la « stabilité macro économique »

En fin de compte, les avancées sociales réalisées sous le gouvernement Lula se sont faites, comme le Président l’avait lui-même annoncé, dans le respect des grandes politiques macro-économiques des gouvernements précédents, également dans le sillon des options « fondamentales » préconisées par la Banque mondiale et le FMI. Dans un sens, le Brésil a bien tiré ses cartes du jeu, mais sans changer la donne, et même en accentuant les vulnérabilités traditionnelles d’un pays producteur et exportateur de ressources naturelles. Bien que l’envolée des prix de ces matières ait permis une forte rentabilisation des investissements dans l’agro-industrie et dans le secteur minier, on ne peut pas dire que l’économie brésilienne s’en sorte structurellement renforcée, au contraire de ce qui s’est opéré dans d’autres pays dits « émergents », notamment la Chine et l’Inde.
Sur d’autres plans, le gouvernement Lula n’a pas réalisé de grandes réformes structurelles qui auraient réorganisé la société ou l’économie brésiliennes. Cette retenue est la plus flagrante au niveau de la réforme agraire, pourtant promise par le PT tout au long de ses luttes depuis le début des années 1980. Certes, une certaine redistribution des terres s’est faite, mais elle est restée confinée dans des limites très étroites. Les agro-industries ont pendant ce temps renforcé leurs positions et leurs capacités. Pour le MST, le bilan est assez négatif, même si le mouvement reconnaît avoir renforcé ses positions dans un contexte où l’État fédéral a limité la répression contre les initiatives d’occupations de terres et appuyé les mouvements agraires via divers projets sociaux et économiques.

Quelles alternatives ?

Le débat n’est pas tellement sur ces constats qui appartiennent aux faits plutôt qu’aux interprétations. La vraie question est plutôt de savoir si Lula aurait pu faire autrement. Selon Frei Betto, un compagnon du PT de la première heure, le Brésil était mûr pour des changements plus courageux. Le PT a cédé trop rapidement et trop facilement aux pressions des milieux financiers et a eu peur de se retrouver isolé. Le gouvernement Lula a été « plus catholique » que le Pape dans la gestion financière, dégageant des surplus énormes, officiellement pour réduire la dette, mais en fin de compte pour signaler aux dominants qu’il n’y aurait pas de restructuration majeure de l’économie ni de redistribution de la richesse. Une fois dit cela, Betto pense qu’il faut continuer avec le PT, quitte à mieux organiser la pression venant de l’extérieur (des mouvements sociaux) et à relancer les débats internes dans un parti qui garde une tradition d’ouverture [2].
Ce n’est pas le point de vue de porter Plinio Sampaio, candidat présidentiel au nom du Parti Socialisme et Liberté (P-SOL), une dissidence de gauche du PT créée lors du premier mandat de Lula. Sampaio, un vieux routier du PT et des luttes sociales, à l’âge vénérable de 80 ans, tente avec de grandes difficultés de critiquer Lula sur sa gauche. Son parti, le P-SOL, qui avait eu un score honorable lors des dernières élections de 2006, est cependant en perte de vitesse [3].

Changer pas à pas ?

Les partisans de Lula répliquent à cela qu’il était impossible de transformer 500 ans d’histoire de domination en quelques années et qu’il faut tout simplement « donner du temps au temps ». Depuis 2002, la plupart des grands mouvements sociaux, notamment les syndicats regroupés au sein de la puissante confédération CUT, se sont retrouvés avec le gouvernement Lula [4]. Une très grande quantité de cadres syndicaux et populaires ont été absorbés par l’appareil de l’État à tous les niveaux, dans le gouvernement directement ou à titre de responsables politiques de plusieurs grands dossiers [5]. Cette intimité avec le pouvoir a certes réduit les capacités critiques des mouvements, tout en bousculant les classes traditionnelles qui géraient l’État et ses appareils.
En termes de réalisations, les syndicalistes qui font maintenant partie de l’appareil du pouvoir prétendent que le gouvernement Lula est en train de changer le Brésil. Des initiatives comme le Programa de Aceleração do Crescimento (investissements dans les infrastructures) non seulement créent des milliers d’emplois, mais visent aussi la modernisation de l’économie ainsi créant un « cercle vertueux » de nature similaire à celui qui a dominé pendant les trente glorieuses dans les pays capitalistes avancés [6]. Cette opinion est partagée par les autres partis de la gauche qui œuvrent avec le PT au sein d’une alliance électorale [7].

Recomposition du politique

L’expérience des deux gouvernements Lula, certes limitée dans le temps, ouvre de nouveaux espaces pour la reconfiguration du politique au Brésil. Le projet de Lula, largement hégémonique au sein du PT, est de refonder le Parti « des travailleurs » en une vaste alliance centre-gauche, capable de rallier la majorité de la population autour de transformations se faisant dans la stabilité, et non dans la confrontation. Encore récemment, Lula affirmait que les riches n’ont jamais été aussi confortables au Brésil et il le disait sérieusement. La grande revue « faiseuse d’opinion », Carta Capital, pourtant si proche des élites, conclut qu’il faut assurer la continuité en faisant élire Dilma lors des élections d’octobre. De l’autre côté de l’équation, ce projet mise à rallier les couches populaires les plus défavorisées (bénéficiaires des programmes sociaux) tout en assurant aux couches moyennes des espaces d’avancement à travers la modernisation de l’État où sont conviés les « cadres et compétents », soit les intellectuels, animateurs des mouvements sociaux, jeunes entrepreneures publics et privés, etc.

Le péril d’une alliance arc-en-ciel

Cette alliance « arc-en-ciel » implique de « diluer » le PT dans une architecture complexe d’alliances avec plusieurs secteurs politiques. À court terme, l’enjeu est de rallier, voire d’absorber le PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien), un parti fourre-tout ancré dans les élites locales [8]. Le tournant est clair puisque le candidat à la vice-présidence associé à Dilma est Michel Tener, chef nominal de ce parti qui est en fait une sorte de constellation » de caciques qui sont autant de champions du système de magouilles et de patronage qui sévit au niveau local. Le problème à ce niveau est qu’une alliance structurelle avec le PMDB, voire la fusion dans un grand parti de centre-gauche, pourrait tirer le PT « vers le bas », notamment en termes de pratiques de gestion. Déjà en 2005, le PT avait subi de durs revers suite au scandale des commissions illégales et cachées versées aux parlementaires, « achetant leur vote » en quelque sorte. Le coup avait été dur pour un parti qui s’était toujours réclamé de l’éthique, de la lutte contre la corruption, de la transparence.
Entre-temps, la recomposition pose un sérieux défi à la droite. Le PSDB en tant que représentant de la couche « moderne » des dominants peine à rallier l’ensemble des dominants. Pour les uns, mieux vaut miser sur une certaine « stabilité » avec le PT, quitte à accepter certaines réformes sociales. Pour les autres, il faut tout faire au contraire pour déstabiliser le PT, quitte à mettre en péril l’économie du pays, et ce pour éviter un déplacement plus fondamental du centre de gravité du pouvoir vers une nouvelle élite non traditionnelle.

L’imprévisible dans le prévisible

Il est probable que le projet initié par Lula se reproduise dans les prochaines années, avec la « Présidente » Dilma ou même sans elle. La plupart des acteurs en conviennent, le « modèle » mis en place est « gagnant » et il serait périlleux de changer de voie. Pourtant comme cela est la norme, plusieurs facteurs entrent en compte et peuvent changer la donne « fondamentale ». Au sein même du PT, des divergences subsistent, pas tellement sur le fond, mais sur le rythme et les modalités des transformations en cours. Une certaine « radicalisation » n’est pas impensable, même si, sur le fond, il serait illusoire de penser à une réorientation stratégique. Par exemple, la gestion publique pourrait être un plus audacieuse au niveau de la macro-économie, en diminuant, par exemple, l’importance du secteur financier (caractérisé par ses tendances spéculatives) par une plus grande régulation par l’État.
Il serait par contre surprenant de voir l’alliance du PT bouger plus radicalement sur la réforme agraire. Le secteur de l’agro business étant tellement au centre de la croissance économique, le gouvernement post Lula aurait fort à faire pour laisser beaucoup d’espace aux paysans pauvres et moyens, ce qui ne veut pas dire pour autant que des programmes de revitalisation de l’agriculture familiale sont impensables [9]. Par ailleurs, le MST est la cible numéro un des dominants tous confondus, y compris à certains qui sont proches du PT. On reproche au Mouvement des sans terre ses pratiques « illégales » et des actes « violents » qui découlent de certains dérapages au sein de l’organisation, mais qui servent d’excuses à la droite pour appeler à la criminalisation du MST. Entre-temps, le MST reste au cœur du mouvement social résistant.

L’énigme Marina

À l’extérieur du PT, d’autres initiatives peuvent avoir un impact. Parmi celles-ci se trouve le projet de Marina Silva, l’ex-ministre de l’environnement de Lula, aujourd’hui candidate du Parti Vert. Marina joue sur deux tableaux en même temps, ce qui fragilise sa position. D’une part, elle veut capter une partie des « mécontents » du PT, en faisant une critique du gouvernement dont elle a été partie prenante jusqu’à 2008, et en faisant la promotion des intérêts des couches populaires, paysannes et autochtones dont elle est issue. D’autre part, elle veut attirer une clientèle de classes moyennes attirées par la question environnementale et qui peuvent être séduits par un discours « éco capitaliste » (comme le promeut Fernando Gabeira, candidat du PV au poste de gouverneur de l’État de Rio). Le pari est risqué, car les deux terrains ne sont pas complémentaires, au contraire. Néanmoins, la personnalité originale et sympathique de Marina peut déboucher sur un pourcentage de vote important et une influence à long terme.

La lutte pour l’intégration régionale

Restent les facteurs externes. Jusqu’à date, Lula a bénéficié d’une assez grande marge de manœuvre. Le projet des États-Unis et du Canada d’imposer une zone de libre-échange est mort au feuilleton en 2004, laissant la place pour des initiatives régionales de divers types. L’intégration latino-américaine, un projet mille fois annoncé, avance, lentement, face à de grandes difficultés et des conflits entre divers pôles qui aspirent à une certaine hégémonie (le Brésil, l’Argentine, le Venezuela, etc.). Parallèlement, Lula a profité de l’affaiblissement de l’hégémonie des États-Unis et de l’Union européenne sur l’échiquier international, tant face aux négociations de nature économique (l’OMC) que sur des dossiers politiques comme celui du Moyen-Orient. Mais ces circonstances facilitantes pourraient changer.

Le retour des tensions ?

Washington, dans une position de repli, regarde d’un œil attentif cette situation et entend l’heure pour des interventions plus vigoureuses, comme cela a été le cas au Honduras l’an passé où les militaires ont arraché le pouvoir aux élus, en bonne partie grâce à l’appui des États-Unis et du Canada. Les tensions régionales (notamment avec la Colombie) peuvent être exacerbées. Ces conflits pourraient s’envenimer, tension, surtout si les diverses tentatives de déstabilisation du gouvernement d’Hugo Chavez s’intensifient, plaçant le Brésil dans une position inconfortable. À l’échelle internationale, en dépit des avancés susmentionnées, le Brésil et les autres pays dits « émergents » restent dans un positionnement fragile, que les alliés occidentaux veulent utiliser pour verrouiller à leur avantage des crises comme celle de l’Iran, où le Brésil a voulu jouer dans la « cour des grands » en court-circuitant l’offensive états-unienne qui se prépare. Washington a averti Lula qu’il y avait des limites dans ces « interférences », ce qui a d’ailleurs été repris par la droite brésilienne qui accuse Lula de pactiser avec les « terroristes ». Ce sont en tout cas des tensions qui pourraient faire basculer le Brésil d’une manière ou d’une autre.

[1] En 1978, moins de 8 % de la population brésilienne recevait des subsides de l’État. En 2008, cette proportion est de 58 %.

[2] Entrevue avec Frei Betto, Caros Amigos, juillet 2010.

[3] Les diverses factions de la gauche radicale, dont le P-SOL, le PSTU et le PCB, n’ont pas réussi à s’entendre sur une plateforme minimale et à côté de Sampaio, il y a deux autres candidats se présentant au nom d’un programme critique face à Lula.

[4] La CUT représente 38% des salariés syndiqués et 20 millions de salariés.

[5] À lui seul, le Président de la république contrôle plus de 22 000 postes « politiques ».

[6] Selon l’Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (Ipea), on note une croissance de 7,2% par an des revenus des 10% les plus pauvres et de 2,4% pour les 50% les plus pauvres. Dans le même temps, le revenu moyen des 50% les plus riches a été réduit de 1,4%

[7] Notamment le Parti Communiste du Brésil (PCdB), le Parti socialiste brésilien (PSB), le Parti démocratique du travail (PDT)

[8] Le PMDB hérite du MDB, parti d’opposition toléré par les militaires dans les années 1970 et dont le rôle était de donner une façade démocratique à la dictature. Première force politique au niveau municipal, le PMDB a également le plus grand nombre de députés dans le Congresso (89). Sous le gouvernement Lula, plusieurs ministres appartenant au PMDB ont fait leur marque.

[9] En 2006, l’État a subventionné l’agriculture commerciale à la hauteur de 50 milliards de réais contre 10 milliards versés à l’agriculture familiale. Voir à ce sujet Damien Larrouqué, Lula et la réforme agraire timorée, Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, juin 2010.

Mouvements

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