Accidents ferroviaires, rançon de la rentabilité

Lundi 15 février 2010, deux trains SNCB entraient en collision près de Bruxelles. Bilan: 18 morts, 125 blessés. Erreur humaine, chuchote-t-on aussitôt dans les médias aux ordres… Les machinistes ont répliqué. Mardi 16 février, ils se sont mis en grève, paralysant une grande partie du pays. Et ils dénoncent: leurs conditions de travail, les économies imposées à tous les niveaux, le mépris des usagers.


L’an passé déjà, le 20 mai, les salariés de la SNBC se mettaient en grève, incriminant leurs paies insuffisantes et leurs conditions de travail. La grève fut un succès total, mais les chefs se sont moqués des gens de terrain. Et pour cause : la notion de service public leur est inconnue. La SNBC doit retrouver une rentabilité qu’elle a perdue. Elle a besoin d’être attractive car le gouvernement belge veut vendre ses chemins de fer, les introduire en bourse. Pour que l’entreprise revienne dans les chiffres noirs, tous les coups sont permis. Ce sont les cheminots et les voyageurs qui paient la facture. Parfois au prix de leur vie.

La France a échappé de peu à de graves accidents, exactement pour les mêmes raisons. Le 26 avril 2008, en raison d’un défaut de freinage, un train Veolia à traversé la gare de Montauban à plus de 60 km/h, évitant de peu la collision avec un train de voyageurs. Le 20 mai dernier, un train d’Euro Cargo Rail, dont le chargement était mal arrimé, est entré en collision avec un train fret de la SNCF. Le conducteur est blessé, le trafic a été interrompu durant douze heures.

Les conducteurs de trains français – sous couvert de l’anonymat ? racontent que la pression des managers les pousse à souvent bâcler les procédures de sécurité. Ainsi, dans L’Humanité du 9 octobre dernier, un conducteur d’Euro Cargo Rail expliquait que pour gagner du temps certains de ses collègues n’effectuaient pas correctement les essais de freins de leur convoi.

Et en Suisse? Même marasme. On privatise à pas feutrés, parés de feuilles de vignes offertes par des lois votées sur mesure. L’évangile des CFF est déjà celui du marché. Gare aux employés et aux usagers. Cet été, le directeur Andreas Meyer (beau salaire) menace de mettre à l’amende les salariés en cas de retard des trains. L’automne passé, 54 emplois sont supprimés dans les gares de triages, 300 postes sont rayés de la carte début 2010. Les négociations salariales sont bloquées depuis décembre. Les usagers eux aussi en prennent plein la poire: grosses augmentations des tarifs en vue, alors que les trains sont déjà hors de prix… De quoi redevenir automobiliste. Ce n’est pas tout : des billets plus chers seront (sont déjà en fait) vendus aux pendulaires, c’est à dire à des travailleurs, des étudiants; ils ont le tort de voyager aux heures de pointes. Cinq francs de taxe supplémentaire sont perçus sur des billets internationaux. Reste ce que nous connaissons déjà : encombrement des trains, pannes, retard, suppression des wagons silence pour les deuxièmes classe. La Belgique préfigure ce qui nous attend : là-bas, des trains sont déjà supprimés, les wagons mal nettoyés, des gares abandonnées. C’est vrai, les CFF ont proposé quelques innovations, par exemple une cadence de 30 minutes sur le réseau principal. Mais ce n’est rien par rapport au stress et aux risques que subissent ceux qui travaillent, les cheminots, et ceux qui paient, les usagers. Nous passons deux fois à la caisse : une fois pour les billets et une fois avec nos impôts. Avec les privatisations, ce sera pire car l’Etat (donc nous) risque fort d’assumer les parties non rentables du rail.

Puisqu’on est dans le glauque, restons-y. Ulrich Gygi, exécuteur des basses œuvres de la privatisation à la Poste, arrive sur le rail. Privatiser, ça il sait. En fait ce n’est pas sorcier, le modèle est partout le même : on débite l’entreprise en morceaux, on transfère dans ces portions découpées une série d’activités. Puis on décrète que ces entités sont désormais indépendantes les unes des autres, sur le plan comptable comme sur celui de la productivité. En clair, chaque élément (appellés généralement unités) fonctionne comme une société anonyme dont le but est de faire du fric. Ainsi dépecé, un service public – les CFF par exemple ? est facile à vendre à des actionnaires suisses ou étrangers.

Que la droite salive à l’idée des privatisations est normal. Malheureusement les partis «de gauche» (Verts et Socialistes) que les média écoutent, ainsi que les syndicats, les associations de défense des citoyens ou de la nature, ne s’opposent pas ouvertement à toute privatisation. C’est inquiétant. Mais nous, usagers et cheminots, nous pouvons réfléchir à des alternatives concrètes à la vente de nos services publics. Nous devrons bien, un jour, le plus vite possible, mettre en œuvre des stratégies efficaces pour contrer ces voleurs de biens communs. Et de démocratie.

 

Source: Combat.ch

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