“A mort les Arabes! On reviendra vous tuer.”

Bonjour,

Je ne sais pas par où commencer mais je dois certainement commencer par remercier tous les amis, que je connais ou pas, tous ceux qui m’ont envoyé des messages de solidarité dans les pires moments d’angoisse : je lisais et relisais les dizaines de messages qui m’ont tenu compagnie pendant cette période difficile et inoubliable.

La nuit !

20 jours de terreur, des tonnes de bombes tombant sur Gaza ( 375 km2), encerclée de tous les côtés, mer, ciel, du nord au sud, où se condense 1 million et demi d’habitants. on a utilisé toutes leurs forces militaire et ils menacent que ce n’est qu’une partie de leur forces

Chaque nuit je restais éveillée à la lumière d’une bougie, mes enfants avaient très peur du noir et on était tous regroupés dans la chambre du milieu par ce qu’ elle est loin des façades extérieures, espérant être en sécurité si un obus touchait la maison. La radio allumée pour essayer d ‘avoir des nouvelles des forces terrestres, j’avais peur de fermer les yeux, que la bougie s’éteigne ou qu’un obus nous tombe dessus à tout moment, le portable dans ma poche, le sac déjà prêt à côté de moi, au cas où nous serions obligés de quitter la maison. Mes enfants sont allongés à côté de moi, ils ont fini par se coucher, mais chacun d’eux est accroché à mon bras pour s’assurer que je suis là . Ma fille Mira 6 ans sursaute à chaque coup mais n’ouvre pas les yeux pour me prouver qu’elle est courageuse mais je sens ses mains me serrer le bras. Quand c’est tout proche et très fort elle ne peut s’empêcher d’ouvrir les yeux et me regarder avec un air qui me bouleverse, je me force à sourire : “rendors toi ma chérie, c’est loin! C’est par ce qu’il fait nuit qu’on entend très fort”.

Je compte les minutes pour que le jour se lève ,c’est moins effrayant le jour les affrontements augmentent pendant la nuit, la lumière du jour nous offre plus d’espoir.

Chaque matin, je me dis : « un autre jour et on est encore vivant », en espérant que ce sera le dernier jour de cette guerre

Mon mari et mon beau-père faisaient parfois des blagues pour apaiser notre peur mais ça ne servait à rien. A la radio, on entendait des appels au secours des familles coincées dans leurs maisons ou dans la cage d’escalier. On entendait leurs enfants crier, pleurer, avec les bombardements autour d’eux.

Soit il y avait quelqu’un de blessé ou touché par les éclats d’obus soit la maison brûlait. Nous connaissons certaines de ces familles, ce sont des amis à nous. Je pleurais, on ne pouvait rien faire sinon appeler des ambulances pour les évacuer!

Un homme appelait la radio suppliant le monde de sauver sa fille touchée qu’il n’arrivait pas à sortir de la maison. Celui qui sort de sa maison la nuit n’a pas de chances de survie car on tire sur tout ce qui bouge.

Dans le quartier A’l karama où il n’y avait même pas d’affrontements un obus a été tiré sur une voiture, tuant une famille de 4 personnes. Monsieur Zeyada, emmenait à l’hôpital sa femme qui allait accoucher et leurs deux enfants car ils ne pouvaient pas les laisser à la maison tout seuls.

Après 13 jours la croix rouge a eu la permission de retirer ce qui restait des cadavres de 29 membres de la famille AlSamouni, ensevelis sous un bâtiment qu’un F16 a détruit en quelques seconds. Parents, fils, belles-filles, les petits-fils, tous habitaient dans le même bâtiment…Le prétexte : un résistant se cachait derrière cette maison.

La famille AlDAya dans le quartier AlZaytoune à l’Est : 3o personnes dont des femmes, des enfants et même des bébés !!!

La famille Abu heicha , 40 personnes massacrées à l’école Alfakoura qui hébergeait des centaines de familles évacuées de leurs maisons à Jabalia et ailleurs.

Dans notre culture et pour des raisons économiques la famille élargie construit un bâtiment où chaque fils habite un étage avec sa femme et ses enfants. C’est ainsi que quelqu’un peut perdre 10 ou 20 ou 30 membres de sa famille d’un coup et se maudire d’être le seul à survivre avec le poids de ce souvenir.

A 2 h du matin le directeur de service des urgences a annoncé à la radio qu’ils ne pouvaient plus répondre aux appels de secours , il explique qu’ils ont perdu plus de 20 voitures d’ambulances, 15 ambulanciers et 2 médecins, devenus eux-mêmes des cibles. Il a présenté ses excuses et a dit qu’il n’y avait plus qu’à patienter et prier Dieu pour que tout cela s’arrête…

Vous imaginez la suite, je me disais : « si quelqu’un d’entre nous est blessé ou mort et que personne ne vient à notre aide ? »

A la troisième semaine de guerre on a réussi à évacuer après qu’un obus soit tombé sur la maison d’en face et un autre sur la mosquée du quartier, mais d’autres restent toujours coincés…

Nous sommes allés chez la sœur de mon mari. On était très nombreux il y avait aussi eu d’autres réfugiés avant nous. Nous n’avions plus pris de douche depuis 12 jours car il n’y avait plus d’eau, plus d’électricité ni même de carburant pour faire fonctionner les générateurs.

Mais au moins on se sentait un peu plus loin du danger et mes enfants se sont calmés. Mais nous étions au centre ville et nous demandions : « s’ils continuent à avancer, où ira-t-on après ? ». Car tous les passages étaient fermés…il ne nous restait plus qu’à prier nous aussi.

Le Cessez Le Feu !!!

Enfin, on a annoncé les cessez le feu le 17 janvier à 2h du matin. Ma belle mère s’inquiétait pour la maison, elle voulait y retourner mais nous l’en avons empêchée car nous nous méfiions des déclarations officielles. Ce n’est donc qu’après plusieurs heures que nous nous retournés au quartier. Notre maison était toujours debout, mais le quartier était défiguré, je n’ai même pas reconnu l’entrée de notre jardin : mur de clôture détruit, orangers arrachés, maisons effondrées, d’autres brûlées, dont la fumait s’échappait encore.

J’ai remercié Dieu que la nôtre soit encore là mais une fois à l’intérieur, on a découvert qu’elle avait été occupée par plus de 50 soldats pendant une semaine : meubles renversés, portes cassées, rideaux déchirés, toilettes bouchées, de la merde et de la pisse partout, de la bouffe, des ordures, …tout avait été saccagé.

Bref j’ai compris pourquoi la maison était toujours là. Ils se protégeaient à l’intérieur et les snipers s’était installés là pour tirer sur tous ceux qu’ils soupçonnaient.

Ils avaient entassé les meubles contre les fenêtres pour en faire des paravents, avaient accroché les tapis avec des fils de fer, fait des trous dans les rideaux pour viser sans être vu, et enlevé le carrelage pour retirer le sable en-dessous et en remplir les sacs. Ils avaient jeté leurs poubelles partout. Une fois les toilettes bouchées, ils ont utilisé des chaises trouées et des sacs pastiques qu’ils ont jeté dans les armoires, les casseroles ou le réfrigérateur.…

Dans le bureau ils ont trouvé des livres et des documents en français et des documents. Ils ont laissé un message sur le mur disant : “A mort les arabes, on reviendra vous tuer.”

Bref la maison était inhabitable, j’avais peur que les objets inconnus n’explosent. Je n’ai donc pas ramené mes enfants, et j’ai bien fait car ils auraient été choqués de voir l’état de la maison.

Avec mes amis et mes sœurs on a passé plus de 4 jours à nettoyer et réparer, alors que nous habitions toujours chez ma belle-sœur. Je pensais qu’on ne pourrait plus revivre dans cette mais aussi à cause de tristesse qui régnait dans le quartier. Ce jour là, il y avait des milliers de gens qui revenaient sur ce qu’il restait : des visages en pleurs, perdus, certains essayaient de sauver ce qui restait de ses meubles !Une maman essayait de retirer quelque vêtements pour ses enfants de sa maison détruite. Tout le monde se saluait, même sans se connaître, en disant « Merci à Dieu, vous avez survécu ! ”

Le cinquième jour on a décidé de rentrer à la maison, car louer un appart était trop cher.

J’ai eu les larmes au yeux quand mon fils a vu sa balançoire saccagée et le mur de jardin détruit. Il faisait des aller-retour comme pour essayer de comprendre. En faite il était content d’y revenir, la première chose qu’il a faite a été de se diriger vers son armoire pour chercher son sac de jouets : il était si content car si il avait senti qu’il avait risqué de perdre ses jouets.

Aujourd’hui c’est la sixième nuit qu’on passe à la maison : elle est encore en désordre car le ménage avance très lentement vu qu’on n’a pas suffisamment d’eau et pas d’électricité.

Depuis notre retour , je me sens isolée du monde extérieur :pas de téléphone, pas de télévision, même le portable fonctionne mal, on allume du bois pour cuisiner ou chauffer l’eau pour se douche. La crise du carburant existe toujours surtout puisqu’on a détruit tous les tunnels. Bref nous menons une vie primitive au 21e siècle.

Le noir fait partie de notre vie : la nuit l’obscurité est complète. De notre fenêtre on peut observer le port et la ville israélienne de Ashdood à 15 km de chez nous avec les lumières étincelante comme si là-bas, c’était la fête.

Comme je vous ai déjà dit l’offensive s’est arrêtée, mais la guerre n’est pas finie ni ses conséquences. 80 % des enfants de gaza ont des problèmes psychologique , un sommeil agité, ils font pipi au lit. Mon fils le fait même le jour. Ils ont un comportement bizarre ,les miens ne se déplacent plus dans la maison sans moi ,ma fille a peur d’aller aux toilettes seule, ils sursautent même quand la porte claque , d’ailleurs moi aussi. Ma fille a repris l’école et chaque jour, elle en revient avec une histoire d’une copine qui a perdu son frère, son père, ou d’une nouvelle élève dont l’école a été détruite.

Il faut savoir que depuis deux ans on interdit de faire entrer du verre ou du métal ou du bois sous prétexte qu’ on les utilise pour fabriquer des roquettes et explosifs. Les gens ne peuvent donc pas reconstruire leur maison faute de matériel de construction , les appartements à louer sont déjà tous occupés par les gens chassés de leur maison.

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1350 morts dont la moitié sont des enfants et femmes, 100 toujours disparus, plus de 5000 blessés (que je considère comme morts aussi, ils survivent mais ne sont plus vivants).

Comme dit mon mari, après quelque temps, ces gens ne seront plus que des chiffres. On aurait pu être quelques chiffres de plus , c’est si simple que cela.

Un journaliste m’a demandé « est- ce que tu es en colère et contre qui ? », j’ai répondu que je ne sens pas la colère, je suis toujours sous le choc, je ne crois toujours pas qu’on a survécu.

Et si vous étiez à notre place vous vous rendriez compte que dans la guerre, la colère ne sert a rien.

Je remercie encore nos amis Nicole, les Muraze , Philippe et son épouse, ma chère Angela et sa mère, Jeanne et Raymond ,et tous ceux qui on pris la peine de nous écrire et de se manifester

Dania =Mohammed

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