A Paris et Ankara, terrorisme et antiterrorisme ne font qu’un

Mercredi dernier, trois militantes kurdes ont été exécutées de plusieurs balles dans la tête dans les locaux du centre d’information du Kurdistan situé en plein cœur de Paris. Parmi les victimes se trouve Sakine Cansiz, 55 ans, l’une des fondatrices du PKK, rescapée du camp de torture de Diyarbakir durant la dictature du général Evren. Les deux autres militantes d’une vingtaine d’années plus jeunes ont grandi en Europe. L’assassinat odieux de ces trois femmes a suscité l’émoi et l’indignation tant au sein de la communauté kurde de la diaspora que dans les milieux associatifs français et européens lesquels appellent à protester contre le terrorisme de l’État turc et la « complicité de François Hollande ».

 
Si, pour l'heure, nous ignorons encore l'identité du ou des auteurs de ce massacre politique, nous ne devons pas oublier la responsabilité de l’État français dans l'insécurité qui frappe les associations kurdes régulièrement victimes d'opérations policières.
Chaque année, des dizaines de sympathisants du PKK sont en effet arrêtés à leur domicile, dans les locaux de leurs associations ou sur leur lieu de travail par les unités de la Sous-direction antiterroriste (SDAT), puis déférés devant des tribunaux sur base d'accusations politiques.

D'autres mouvements dissidents anatoliens subissent le même sort.

Il y a quelques jours à peine, la Xe chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné quinze militants marxistes turcs à un total de plusieurs dizaines d'années de prison au motif qu’ils auraient monté une entreprise terroriste.

 
Pourtant, ces quinze activistes de gauche n’ont jamais eu l’intention de commettre le moindre attentat, ni en France, ni en Turquie, ni ailleurs dans le monde.

Leurs activités consistaient à coller des affiches, collecter des signatures, organiser des concerts, des festivals de musique et des pique-niques, défiler le 1er mai ou encore tenir des stands kebab à la Fête de l'Huma dans le but légitime de faire connaître le combat de leurs camarades incarcérés en Turquie.

Dans le compte-rendu publié par le Collectif Angles Morts à propos des audiences de ce procès ( http://www.article11.info/?Antiterrorisme-ordinaire-le-proces ), on découvre l’état d’esprit pour le moins interpellant et le degré de mauvaise foi des maîtres de l'antiterrorisme français pour qui la non-possession d’un téléphone portable, la gestion chaotique d’une association culturelle ou les salutations affectueuses entre co-inculpés sont les signes d’un insondable complot terroriste.

Pour savoir quelle mouche a bien pu piquer la justice française, un simple coup d’œil sur « l'Accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et la République de Turquie » suffit.

Cet accord de lutte antiterroriste a été signé le 7 octobre 2011 à Ankara par Claude Guéant, ministre de l'intérieur sous le règne de Sarkozy et par son homologue turc Idris Naim Sahin.

Grâce au clan Sarkozy et à ses héritiers socialistes, le régime d'Ankara peut ainsi agiter son glaive jusque dans les rues de Paris sans coup férir.
En contrepartie, grâce au clan Erdogan, l’État français offre à ses citoyens un rien contestataires une conception très panoramique de la « sécurité intérieure » avec à la clé un séjour gratuit en centre de désintoxication idéologique.

Auparavant, l’État turc n’avait pas besoin d’accords de ce genre de traités pour persécuter les communistes turcs, les nationalistes kurdes ou arméniens dans la patrie des droits de l’homme.

Rien que durant les années 80, on ne compte plus les crimes commis sur le sol français par les ripoux turcs s’appuyant sur les réseaux mafieux d’extrême droite comme les Loups Gris : attentat le 5 décembre 1983 contre l’organisation de jeunesse arménienne, tentative d’assassinat des activistes arméniens Ara Toranian et Henri Papazian, plasticage du monument arménien d’Alfortville le 4 mai 1984 etc. 
Derrière ces crimes, le même nom resurgit, celui d’Abdullah Catli, trafiquant d’héroïne, tueur à gages et militant fasciste recherché par Interpol mais bénéficiant des protections policières turques.

Catli est mort dans le fameux accident de Susurluk le 3 novembre 1996.

A bord de la Mercedes sinistrée, on a retrouvé le corps sans vie de sa maîtresse et celui d’un chef de la police antiterroriste turque.
Le quatrième acteur surprise de ce tragique road movie plus vrai que nature fut Sedat Bucak, député du parti de droite à l’époque au pouvoir et seul survivant du crash.

Au moment de son décès, Abdullah Catli portait un faux passeport fourni par Mehmet Agar en personne, le ministre de l’intérieur de l’époque.

Aujourd’hui, le premier ministre turc Erdogan a beau se faire passer pour un Di Pietro turc en guerre contre l’État profond, les scandales concernant sa collaboration avec des membres de la bande à Catli ou des tortionnaires de l'ancien régime sont légion.

Comme tout caïd qui se respecte, du temps où il était détenu à la prison de Pinarhisar en raison de ces discours islamistes enflammés, Erdogan était flanqué de gardes du corps.

Parmi eux, il y avait un certain Hasan Yesildag. Ce sombre personnage est cité dans l’affaire de l’attentat contre le monument aux Arméniens à Marseille et fait partie de la bande à Catli (Source : Necdet Pekmezci, Derin Abiler-Derin Sirlar, Ed. Kripto, 2012).
 
Le 17 juin 2004, un ex-détenu politique dénommé Erdal Gökoglu avait démasqué lors d’un colloque à Rotterdam un autre bodyguard du premier ministre, Maksut Karal, coupable de tortures à la chaîne. (Voir http://archive.indymedia.be/news/2004/06/86320.html ).
Pour taire les critiques, Erdogan avait prié son gorille de se tenir en retrait.

Le procès Ergenekon ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Ergenekon ) constitue l’illustration la plus aboutie de cette stratégie gouvernementale consistant à feindre de vouloir tordre le cou aux vieux démons qui hantent les institutions de l’État tout en les utilisant à son propre profit pour écarter ses adversaires.

Avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP, les vieux démons de l’État profond avaient fait de l’exécution extrajudiciaire leur sport favori.
Aujourd’hui, cette pratique terroriste a non seulement survécu à l’avènement de l’AKP mais elle a même retrouvé une nouvelle jeunesse comme en témoigne l’assassinat de l'écolier kurde de 12 ans Ugur Kaymaz, de l’étudiant socialiste Önder Babat ou encore du journaliste arméno-turc Hrant Dink.

Selon les organisations turques des droits de l’homme, une quarantaine de citoyens ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires suite aux tirs des forces de sécurité durant l’année 2012.

Sont-ce les mêmes qui auraient tué Sakine, Fidan et Leyla dans le centre d’information du Kurdistan à Paris ?

L'opposition turco-kurde qui lutte contre le régime policier d'Erdogan en a l'intime conviction.

Vendredi 11 janvier 2013

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