Armes de destruction massives : Clinton aussi est coupable

Un ancien diplomate des Nations-Unies m’a révélé en détail comment il y a à peine plus de dix ans l’administration Clinton avait délibérément saboté le programme d’inspections d’armement des Nations-Unies en Irak. Les responsables américains redoutaient à l’époque de voir officiellement certifié que l’Irak ne possédait plus aucun armement lourd, ce qui aurait mit Clinton dans un beau pétrin. Tout fut donc mis en œuvre pour créer de toute pièce le mythe des armes de destruction massive (ADM ) irakiennes.

Traduit de l’anglais par Dominique Arias

C’était en mars 1997. Pendant six ans les inspecteurs des Nations-Unies avaient étudié tous les secrets des programmes d’armement de Saddam Hussein, détruisant au passage d’énormes quantités de munitions chimiques et divers sites de production. Pour forcer Saddam à coopérer, l’Irak fut soumis à un arsenal de sanctions écrasantes. Rolf Ekeus, distingué diplomate suédois qui supervisait l’ensemble des inspections, fut bientôt en mesure d’annoncer que son travail était quasiment terminé. « J’étais sur le point de certifier que l’Irak était désormais en conformité avec la résolution 687 » me confirmait-il récemment.

Bien que quelques détails restent encore à éclaircir, déclara-t-il à l’époque, « il n’est pratiquement rien qui nous soit inconnu au sujet de ce qui reste du potentiel d’armement interdit de l’Irak. Pour l’administration Clinton, la situation était gravissime. Laisser à Ekeus la possibilité de terminer sa mission aurait pour conséquence la suspension quasi automatique du programme de sanctions. Saddam s’en tirait à bon compte et, ce qui importait davantage pour l’entourage de Clinton, le président devenait l’homme à abattre des néo-conservateurs du parti républicain. La seule issue restait de faire échouer d’une manière ou d’une autre la mission d’Ekeus.

C’est alors qu’entre en scène Madelaine Allbright, fraîchement nommée au Secrétariat d’Etat. Le 26 mars 1997, elle prit la parole à Georgetown pour exposer ce qui avait été annoncé comme la plus importante déclaration sur la politique U.S. en Irak. Une large part du public s’attendait à la voir tendre au régime irakien une sorte de rameau d’olivier. C’était à l’opposé de ce qu’elle avait en tête. Elle allait au contraire faire son possible pour s’assurer que Saddam suspendrait définitivement sa coopération avec les inspecteurs. « Nous ne sommes pas d’accord avec les nations qui estiment que, dès lors que l’Irak remplit ses obligations en matière d’armes de destruction massive, les sanctions doivent être levées » déclara-t-elle. Les sanctions, expliqua-t-elle sans la moindre équivoque, seront maintenues aussi longtemps que Saddam serait au pouvoir. Ekeus comprit immédiatement les intentions d’Allbright. « Je savais que Saddam aurait le sentiment que coopérer avec nous n’avait plus aucun sens, et c’était précisément le but de ce discours. »

Bien évidemment, il reçut dès le lendemain un coup de fil furieux de Tariq Aziz, vice-premier ministre et porte-parole du gouvernement irakien. « Il voulait savoir à quel titre l’Irak devrait encore travailler avec nous. » Il devint dès lors de plus en plus difficile aux inspecteurs de mener à bien leur travail. Agissant clairement selon les consignes de Saddam, les représentants irakiens n’eurent désormais de cesse de leur mettre des bâtons dans les roues. Ekeus quitta son poste en juillet 1997 et fut remplacé par l’Australien Richard Butler. Celui-ci se trouva bientôt empêtré dans une confrontation acerbe avec les Irakiens. L’année suivante, tous les inspecteurs furent retirés d’Irak et les USA lancèrent toute une série de d’opérations de bombardements.

La stratégie de Clinton s’est avérée payante. Les sanctions contre l’Irak furent maintenues, tandis qu’à Washington la faction néo-conservatrice tirait les conjectures les plus délirantes sur les sinistres projets que Saddam, laissé indemne par les inspecteurs, pouvait bien concocter avec ses experts en armement. En réalité, Saddam avait depuis longtemps abandonné tous ses programmes d’ADM, mais dès lors que la CIA affirmait n’avoir aucun contact ou personnel sur place, personne à l’Ouest ne risquait plus d’en apporter la preuve. Pour finir, dans la foulée du 11 septembre, le parti de la guerre au sein de l’administration de George Bush Jr se trouva en mesure de justifier l’invasion de l’Irak au prétexte que Saddam, en refusant de garantir aux inspecteurs d’armement l’accès à ses installations, refusait de se plier aux résolutions de l’ONU sur le désarmement. Le désastre irakien a plus d’un géniteur.

Depuis le milieu des années 1990, Ekeus savait que Saddam Hussein n’avait plus aucune arme de destruction massive. Toutes avaient été détruites des années plus tôt, après la première guerre du Golfe. Ekeus l’avait appris à Amman dans la nuit du 22 août 1995, de la bouche même du général Hussein Kamel, qui venait de déserter l’armée irakienne en compagnie de plusieurs cadres militaires sous ses ordres. Kamel était le beau-fils de Saddam et avait été responsable de l’intégralité des programmes d’armement chimique, biologique, nucléaire et balistique. Cette nuit là, après trois heures de questions détaillées d’Ekeus et de deux experts techniques, Kamel fut catégorique. Les équipes d’inspection de l’ONU avaient fait du bon boulot. Lorsque Saddam fut finalement convaincu que cette impossibilité de disposer de systèmes d’armement effectifs pouvait très sérieusement porter à conséquence, il donna l’ordre que Kamel se borna à exécuter. Comme il l’expliqua à Ekeus ce soir là, « toutes les armes biologiques, chimiques, nucléaires ou balistiques étaient détruites. » L’enregistrement de cette entrevue par l’UNSCOM est accessible sur http://www.fair.org/press-releases/kamel.pdf)

Lors de débriefings similaires en ce même mois d’août, Kamel fit les mêmes déclarations à une équipe de la CIA et du M16. Ses subalternes apportèrent en outre un luxe de détails corroborant ses déclarations. L’année suivante, Kamel fut extradé vers l’Irak où il fut immédiatement exécuté.

Andrew Cockburn est l’auteur de : Rumsfeld: His Rise, Fall and Catastrophic Legacy. [Rumsfeld: son ascension, sa chute, et son catastrophique héritage]

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