A Madrid, il y a chaque jour, cent expulsions de logements

Il y a tout juste un an, Lisardo Suarez, syndicaliste et représentant des mineurs espagnols venait à ManiFiesta témoigner des enjeux et des combats qu’il livrait avec ses collègues. Nous avons pu le rencontrer il y a deux semaines, aux Asturies. L’occasion pour lui de nous mettre à jour sur le conflit qui fit rage dans les Asturies durant l’été 2012.

Lorsque vous êtes venu à Bredene, la lutte des mineurs espagnols était à son paroxysme. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lisardo Suárez.  La lutte des mineurs en Espagne (région des Asturies) n’est toujours pas finie. Les évènements fort médiatisés de l’année passée ne marquaient en quelque sorte que le début de la lutte. Celle-ci se poursuit encore aujourd’hui même si cela se fait sans barricades, sans blocages de routes et sans affrontements avec les forces de l’ordre. Tant qu’il existera une incertitude énorme sur le sort qui sera réservé à l’ensemble du secteur charbonnier d’Espagne, notre lutte ne sera pas terminée.
Pouvez-vous nous rappeler les origines du conflit minier ?
Lisardo Suárez. L’origine du conflit est à chercher dans la privatisation des compagnies électriques du pays. Auparavant, quand elles étaient gérées par l’État, celui-ci approvisionnait ces centrales productrices d’électricité en charbon espagnol. Depuis qu’elles ont été privatisées et sont aux mains de capitaux étrangers, ces compagnies ont cherché à s’approvisionner en charbon bon marché, souvent colombien, au détriment de celui produit dans les mines des Asturies. C’est cela qui a causé la crise du charbon espagnol ! 
    Ils parlent de charbon à très bon prix. Mais nous pensons que son coût est énorme : les syndicalistes colombiens et sud-africains se font tuer et les exploitations à ciel ouvert polluent exagérément la nature. Tant que ces compagnies productrices d’électricité ne sont pas contraintes d’utiliser le charbon espagnol, notre production nationale ne trouvera pas preneur et l’Espagne perdra son unique source souveraine de production d’électricité.
Pouvez-vous nous dire un mot sur la crise économique en Espagne ? Comment les gens la vivent-ils ?
Lisardo Suárez. La situation en Espagne est dramatique pour la classe ouvrière. Le taux de chômage est de plus de 26 %. Les jeunes fuient en masse vers l’étranger, alors qu’il s’agit de la génération la mieux qualifiée dans l’histoire espagnole. Mais ils n’ont aucune perspective en termes d’emploi. Il y a plus de 6 millions de chômeurs. Et ceux qui travaillent voient leurs conditions de travail se dégrader de jour en jour. L’emploi se précarise. Les emplois fixes sont substitués par des emplois à court terme, mal payés.
    Tout ceci, alors que les bénéfices des banques espagnoles ont augmenté cette année de 67 % par rapport à 2012. Cela signifie 5,3 milliards d’euro de bénéfices pour le premier semestre de 2013. C’est un non-sens ! Sur l’année 2012, le nombre de millionnaires en euro a augmenté de 5 %. En pleine crise ! Les ventes des produits de luxe sont en hausse… alors que 25 % des enfants souffrent de malnutrition et que 55 % des jeunes sont au chômage. Les entrepreneurs mettent la pression pour faire baisser les salaires. Ils prétendent que c’est à cause des salaires élevés que l’Espagne est en crise. Il y a des travailleurs qui gagnent 500 ou 600 euros par mois. Le désespoir pointe le bout de son nez car beaucoup de travailleurs pensent que le pays est engagé dans une voie sans issue.
    En plein 21e siècle, les conditions de vie des Espagnols se dégradent. Ce n’était jamais arrivé auparavant, et les patrons ne cessent de répéter que c’est de notre faute, que nous avons trop dépensé, vécu au-dessus de nos moyens. C’est un grand mensonge. Ils veulent que nous nous sentions coupables d’avoir déclenché la crise. Alors que c’est le capitalisme, ce sont les grands patrons qui sont les responsables.
Comment les gens résistent-ils ?
Lisardo Suárez. Face à cette situation, les travailleurs ne restent pas inertes. Ils réagissent. Mais, à mon sens, il leur manque l’organisation. Notre principal objectif à court terme est d’être capables de nous organiser, d’unir les différents conflits qui surgissent dans les différents secteurs du monde du travail espagnol. Pouvoir avoir un front unique des travailleurs pour pouvoir nous confronter aux attaques brutales du capitalisme. Car, si nous essayons de régler notre propre petit conflit dans notre coin, ça nous rend plus faible. Cela facilite les choses pour ceux qui veulent briser notre mouvement.
Un front de lutte important en Espagne est celui pour un logement digne, avec la très active Plataforma de afectados por la hipoteca (PAH, Plate-forme des victimes des hypothèques).
Lisardo Suárez. Oui, la PAH a pu obtenir de beaux résultats : 1 480 000 signatures, une initiative législative populaire – mais qui n’a malheureusement pas été prise en compte par le gouvernement. Tous les jours, on continue de créer de nouveaux « desahucios », des gens expulsés de leur maison pour défaut de paiement à la banque. Rien qu’à Madrid, il y a 100 expulsions chaque jour. Le droit à un logement décent est repris dans la Constitution, mais, visiblement, le gouvernement s’en moque ! Dans un pays avec plus d’un million de logements vides, on ne peut tolérer que des millions de familles n’aient pas de logement. 
    Beaucoup de desahucios ont donné lieu à des occupations. Je ne sais pas si c’est légal, mais en tout cas c’est légitime. Les gens de ce mouvement ont été criminalisés, on les a accusés d’être liés à l’ETA (mouvement séparatiste basque, ndlr). Mais, malgré les obstacles posés par le gouvernement, ils continuent, jour après jour, à faire un travail magnifique avec des gens qui sont jetés à la rue par les administrations communales. Et ces mêmes administrations ont le culot de leur infliger des amendes s’ils fouillent les containers en recherche de nourriture !
Quels sont vos souvenirs de ManiFiesta ?
Lisardo Suárez. En premier lieu, je remercie le PTB, Comac et ManiFiesta pour m’avoir invité à ManiFiesta. Ce fut une expérience très gratifiante, très enrichissante. J’ai été fort surpris voir que, dans un pays distant de l’Espagne, des gens se préoccupent, s’intéressent à la situation que nous vivons ici. Cette solidarité m’a fort marqué et je ne l’oublierai jamais. Je pense que la solution réside dans la solidarité. Pas seulement des travailleurs d’Espagne ou de France, mais aussi de tout le mouvement internationaliste.
 
Source : Ptb

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