Agression militaire de la Côte d’Ivoire: Not in my name !

Le nouveau cours pris par la crise décennale ivoirienne, depuis le deuxième tour des élections présidentielles, suscite un des plus grands débats ayant mobilisé les africains dans la dernière période.
De ce débat, il convient de tenter d’en tirer les enseignements pour les peuples africains.

Entre structure semi coloniale…
L’Afrique n’est pas encore sortie des marécages de l’histoire semi coloniale. Dans cette étape marécageuse, après la Sierra Leone, le Libéria, le Rwanda, le Congo…la Côte d’Ivoire, aucun des Etats multinationaux issus du congrès colonial de Berlin n’est à l’abri. Y compris ceux qui faisaient office de vitrines du bien fondé du « OUI » à la communauté franco-africaine gaullienne et qui devaient prouver que les parias Algériens du FLN et Guinéens de Sekou Touré avaient eu tort de vouloir pour leur peuple la souveraineté.


En ce cinquantenaire du meurtre de Patrice Lumumba (17 janvier 1961), les peuples africains ne doivent plus être dupés par les gesticulations de ce qui est dénommée la « communauté internationale ». Sa complicité dans les assassinats des Lumumba, Sankara, Moumié, Um Nyobé, O. Afana, A. Cabral…ses complicités et silences face aux exactions des Deby, Kérékou, Bongo, Biya, Eyadema, Mobutu, Houphouêt, Senghor…, qu’elle a soutenu suffisent à n’accorder aucun crédit à ses cris de jeunes vierges effarouchées dans la crise ivoirienne. Cette « communauté internationale » n’a que faire des peuples elle n’a que des intérêts pour lesquels elle ne recule devant aucun crime.


Mais ces gros intérêts s’amenuisent. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit est passée par là. La crise systémique de l’impérialisme marquée tout dernièrement par les crises islandaise, grecque et irlandaise profilant une crise espagnole, portugaise, … et de l’euro est passée par là. Le passage d’un monde unipolaire à un monde multipolaire avec les BRIC est aussi passé par là. La solution pour l’impérialisme c’est :
1) la remise en cause de tous les acquis des travailleurs dans les pays du centre d’où les récentes formidables luttes contre la réforme des retraites en France, les luttes des étudiants en Angleterre et en Espagne, les grèves en Grèce…
2) le maintien à tout prix de la domination dans les pays de la périphérie et leur plus grande pressurisation.
3) la guerre qui a déjà commencé en en Afghanistan, en Irak et qu'il cherche à prolonger ailleurs.


Rappelons à tous ceux qui, en Afrique, se signent au nom du FMI, de la BM et de l’OMC que depuis son indépendance en 1921, c’est la première fois, en 2010 contre la volonté populaire, que la souveraineté de l’Irlande est remise en cause. Ce qui a amené la rue irlandaise à conclure : « L’Irlande n’existe plus ! Nous habitons dans la république du FMI ». Ce qui a amené les impérialistes à se frotter les mains devant le pain béni que constituent les cas irlandais et grec. Appliquer au centre les méthodes réservées jusque là à la périphérie ! Démontrant ainsi la justesse de cet enseignement fort juste de K. Marx : « les travailleurs à la peau blanche ne sauraient être libres là où les travailleurs à la peau noire sont marqués au fer rouge ».


C’est dire donc que dans nos prises de positions sur la Côte d’Ivoire, nous ne devons pas oublier qu’à l’instar du Sénégal, du Bénin, du Mali, du Niger…de toute l’Afrique de l'ouest prise dans le piège du « nazisme monétaire » du franc CFA, la Côte d’Ivoire que se disputent sous nos yeux Gbagbo et Ouattara est une république du FMI. Une Côte du FMI ! Par conséquent, la question qui taraude la « communauté internationale » est : comment pérenniser le statut de « république du FMI » de la Côte d’Ivoire, c'est-à-dire de 40% du PIB de l’UEMOA, avec le maximum de garantie ?


A l’échelle de l’Afrique et durant ces cinquante dernières années, à cette question, cette « communauté internationale » véritable communauté impérialiste a répondu par les assassinats ciblés (la même chose qui est proposée pour Gbagbo aujourd’hui), les coups d’état, les successions dynastiques. Dans ce cadre, le passage à l’EFORTOM (Ecole de Formation des Officiers Ressortissants des Territoires d’Outre Mer), devenue plus tard l’EFORTDM (Ecole de Formation des Officiers du Régime Transitoire des troupes Marines), était une garantie de la servilité du chef de l’Etat aux injonctions néo coloniales. C’est pourquoi tous ces ex pensionnaires suivants des écoles militaires ci-dessus citées ont pu devenir présidents : Mathieu Kérékou (Bénin), André Kolingba (Centrafrique), Seyni Kountché (Niger), Saye Zerbo (Haute Volta), Moussa Traoré (Mali), François Bozizé (Centrafrique), Sangoulé Lamizana (Haute Volta), Gnassingbé Eyadema (Togo), Gabriel Ramanantsoa (Madagascar), Jean Bédel Bokassa (Centrafrique), Ali Seibou (Niger), Omar Bongo (Gabon). Ils faisaient partie de ceux qui avaient satisfait à la devise de l’école militaire de Fréjus : « mieux savoir pour mieux servir ». Ajoutons : mieux servir les desseins de l’ex colonisateur.


Les nouveaux Fréjus ont pour nom : OMC, Banque Mondiale, FMI pour ne citer que ces institutions internationales impérialistes. Si vous voulez être président avec la bénédiction de la « communauté internationale » y passer est un « must ». C’est de bonne guère pour ceux qui n’ont pour seul souci que la domination et l’exploitation de l’Afrique. Vincent Geisser, chercheur au CNRS dans un entretien avec Christophe Boisbouvier, ne dit pas autre chose parlant du cas Tunisien quand il affirme : « je pense que les américains misent sur un remplacement de Ben Ali. L’idéal pour les américains, ça serait une sorte de personnalité libérale appartenant au système, ministre en poste ou ancien ministre, qui pourrait avoir une très forte insertion dans les institutions internationales, un ancien de la Banque Mondiale ou du FMI (Fonds Monétaire Internationale) et qui serait susceptible d’engager, d’enclencher une transition démocratique en Tunisie ». Espérons que la révolution démocratique en cours en Tunisie balayera les visées impérialistes des USA tout en inspirant les autres peuples du nord et du sud de l'Afrique.


…superstructure anti démocratique…
Le soutien financier au candidat le plus sûr n’est plus suffisant. Ni pour le candidat ni pour ses souteneurs. D’où la régénération féodale de la dévolution dynastique, le refus pour l’impérialisme de mettre tous ses œufs dans un même…candidat. Mais aussi à toutes ces pratiques électorales qui ont donné naissance à des typologies électorales : « élections trafiquées » et élections fabriquées ou élections courues d’avance. Les dernières élections en Egypte, Burkina Faso, Togo, Gabon…en sont une illustration. Les ELECAM, CENI, CENA, CEI, LEPI…n’y font rien. La possibilité d’être candidat, le montant de la caution, le fichier électoral, l’organisation du processus électoral, la publication et l’acheminement des résultats…sont autant d’éléments qui donnent lieu à des débats entre majorité et opposition. C’est ainsi qu’il faut comprendre la création de nouvelles circonscriptions administratives et électorales au Sénégal à la veille des prochaines élections présidentielles de 2012. Et les silences de la « communauté internationale » impérialiste sont la preuve de sa position à géométrie variable sur les élections en Afrique. Quoi de plus normal !


Les élections en Afrique sont un aspect de la démocratie « africaine » qui est la nécessaire superstructure de la structure néo ou semi coloniale depuis 50 ans d’inDEPENDANCE. On ne domine pas avec un régime de liberté, de transparence, d’impartialité. On ne domine pas en donnant aux masses dominées les armes de leur émancipation.
Une démocratie caractérisée par le présidentialisme. Cela n’est pas fortuit car il est plus sûr, quand on veut perpétuer un système de domination, de miser sur un seul homme plutôt que sur tout un parlement.
Un présidentialisme dont le chef nomme des proches à tous les emplois civils et militaires. D’où une CEI acquise à Ouattara et un conseil constitutionnel acquis à Gbagbo. Des zones contrôlées par chacun des camps où bourrage d’urne, intimidation des électeurs, falsification de PV…ont été pratiquées par chaque camp. Résultats deux présidents.


En réalité, le cas ivoirien participe à révéler, du Caire au Cap et de Dakar à Mogadiscio, cette hideuse "démocratie" qui n’est pas africaine mais plutôt semi coloniale et dont tous les artifices et institutions créées pour soi disant garantir la sincérité des élections ne changent rien au fond : maintenir la domination. Et cela montre aussi que si au Burkina, en Egypte…nous avions eu deux zones, deux administrations et deux institutions chargées de proclamer les résultats, nous aurions eu aussi deux résultats. Et au Sénégal nous aurions deux présidents de comité de veille. Un pour le pouvoir et un deuxième pour l’opposition.
Mais cela ne revient pas à dire que les peuples, démocrates et progressistes africains ne doivent pas se battre pour la démocratie. Les progressistes défendent toujours le respect de la démocratie même lorsqu’il bénéficie (temporairement) aux ennemis des classes ouvrières, paysannes et populaires, aux adversaires de tout projet souverain, national et démocratique de tout Etat. Car, mieux que mille discours l’expérience vécue par les peuples est leur meilleur moyen de conscientisation.


Tout cela nous pousse à dire que ce qui est en cause en Côte d’Ivoire c’est le statut de « république du FMI », partagé par tous les pays de l’Afrique de l’Ouest (pour ne parler que de cette partie du continent), statut auquel correspond une démocratie au service du maintien de cette république. Une « démocratie » qui fait dans la division par la manipulation des sentiments religieux, régionalistes, voire tribalistes et ethnicistes ce qui a donné naissance à l’ « ivoirité » en Côte d'Ivoire.


…et conjoncture ivoirienne
Alors c’est prendre l’effet pour la cause que de vouloir intervenir militairement en Côte d’Ivoire. Mais surtout prendre les peuples africains pour des amnésiques ignorants. A l’intangibilité des frontières coloniales semble succéder une « intangibilité » des résultats électoraux favorables à la communauté internationale impérialiste que l’on veut défendre au prix d’une guerre civile et d’une partition de la côte d’Ivoire.
C’est pourquoi aucun appel ne sera de trop pour empêcher la sous-traitance par l’UE et les EU de l’invasion de la Côte d’Ivoire par la CEDEAO.
« Vous vous tromper de guerre ! », « Pas d’intervention militaire en Côte d’Ivoire ! » disent déjà en chœur plusieurs personnalités et organisations d’Afrique et du monde.
Chaque citoyen d’un pays de la CEDEAO doit dire à son gouvernement qu’une invasion de la Côte d’Ivoire pour pérenniser une « république du FMI » au prix de l’assassinat d’ivoiriens ne se fera pas en mon nom. Not in my name !

Source: Diasporas

 

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