Alain Bauer, marchand de peur et gourou de Valls

Le livre de Mathieu Rigouste : « Les marchands de peur, la bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire » (Editions Libertalia -2011) dresse, comme son titre l’indique, un portrait du personnage très influent dans les coulisses de la France du « maintien de l’ordre » qu’est Alain Bauer. Avant de devenir un des principaux inspirateurs de la politique sécuritaire de l’ancien président N.S. KARCHER, il a joué son rôle de « marchand de peur » auprès des principaux dirigeants du parti socialiste et il connait bien Manuel Valls comme en témoigne l’extrait du livre qui suit.

 
Né le 8 mai 1962 à Paris dans une famille de bourgeois du textile, il [Alain Bauer] adhère au Parti socialiste dès l'âge de 15 ans et va s'investir dans la construction de la gauche anticommuniste. Lui qui s'est toujours proclamé « antistalinien primaire » dévore à cette époque les livres des éditions de Moscou ou de Pékin (1). Trois ans plus tard, en 1980, il participe à la fondation des Jeunesses rocardiennes aux côtés de Manuel Valls et Christian Fouks – dont nous reparlerons. A l'université, il entre dans la nouvelle Unef-ID, fédération syndicale étudiante regroupant les gauches non communistes, et commence à évoluer dans les réseaux élitistes abrités par certaines loges franc-maçonniques comme le Grand Orient de France.
 
À l'instar d'Yves Roucaute, Alain Bauer entame des études de droit qui le mènent vers les « questions de défense et de sécurité », Il obtient à 20 ans – en 1982 – le titre d'administrateur délégué de l'Institut national supérieur d'études de Défense (Insed). Dans le même temps, il se fait élire – par l'UNEF-ID – à la vice-présidence étudiante de la Sorbonne et à l'administration de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), postes qu'il occupe jusqu'en 1988 (2). Il raconte comment cette formation syndicale lui a permis d'acquérir « une appréhension tactique du terrain » qu'il recommande à tous les chefs d'entreprise concernés par la « lutte contre le crime" » (3). L'année suivante, en 1983, il devient membre du conseil de la chancellerie des universités de Paris. A mesure qu'il s'acculture aux idéologies des complexes militaro-industriels, il s'approche des milieux atlantistes et s'élève dans la hiérarchie de la gauche de gouvernement, via les réseaux de Michel Rocard. « Au début des années 1980, je me suis aperçu des limites de l'engagement politique, dans lequel l'important n'était pas ce que l'on disait, mais l'endroit d'où on le disait (4) », explique-t-il au sujet de sa stratégie d'influence. Celle-ci va payer.
 
Dans le courant des années 1980, le grand patronat industriel doit s'assurer une production idéologique répondant à ses intérêts sous un gouvernement de social-démocratie. L'ascension d'Alain Bauer s'inscrit à l'intérieur d'une dynamique de recrutement d'idéologues issus de la gauche anticommuniste. Durant cette période, il continue sa formation militaire, fait du lobbying politique dans l'ombre du cabinet de Michel Rocard (5) et administre la M.N.E.F. aux côtés de Manuel Valls.
 
En 1988, Michel Rocard devient Premier ministre et fait nommer Alain Bauer en tant que chargé de mission auprès de son directeur de cabinet Jean-Paul Huchon. Il s'occupera des questions de police en particulier. Il se tourne alors vers les « affaires ), devient en 1990-1991 conseiller chez Air France, puis entre au groupe Sari Serri où il est responsable des gigantesques chantiers immobiliers du World Trade Center Paris-La Défense. Il est alors nommé directeur du département de contrôle financier puis administrateur de Sari Services en 1992-1993. La société se fera plus tard connaître pour des scandales financiers. Il est ensuite nommé à la tête de CNIT Corn et devient secrétaire général du World Trade Center Paris-La Défense, puis membre de la commission juridique internationale de la World Trade Center Association. C'est à cette période qu'il est approché et recruté par la Science Application International Corporation (SAlC), la « machine de guerre privée et secrète du Pentagone et de la CIA) décrite comme un « État dans l'État (6) »,
 
Créée en 1969, cette firme géante et extrêmement influente est longtemps restée méconnue, même aux États-Unis. Elle assure en effet les principaux besoins industriels et les « nouvelles technologies de l'information et de la communication) (NTIC) pour le compte du Pentagone et au service du complexe militaro-industriel nord-américain. Elle absorbe et dirige en partie les marchés publics de la guerre aux États-Unis. La SAlC a par exemple réalisé la cartographie numérique des États-Unis, la sécurisation du système informatique du département de la Défense, la conception des centres de commandement C4I de guerre navale et spatiale ou la plus importante banque de données criminelles pour le FBI, qui a permis de ficher 38 millions d'individus suspects. Cette vitrine des services secrets américains est administrée par d'anciens directeurs de la CIA et d'anciens secrétaires de la Défense. C'est dans ces réseaux qu'elle recrute afin d'imposer son influence dans les secteurs décisionnels de l'administration, des renseignements et de la Défense. C'est ce qu'elle va faire avec Alain Bauer. Ce dernier effectue ainsi en 1993 un stage de six mois à San Diego, au siège de la SAlC (7). À la suite de cette formation, il obtient la vice-présidence de la SAIC-France et commence à prôner des méthodes répressives directement inspirées des thèses néo conservatrices nord-américaines. Il développe dans les années qui suivent le même type de marchés en France : cartographie de la délinquance, systèmes de fichage de la criminalité et de la population en général, centralisation des instituts de sécurité et de défense … La SAlC avait obtenu du département de la Justice le programme de formation et d'assistance technique aux polices étrangères (International Criminal Investigate Training Assistance program – ICITAP), activité de promotion des technologies policières nord-américaines. En France, c'est le Service de coopération technique international de police (SCTIP) qui assure cette fonction à l'étranger pour le compte des industries françaises(8), Comme l'ICITAP n'est pas présent sur le territoire français et qu'il entre en concurrence avec le SCTlP, c'est la SAlC-Europe qui s'en occupe, laquelle est dirigée par Alain Bauer,
 
En 1994, il quitte le Parti socialiste (9), mais continue à participer à des commissions de réflexion. Après le scandale immobilier des affaires de la Sari (concernant la construction de La Défense), des maires rocardiens demandent pourtant son « expertise en sécurité urbaine », Face à la montée électorale du l'N, la gauche cherche à s'approprier les thématiques de l'extrême droite et notamment la lutte contre « l'insécurité ».
 
Alain Bauer va alors s'occuper de la sécurisation de la ville de Vitrolles. Il fait notamment investir dans un système de vidéosurveillance (10). La récupération des thèmes de l'extrême droite fonctionne au point que Vitrolles voit dès 1995 une percée historique du FN, lequel finit par prendre la mairie.
 
Il avait créé pour l'occasion une entreprise à son nom, AB Associates, qu'il a domiciliée à proximité de la SAIC-Europe au CNIT-La Défense. Désormais conscient et convaincu par les perspectives économiques et politiques des marchés de la criminalité et du contrôle, il pérennise sa firme de « conseil et formation en sécurité urbaine). Il quitte alors la vice-présidence de la SAIC-Europe et en devient « senior consultant ». Il intègre dans sa nouvelle entreprise une dizaine d'amis qu'il nomme «consultants). On y trouve ainsi Nathalie Soulié, épouse de Manuel Valls (note Comaguer: ils sont divorcés depuis), au poste de secrétaire. Manuel Valls milite dès lors activement pour que les municipalités de gauche investissent dans la sécurité urbaine.
 
De 1996 à 1997, Alain Bauer participe à la 7e session des auditeurs de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure. Il s'y construit un large réseau de collaborateurs dans le domaine de la sécurité urbaine. Il se rapproche à cette occasion du commissaire Richard Bousquet, délégué du Syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN), avec lequel il continuera à collaborer régulièrement, notamment à travers des ouvrages sur la criminalité (11).
 
En 1997, Alain Bauer mène la réflexion du Parti socialiste sur la sécurité. Celui-ci gagne les législatives au printemps. Sitôt formé, le gouvernement Jospin fait appel à Alain Bauer pour mettre sur pied, sous l'égide du nouveau ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, le colloque de Villepinte qui se tiendra dès la rentrée. Son intitulé constitue tout un programme : « Des villes sûres pour des citoyens libres.) Ce colloque consacrera la conversion du PS à l'ordre sécuritaire.
 
 

Illustration: Thesupermat
 
 
(1) Bertrand Fraysse, « Passeur. Portrait d'Alain Bauer, homme de réseaux », Challenge, 29 novembre 2007. hnp://www.challenges.fr/ magazine/en couverture/O 1 02.4205/
 
(2) Avec son ami Manuel Valls, ils seront mis en cause dans l'affaire des détournements de fonds de la M.N.E.F. » dans les années 1990.
 
(3) « Il faut de la souplesse d'esprit et une appréhension tactique du terrain, celle par exemple qu'acquièrent les militants syndicaux ou politiques. Ceux-là appréhendent correctement le présent tout en ayant une conception idéologique suffisamment forte pour structurer leur action sur la durée. Une disposition d'esprit particulièrement adaptée au crime. Les chefs d'entreprise devraient faire plus de syndicalisme étudiant quand ils sont jeunes pour s'exercer à cette nécessaire réactivité. » Philippe Plassart, « Alain Bauer, criminologue », Le Nouvel Économiste, op. cit.
 
(4) Gaël Tchakaloff, « Alain Bauer, propos en tablier », Le Nouvel Économiste. hnp://www.nouveleconomiste.frlPortraits/1292-Bauer.html
 
(5) « Entre 1981 et 1986, je participais à l'organisation de la résistance contre les manœuvres destinées à détruire ce que représentait Michel Rocard. Nous avions des cartes d'accès et des responsabilités relatives et imprécises, qui permettaient de faire cela, comme dans tout cabinet ministériel qui se respecte. , Gaël Tchakaloff, «Alain Bauer, propos en tablier " op. cit. .
 
(6) James Steele et Donald Barlett, « Washington's $8 Billion Shadow " Vanity Fair, octobre 2009.
 
(7) Noël Blandin, « Qui est Alain Bauer ? », La République des Lettres, 10 février 2009.
 
(8) On trouve d'ailleurs à la tête du SCTIP, l'ami et collaborateur d'Alain Bauer, Émile Perez, avec lequel il publiera plusieurs ouvrages sur la police et les méthodes nord-américaines.
 
(9) Gaël Tchakaloff, « Alain Bauer, propos en tablier », op. cit.
 
(10)Fort de son succès, Alain Bauer se fait nommer à la commission départementale des systèmes de vidéosurveillance de la préfecture du Nord en 1997.
 
(11)Laurent Bonelli, « Quand les consultants se saisissent de la sécurité urbaine, Savoir/Agir, n° 9, septembre 2009, p. 17-28.

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