3 questions à Marc Vandepitte sur la réouverture des écoles en Belgique

Depuis quelques jours, c’est le sujet qui agite la Belgique, tant au sud qu’au nord du pays. Après une première phase progressive de déconfinement, les élèves de maternelles et de primaires vont pouvoir retourner à l’école de façon presque normale. Jusqu’à maintenant, seules certaines classes étaient concernées par la reprise des cours et les établissements avaient dû mettre en place des dispositifs assurant des distances physiques et limitant le nombre d’élèves dans les locaux. Pourquoi ce revirement? Comment se passe le retour à l’école dans d’autres pays? Si la santé mentale des enfants durant le confinement est invoquée, y avait-il d’autres initiatives à mettre en place? Philosophe et enseignant, Marc Vandepitte nous éclaire sur ce sujet sensible.

 

La réouverture des écoles a été décidée pour les classes de maternelles et de primaires. Y a-t-il eu récemment des études qui permettent d’affirmer que les enfants de moins de 12 ans ne sont pas contagieux ? Ou cette rentrée des classes est-elle risquée selon vous ?

Il y a une prépublication qui vient d’être mise en ligne sur la plateforme de recherche médicale MedRixv. C’est une prépublication, donc ça veut dire que ce rapport doit encore être évalué par des pairs. Mais ce travail est très intéressant dans la mesure où ses auteurs ont passé en revue les principales études consacrées à la transmission du covid-19 chez les enfants et les adolescents. Ils s’appuient sur des recherches effectuées dans différents pays, des études menées à partir du traçage ou du dépistage. Cette méta-analyse publiée le 24 mai fait en quelque sorte la somme de tout ce que l’on sait sur le sujet. Et sa conclusion est claire: les enfants sont moins susceptibles de contracter le covid-19, mais il n’y a pas de preuves qu’ils jouent un rôle moins important dans la propagation du virus.

Par ailleurs, le très prestigieux Johns Hopkins Center for Health Security vient de se prononcer sur la réouverture des écoles aux États-Unis. Le centre universitaire estime qu’il n’ y a pas assez d’informations aujourd’hui pour savoir si la réouverture des écoles aux États-Unis présente des risques ou pas. Il préconise d’observer ce qui se passe en Europe et d’en tirer les leçons. Pour le Centre, nos enfants, les enseignants et les parents vont en quelque sorte jouer le rôle de cobaye. D’autant plus que la réouverture des écoles, telle qu’elle est prévue en Belgique pour les écoles primaires, n’a pas encore été testée ailleurs.

Justement, comment cela se passe-t-il dans les autres pays où les enfants sont retournés à l’école ?

Au Danemark, en Suisse, en Australie, en Israël ou même à Shanghai, les enfants sont retournés à l’école. Mais il y a toujours des mesures de sécurité que la Belgique ne va manifestement plus appliquer. Des distances sont imposées entre les élèves en classe, avec pas plus d’un enfant par banc. Les étudiants du secondaire portent un masque. Ou alors, on a installé des scanners thermiques aux entrées des écoles. Des établissements n’ouvrent que la moitié du temps, d’autres accueillent un nombre limité d’élèves. Aucun pays n’a procédé à une rentrée des classes “normale”.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, la ministre Caroline Désir justifie cette décision à partir d’un appel des pédiatres relayé par de nombreux médecins : le confinement prolongé est nocif pour la santé mentale des enfants. Pensez-vous que d’autres solutions étaient envisageables pour soulager les enfants plutôt que de tous les renvoyer à l’école ?

Il aurait clairement fallu mettre d’autres accents et d’autres activités en place sans contourner le principe de précaution qui s’impose. Cela aurait été préférable également pour les enseignants qui sont bombardés d’informations contradictoires et qui n’ont pratiquement pas de temps pour s’organiser. D’autres approches sont possibles. La santé mentale des enfants durant le confinement est un problème dont il faut tenir compte. C’est pour cette raison que certaines écoles ont décidé de privilégier le bien-être socio-émotionnel des élèves plutôt que l’apprentissage des matières. Concrètement, les enfants ont l’occasion de revoir leurs copains da façon bien encadrée. Ceux qui rencontreraient des problèmes à la maison ont aussi des personnes à qui se confier.
Autre chose. En Belgique, l’écart entre les étudiants forts et faibles est déjà très grand. Pas mal d’élèves ont eu des problèmes par rapport à l’enseignement à domicile. L’enseignement en ligne risque de creuser cet écart. Dans cette perspective, on aurait pu profiter des prochaines semaines pour donner une attention particulière à ces élèves en difficulté.

Enfin, le virus sera probablement encore longtemps parmi nous. Et il n’est pas exclu que nous soyons confrontés à d’autres périodes de confinement. Il faudrait profiter du temps que nous avons pour s’organiser à long terme plutôt que d’essayer de tout forcer dans les semaines à venir. Il y a des problèmes auxquels il faut répondre. Mais la réouverture des écoles telle qu’elle est imaginée en Belgique est une mauvaise solution.

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