A propos de la visite du « chef spirituel tibétain » en Belgique

Quand le Dalaï-lama rencontre nos élèves… (mai 1996)

Voici quelques mois, Mme Onkelinx, Ministre de l’Education et de la Formation en Communauté française de Belgique lançait à grand renfort de publicité une campagne d’éducation sur le ‘danger des sectes’. Quelques jours plus tard, des brochures quadrichromes diffusé à plusieurs centaines de milliers d’exemplaire par l’Institut tibétain Yeunten Ling et la Communauté française nous apprenaient que ce 6 mai 1999 prochain Mme Onkelinckx accueillerait personnellement « sa Sainteté » le Dalaï-lama, « chef spirituel des Tibétains » et invité d’honneur d’une ‘journée sur la citoyenneté à l’école’.

A en croire les brochures, « Sa Sainteté » vient notamment en Belgique pour nous donner ‘deux enseignements’ (à 1.200 BEF la séance) sur ‘les relations entre le corps et l’esprit’. Ses explications prétendent démontrer pourquoi ‘le Karma, un concept-clé du bouddhisme, permet de comprendre l’apparition du corps de chair et d’os que nous utilisons dans la vie quotidienne’. Voilà qui pourra utilement détromper les sombres idiots que croyaient encore que la biologie et la théorie de l’évolution apportaient une réponse cohérente à ces questions. Le Dalaï-lama nous explique également que, contrairement à ce qu’affirment les sciences, ‘l’être humain se sert d’autres corps que le corps de chair et d’os’. Ainsi, par exemple, ‘pendant le sommeil, l’esprit évolue sous la forme d’un corps onirique formés par nos tendances fondamentales’. Que tous les chercheurs qui s’évertuent à analyser les rêves avec leurs stupides mesures de l’activité cérébral en prennent de la graine : ils perdent leur temps. Le Dalaï-lama et ses adeptes ont les réponses à leurs questions depuis longtemps. Il nous explique d’ailleurs que ‘même après la mort, l’esprit continue, à produire et à utiliser un corps qui est appelé le corps mental de la période intermédiaire, c’est-à-dire la période qui commence au moment de la mort et se termine au début de la vie suivante’. Décidemment, les professeurs de morale laïque des écoles de la Communauté, dont Mme Onkelinx est Pouvoir Organisateur, vont devoir sérieusement réviser leur programme…

A Huy, ‘sa Sainteté’ participe également à un débat avec des élèves et des professeurs su ‘la paix dans le respect de l’homme’. Ensuite, ‘Elle’ se rend à Anvers, pour y rencontrer un élève-délégué de chaque école de Flandre. Afin d’éviter tout malentendu ou question stupide, ces élèves-ambassadeurs’ recevront à l’avance ‘des informations sur le bouddhisme et la personne du Dalaï-lama’.

Constatons au passage que, s’il semble impossible à parvenir à un accord politique entre francophones et flamands lorsqu’il s’agit de dégager les moyens de refinancer l’enseignement en Belgique, toutes les difficultés communautaires s’évanouissent comme par enchantement lorsqu’il s’agit de coordonner l’endoctrinement de la jeunesse dans des fumisteries mysticistes réactionnaires et anti-scientifiques. On ne saurait mieux illustrer l’abandon de ce qu’on croyait être la mission essentielle de l’école –l’instruction –au profit de l’éducation de ‘citoyens épris de paix, d’amour et d’espoir’, c’est-à-dire de citoyens endormis et soumis à l’autorité, à l’image précisément des adeptes des sectes bouddhistes.

Mais le pire, c’est que tout cela se fait au nom des ‘droits de l’homme’ et de la ‘démocratie ‘. Le Dalaï-lama est-il vraiment bien placé pour nous entretenir de ce sujet ? Le Tibet d’avant 1951 était-il ce ‘havre de paix et de sagesse’ qu’on se plaît à nous décrire ?

Quand la Chine s’est libérée de la domination féodale Mandchoue en 1911, la caste dirigeante autocratique des moines et des seigneurs féodaux tibétains a unilatéralement proclamé l’indépendance du Tibet. Ceci fut réalisé avec l’aide et à l’instigation des Britanniques qui avaient déjà par trois fois tenté d’envahir le Tibet à partir de l’Inde et voyaient (à juste titre) dans la révolution démocratique et bourgeoise de 1911 une menace contre leurs intérêts économiques en Chine. Ces territoires sont donc restés à l’état féodal jusqu’à leur libération par les troupes communistes en 1951. Signalons que, durant la deuxième guerre mondiale, les autorités locales tibétaines, bien qu’officiellement neutres, ont objectivement soutenu l’axe Berlin-Tokyo en empêchant l’approvisionnement des armées chinoises par la route, à partir de l’Inde.

Le Tibet d’avant 1951 n’avait rien du paradis démocratique que nous dépeignent les adeptes des sectes bouddhistes et ceux qui, par bêtise ou par anticommunisme primaire, reprennent leurs mensonges. C’était un pays féodal, pratiquant le servage et même l’esclavage à grande échelle. Une minorité de propriétaires de serfs – nobles, autorités locales et chefs de monastères – possédaient toutes la terre et les forêts ainsi que la majeure partie du bétail. Quelques 200 à 300 familles dominaient le Tibet. Au sommet, le Dalaï-lama, plus grand propriétaire de serfs, chef religieux et chef politique autoproclamé.

Les serfs étaient accablés de taxes et obligés de labourer gratuitement et avec leurs propres bêtes de trait les 70% de terres que se réservait le seigneur. Ils étaient en outre tenus d’effectuer diverses corvées : la ‘corvée de conscription’ (service militaire avec ses propres vêtements et sa propre nourriture) ; la ‘corvée de pied’ (transport de denrée au profit des seigneurs) ; la ‘corvée de main’ (tonte de l’herbe et approvisionnement des officiels du gouvernement local en bois de chauffage, en beurre et autres biens). Le ‘Ula’ était la forme de corvée la plus courante. Elle obligeait les pauvres à servir chaque seigneurs de passage dans leur village, en lui apportant tout ce qu’il demandait : matelas, cheval, paille, tente, table, viande, beurre, thé et jeunes filles. Il n’était pas rare, sur les routes de l’ancien Tibet, de voir un serf courir derrière un noble à cheval, dans l’espoir de récupérer son unique monture à l’arrivée…

Vous avez dit droit de l’homme ? Alors parlons de la justice telle qu’elle était pratiquée dans le Tibet féodal. L’exécution publique des serfs était courante. Parfois, ils étaient d’abord éventrés, puis trainés dans la ville avant leur exécution. Le code pénal (écrit), qui fut rédigé par le gouvernement local tibétain d’avant 1951, divisait la société en trois classes. La classe supérieure comportait les ‘Bouddhas vivants’, les nobles et haut-fonctionnaires d’Etat. La classe inférieure comportait les serfs et les esclaves. Si un membre de la classe inférieure offensait un membre des classes supérieures, l’une des peines suivantes était appliquée : yeux arrachés, jambes hachées, mains ou langue coupés ou encore être jetés du haut d’une falaise. Une simple accusation suffisait : l’accusé, s’il était membre de la classe inférieure, n’était pas entendu. Si un membre de la classe inférieure assistait incidemment au viol de sa fille ou de sa femme par un seigneur, il devait avoir les yeux arrachés.

Les monastères tibétains ‘hauts lieux du recueillement et de la spiritualité’, étaient eux-mêmes propriétaires de serfs dont ils exigeaient l’impôt et la corvée. Au sein du monastère, le pouvoir était entre les mains de quelques ‘Grands Lamas’ issus des famille nobles et qui ne travaillaient pas. Les lamas inférieurs, issus des classes pauvres, constituaient la majorité des moines. La plupart d’entre eux étaient devenus lamas par obligation : lorsqu’une famille avait trois garçons, l’un d’eux était contraint de devenir lama. D’autres entraient au monastère pour échapper à leurs dettes ou simplement pour survivre. Ces lamas pauvres, souvent enrôlés de force dés le plus jeune âge, étaient contraints aux tâches les plus dures. Les archives du monastères de Zheibung, dans la banlieue ouest de Lhassa, font état d’une moyenne de 300 moines en fuite chaque année, au péril de leur vie : le lama en fuite risquait la peine de mort s’il était repris.

Quand le Dalaï-lama chantait les ‘Sutras de la damnation’, des têtes humaines, du sang, des cœurs et des chairs humaines fraichement dépecée servaient d’offrandes. Un tel rite eut encore lieu en automne 1948, quand le Dalaï-lama décida de chanter les ‘Sutras’ sur la place de Lhassa, dans l’espoir de contrer la révolution communiste. A cette occasion, 36 jeunes furent arrêtés ; 21 d’entre eux furent mis à mort pour servir d’offrandes.

En 1959, les trois principaux monastères possédaient 321 manoirs, 147.000 hectares de terres, 26 pâturages, 110.000 têtes de bétails et 40.000 serfs. La famille du précédent Dalaï-lama possédait personnellement 27 manoirs, 36 pâturages, 6.170 serfs paysans et 102 esclaves domestiques. Leurs propriétés mobilières s’élevait à 168.328 talents d’or, 95.000 talents d’argents, 20.331 pièces de bijouterie et 14.676 articles vestimentaires.

Je ne doute pas que tout cela constituaient des ‘bases éthiques’ susceptibles de ‘garantir le bonheur’… du Dalaï-lama. Je comprends aussi qu’il ait voulu préserver ces ‘bases éthiques’ en fomentant la rébellion armée de 1959, si éloignée des idéaux de pacifisme que professe ‘Sa Sainteté’ aujourd’hui. Il m’est par contre beaucoup plus difficile de percevoir en quoi ce représentant d’un petit groupe de privilégiés, de fous mystiques et d’oppresseurs cyniques, pourrait contribuer à l’éducation et à l’instruction de notre jeunesse.

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