12 principes de propagande de guerre appliqués à l'Iran

En 1989, à l’époque de la grande « guerre contre la drogue » de Bush Premier, Hodding Carter observait que, la focalisation croissante de l’administration et des médias sur cette nouvelle « crise » aidant, la tendance du public à tenir le problème de la drogue pour une priorité absolue augmentait de façon spectaculaire. « Le sujet phare aujourd’hui, c’est la guerre contre la drogue. C’est ce qu’affirme le président, c’est donc ce qu’affirme la télé, ce qu’affirment journaux et magazines et ce qu’affirme le public. » Aujourd’hui, le sujet phare c’est la possibilité que l’Iran, le Petit Satan, finisse par se doter de l’arme nucléaire : C’est ce qu’affirme l’administration, c’est ce qu’affirment les médias, et de fait trois fois plus de gens qu’il y a quatre mois, considèrent désormais l’Iran comme la plus grande menace pour la sécurité des Etats-Unis et pour 47 % du public, mieux vaut bombarder l’Iran que de le laisser se doter d’une capacité nucléaire.

Oncle Chutzpah et Ses Exécuteurs Zélés Face à l’Effroyable Menace Iranienne : Douze Principes de Propagande de Guerre à l’œuvre – ZNet, 15 mars 2006.

(Traduit de l’anglais par Dominique Arias. Les notes en italique sont du traducteur et n’engagent que lui)

Le système produit cette mobilisation unanime comme une bonne machine de propagande bien huilée – ce qu’il est du reste. Il semble d’ailleurs capable de produire ainsi l’adhésion d’une large proportion de l’opinion à littéralement n’importe quelle idée susceptible de justifier un recours à la force, à court terme en tout cas. L’invasion de l’Iraq fut à ce titre un exploit remarquable, s’appuyant entièrement sur une série d’informations fausses concernant l’armement, les relations et la dangerosité de l’Etat irakien, dont certaines apparaissaient d’emblée aussi stupides qu’indéfendables (menace pour la Sécurité Nationale U.S. et autres champignons atomiques). Qui plus est, les mesures supposées y répondre violaient ouvertement la Charte des Nations Unies. Les faire passer impliquait de facto la collaboration tacite et totale de l’administration et des plus grands médias, relais indispensables de toute propagande belliciste.

En 1999, l’OTAN avait bombardé les locaux de la radiotélévision nationale Serbe (dont seize employés avaient été tués) au prétexte qu’elle était l’organe de propagande des militaires serbes. Cette même logique – celle de l’opinion la plus respectable et celle du TPIY en la personne de Carla Del Ponte – voudrait que dans un monde juste, où Bush et sa clique comparaîtraient inévitablement pour crimes de guerre aggravés, suite à leur invasion/occupation de l’Iraq, Arthur Ochs Sulzberger, Bill Keller, Thomas Friedman, Donald Graham, Leonard Downie, Jr., Richard Cohen, George Will, Rupert Murdoch, Bill O’Reilly et bien d’autres, [notamment leurs homologues de la presse francophone] aillent les rejoindre au banc des accusés.

Le plus extraordinaire, c’est qu’après s’être vaguement excusés – au moins pour ce qui concerne le New York Times et le Washington Post – d’avoir foulé au pieds l’intérêt du public et de leur lectorat lors des préparatifs de l’invasion de l’Iraq, les médias se vautrent ostensiblement dans la même propagande de routine, servant cette fois l’éventualité d’une attaque de l’Iran. En général, ils évitent aussi scrupuleusement d’évoquer les similitudes de leur argumentaire avec celui qui était le leur au sujet de l’Iraq, que l’aisance de l’administration à s’appuyer sur une désinformation massive, ou leur propre propension à avaler sans sourciller les couleuvres les plus ahurissantes. Il faut bien faire table rase, si l’endoctrinement à répétition qu’impose le système implique la réitération des mêmes contrevérités, l’occultation des mêmes réalités embarrassantes. « Ces tambours rappellent quelque chose » écrit Simon Tisdall dans le Guardian de Londres (7 mars 2006). Manifestement, chez les zélateurs du pouvoir dans les médias américains c’est l’amnésie totale [et il en va étonnamment de même dans la plupart des grands médias francophones.]

Douze Principes de Propagande Favorisant la Mise en Place d’un Conflit :

Le cas de l’Iran

Le premier des principes requis dans la production d’une ligne de propagande belliciste U.S. est de tenir pour acquis que les Etats-Unis disposent d’un droit moral et légal à prendre l’initiative dans tout contexte impliquant une prise de position de la communauté internationale – en l’occurrence, l’arrêt du programme nucléaire iranien. Rappelons que les Etats-Unis occupent actuellement l’Iraq où ils commettent quotidiennement des crimes de guerre, conséquence directe d’un acte d’agression qui constitue en soi une violation majeure de la Charte des Nations Unies. Toute autre puissance se rendant coupable de tels actes en serait instantanément condamnée et se verrait dénier tout droit à mener une coalition internationale en croisade dans l’intérêt de tous. La mettre hors d’état de nuire serait même une priorité internationale absolue. Les Etats-Unis ont en outre montré le peu de cas qu’ils faisaient du droit international et des procédures légales des Nations Unies lorsque, préparant l’invasion de l’Iraq, ils fabriquèrent ex nihilo une crise internationale – prétextes avancés : violation par l’Iraq des règles internationales et menace irakienne contre la Sécurité Nationale U.S. – s’autorisant sur cette seule base à se placer au-dessus du droit et des conventions internationales.

Les Etats-Unis sont d’ailleurs fort mal placés pour reprocher à l’Iran son attitude vis-à-vis du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP) : en tant que signataires du TNP, les USA ont prêté serment « de poursuivre en toute bonne foi des négociations sur des mesures effectives portant sur la cessation de la course aux armements nucléaires et sur un traité de désarmement général et total sous un strict et effectif contrôle international. » Les Etats-Unis n’ont pas plus tenu ce serment que leur promesse solennelle de ne pas recourir ni menacer de recourir à l’arme nucléaire contre des pays signataires ayant accepté de renoncer à se doter d’un tel armement. Au contraire, ils n’ont eu de cesse de « moderniser » et « perfectionner » leur arsenal nucléaire afin de le rendre plus « pratique. » En théorie, l’Iran comme tout autre pays pourrait tout à fait se plaindre auprès de l’AIEA de ce que les Etats-Unis violent ouvertement les dispositions du TNP, mais précisément cela ne se produit pas. Seules les violations que les Etats-Unis reconnaissent comme graves sont jugées recevables dans le Nouvel Ordre Mondial. Les USA ont de surcroît offert un soutien crucial à l’Etat d’Israël, engagé depuis des décennies dans une gigantesque opération de nettoyage ethnique en totale violation du droit international, la première des grandes puissances et son principal client balayant d’un revers de main une montagne de résolutions et injonctions de l’ONU, de même que la condamnation du mur d’apartheid israélien par la Cour Internationale. Les USA ont en outre rendues possibles ou tacitement avalisées les violations du TNP par Israël, le Pakistan et l’Inde. De fait, le droit moral des Etats-Unis à mettre en cause l’attitude de l’Iran par rapport au traité est parfaitement nul – seule leur puissance les y autorise, ainsi que la corruption et les menaces qu’ils prodiguent, et le patriotisme des grands médias, qui tiennent ce prétendu droit moral pour indéniable.

Parallèlement au droit des USA à agir à leur guise, le second principe est le déni fait au pays cible du simple droit de se défendre. Habilités à disposer d’un arsenal nucléaire, Israël peut bien refuser de se soumettre au TNP et les USA en violer les dispositions et menacer l’Iran de « changement de régime », toute velléité iranienne de rétablir l’équilibre en se dotant de telles armes pour sa seule défense devient un crime intolérable qui menace « la paix et la sécurité internationale », selon les termes de la Résolution Concurrente 341 de la Chambre des représentants. Les Etats-Unis et Israël ont apporté « paix et sécurité » au Proche-Orient ! Précisons que les USA n’ont daigné accorder à l’Iran aucune garantie de sécurité dans le cadre des négociations de l’Union Européenne au sujet des activités nucléaires iraniennes, rendant on ne peut plus explicites leurs intentions bellicistes à l’égard de ce pays. Mais cela ne justifie pas pour autant que l’Iran puisse prétendre à se doter d’un armement susceptible de réduire tant soit peu une menace aussi ouverte. Pour les médias, rien de tout cela n’entre en ligne de compte, dès lors que leurs dirigeants affirment que l’Iran constitue une menace et que le reste importe peu.

Un troisième principe consiste à exagérer la menace que constituerait la détention par l’Iran d’un armement nucléaire. On retrouve ici le même cas de figure qu’auparavant pour la menace irakienne, lorsque les propagandistes de l’administration Bush évoquaient avec le plus grand sérieux les champignons atomiques sur New York, entre autres imminents périls. On se gardait bien alors de préciser dans la presse que Saddam Hussein n’avait fait usage d’armes chimiques que contre l’Iran (et les Kurdes d’Iraq) dans les années 80 – lorsque l’Iraq servait les intérêts occidentaux, bénéficiant de fait du soutien tacite des USA – mais qu’il s’était abstenu d’y recourir pendant la Guerre du Golfe, ayant en face de lui une coalition dont la riposte en pareil cas pouvait être démesurée. De même dans le cas de l’Iran, Israël et les USA disposant d’énormes moyens de rétorsion, il serait évidemment suicidaire pour les Iraniens d’user d’armes nucléaires dans le cadre d’une offensive. Tout au plus pourraient-ils en brandir la menace en cas d’agression, comme ultime recours. Il ne pourrait donc s’agir que d’armes de dissuasion. La propagande des médias occidentaux élude scrupuleusement ce type de considérations.

Tout conspirateur diabolique devrait naturellement être privé du droit de se défendre. De fait, le quatrième principe requis pour battre la campagne avant toute guerre est la sempiternelle diabolisation de l’ennemi. C’était facile avec Saddam Hussein, mais ça marche littéralement avec n’importe qui. En effet, bien peu de dirigeants politiques peuvent se prévaloir d’un actif exempt de quelque action douteuse, déclaration intempestive ou politiquement incorrecte susceptible, une fois sortie de son contexte et mise en exergue, d’attester de l’irresponsabilité et la dangerosité de son auteur. Le régime des mollahs demeure une dictature, bien qu’il se soit assoupli et ait cessé de réduire l’opposition démocrate au silence. Récemment élu, le nouveau président Mahmoud Ahmadinejad a évidemment fait un faux pas indéfendable au sujet de l’Holocauste (un « mythe ») et cavalièrement déclaré qu’Israël devrait être « rayé de la carte. » Dans un récent classique de propagande de guerre, Richard Cohen va jusqu’à taxer le dirigeant Iranien de « zélateur fanatique qui a fait vœu d’éradiquer Israël », un pur mensonge [néanmoins politiquement correct, y compris dans les médias francophones. Envisager de rayer la Palestine de la carte n’a pourtant rien qui y ait jamais semblé propre à discréditer un dirigeant israélien]. Pour Victor David Hanson, ce type de traitement médiatique est aussi « conciliant » que l’était celui de Hitler dans les années 30, alors que l’Iran est désormais un Etat agressif et dangereux. (“Appeasement 101: dealing with bullies,” Chicago Tribune, 17 février 2006). Évidemment l’Iran ne possède pas une seule ogive nucléaire, tandis que les Etats-Unis et Israël en possèdent des quantités, avec missiles et lanceurs appropriés. De même, l’Iran n’a jusqu’à présent jamais agressé ou envahi aucun pays, tandis qu’Israël et les Etats-Unis sont désormais coutumiers du fait et écrasent en ce moment même diverses populations du Proche-Orient. C’est pourtant bien l’Iran qui doit être regardé comme « agressif et dangereux », et c’est se montrer trop « conciliant » que de ne pas exiger qu’on s’assure rapidement, par la menace ou la force, que jamais il ne puisse se doter d’une seule tête nucléaire. En réalité diffamations et caricatures sont ici de rigueur, et dans la cacophonie des préparatifs de guerre, mensonges et délires, même les plus ridicules, ne mangent pas de pain… on fait feu de tout bois.

Un cinquième principe consiste à éluder tout lien diplomatique entretenu de longue date avec des Etats pouvant faire l’objet du même type de diabolisation que l’Etat cible (en l’occurrence l’Iran). L’Arabie Saoudite, par exemple, est un Etat bien plus fondamentaliste et répressif que l’Iran, et l’Egypte, le Maroc, le Pakistan ou l’Ouzbékistan sont loin d’être moins critiquables que l’Iran en matière de pratiques antidémocratiques. En tant que clients des Etats-Unis, ils font cependant rarement l’objet de critiques, sans parler de menaces de déstabilisation ou d’attaque. Le Pakistan dispose même de son propre arsenal nucléaire, ce que les Etats-Unis jugent parfaitement tolérable.

Bien sûr, Israël dispose d’un arsenal nucléaire nettement plus substantiel, dont les Etats-Unis ont largement favorisé et soutenu l’épanouissement, ayant toujours jugé cela parfaitement raisonnable. Pour Richard Cohen, il s’agit d’un « judicieux double standard » (politique à deux poids, deux mesures), car « Israël n’a pas menacé de rayer l’Iran de la carte ; se trouve largement en sous effectifs face à ses puissants et belliqueux voisins ; et parce que c’est l’unique véritable démocratie dans une région littéralement dominée par des voyous. » Certes Israël menaçait déjà de bombarder l’Iran bien avant les virulentes diatribes d’Ahmadinejad –qui n’ont jamais été aussi précises et bien réelles que les menaces d’Israël – et Israël a fréquemment envahi ses voisins, ce que l’Iran n’a jamais fait (bien qu’ayant été envahi par l’Iraq, avec le plus total soutien des Etats-Unis [de la France et de l’Angleterre]. En outre, Cohen néglige de préciser que les « voyous » en question sont pour la plupart des clients des Etats-Unis, dont les exactions sont d’autant plus acceptables qu’elles ne visent que leur propre population. De même, Israël se trouve bien « en sous effectifs » au point de vue population, mais nullement pour ce qui est du nombre de chars, de chasseurs bombardiers modernes, de missiles ou d’ogives nucléaires. Client privilégié, Israël dispose par ailleurs du soutien inconditionnel des Etats-Unis, ce qui l’autorise à agresser ou envahir ses voisins en demeurant invulnérable. Enfin il ne s’agit nullement d’une « véritable démocratie ». Israël est un Etat raciste [administrativement notamment, du fait de son code de la nationalité, et de ce qui en découle : politique coloniale, droit foncier, politique de rédemption des terres, etc.] et c’est le seul pays au monde qui soit habilité depuis des décennies à occuper les terres d’un autre peuple et à y pratiquer un nettoyage ethnique systématique, en totale violation du droit international et des plus élémentaires principes éthiques, dont l’Etat d’Israël se trouve exempté du seul fait de la puissance militaire qui le parraine. De sorte que ce « judicieux double standard » repose intégralement sur le racisme, le mensonge, une duplicité Orwellienne, mais se trouve néanmoins institutionnalisé de fait (cf. « Le Nettoyage Ethnique Israélien ou "l’Instinct Moral" refoulé » Ed. S. Herman,)

Sixième principe, et du même ordre : occulter impérativement tout passé commun, actions ou relations embarrassants, préalablement entretenus avec le pays cible et susceptibles de mettre au jour l’hypocrisie et l’imposture de la prétendue menace. C’était particulièrement flagrant dans le cas de Saddam Hussein, lequel avait joui tout au long des années 80 du soutien militaire et diplomatique des Etats-Unis, du Royaume-Uni [et de la France], alors qu’il recourrait couramment aux épouvantables « armes de destruction massive », aussi bien contre l’ennemi désigné par Washington (l’Iran en l’occurrence) que contre ses propres populations. Pour ce qui est de l’Iran, les Etats-Unis y avaient jadis ardemment promu la mise en place d’un programme nucléaire, à l’époque où le Shah était encore au pouvoir. Le gouvernement de ce dernier était certes infiniment plus oppressif que ne l’est aujourd’hui celui des mollahs – ses salles de tortures étaient du dernier cri, grâce au soutien des Etats-Unis et d’Israël – mais il était aux ordres, de sorte que selon le « judicieux double standard » de Cohen, il était raisonnable de l’encourager à se nucléariser. La capacité des médias à omettre ce type de détails embarrassants, et à déterrer des « principes » négligés depuis des lustres pour les appliquer comme aujourd’hui à l’Iran avec un sérieux déroutant, tient véritablement des principes de Newspeak (Ingnosc) décrits dans le 1984 d’Orwell.

Le septième principe consiste à éluder aussi toute action récente des Etats-Unis pouvant sembler incompatible avec la stricte sévérité qu’ils adoptent pour s’opposer, par exemple, au programme nucléaire iranien. C’est le cas du nouvel accord de partenariat avec l’Inde, récemment signé par le président Bush et son homologue Manmohan Singh, et qui assure à l’Inde l’aide des Etats-Unis pour le développement de son programme civil d’énergie nucléaire. Ainsi parrainée, l’Inde pourra d’autant plus librement alimenter en combustible son programme militaire d’armement nucléaire. Certes les grands médias n’ont pu dissimuler la signature de cet accord, mais ils ont fait preuve d’une remarquable maîtrise en passant à la trappe les principes qu’il viole : l’Inde, en effet, qui au lieu de signer le Traité de Non Prolifération s’est mise à produire des armes nucléaires, plutôt que sanctionnée pour ce refus et cette contribution à la prolifération nucléaire, est accueillie parmi les autres puissances nucléaires et soutenue dans la valorisation de ce statut, civil et militaire. L’Iran, au contraire, qui a préféré signer le TNP et se soumettre aux inspections de l’AIEA, et qui ne possède par ailleurs aucun armement nucléaire, se voit dénier tout droit à produire son propre combustible civil, et se retrouve menacé de sanctions et même d’attaque.

Huitième principe : imposer l’idée que les Etats-Unis sont non seulement habilités à ne tenir aucun compte du TNP [ou de tout autre traité international], pour ce qui les concerne personnellement, mais en outre à en modifier les termes à leur convenance, concernant tout pays cible. En l’occurrence, le TNP accorde à l’Iran « … le droit inaliénable de développer recherche, production et utilisation de l’énergie nucléaire dans un but pacifique » (Article IV. I). L’ambassadeur américain auprès des Nations Unies n’en affirmait pas moins dernièrement, que « aucun enrichissement en Iran n’est permissible », car cela « pourrait offrir à l’Iran la possibilité de maîtriser les difficultés techniques rencontrées dans son programme », puis, à terme, d’en appliquer ailleurs les procédés. Une fois de plus, dédaignant le respect du droit, le violateur de la Charte des Nations Unies dans l’agression de l’Iraq menace un autre pays d’agression, au seul prétexte qu’il le considère comme une menace potentielle. Evidemment les seules menaces réelles émanent bel et bien d’Israël et des Etats-Unis, et jusqu’à preuve du contraire, l’Iran n’outrepasse en rien la stricte application des termes du TNP, mais de telles considérations sont de bien peu de poids… « La raison du plus fort est toujours la meilleure. »

Le neuvième principe est que, s’il ne peut prouver qu’il ne pourra jamais, à terme, constituer une menace réelle pour la « sécurité nationale » américaine, le pays cible doit impérativement être bombardé du seul fait de la gravité de cette menace, et le régime en place doit y être remplacé par un régime digne de confiance (comme celui du Shah d’Iran, de Sharon ou de Musharraf). Tel fut le cas de l’Iraq en 2002-2003, où, bien que les inspecteurs, après avoir fouillé le pays de fond en combles (y compris partout où les services de renseignements U.S./U.K. avaient eux-mêmes diligenté les recherches) n’aient strictement rien découvert, il fut décidé, sur la base de ce même principe, que l’invasion était requise car rien ne prouvait (ni n’aurait pu prouver) que les charges étaient fausses. Le cas de figure est exactement le même aujourd’hui pour l’Iran.

Le dixième principe consiste à mettre les mécanismes de régulation internationaux relevant de l’ONU au service des objectifs de guerre et de changement de régime : en exigeant sans cesse davantage d’inspections et d’ultimatums ; en dénigrant la pertinence des inspections ; en répondant à toute impossibilité de prouver l’impertinence des charges et à tout refus d’obtempérer ou de collaborer, par de nouvelles inspections, afin de rendre crédibles les suspicions d’intentions sinistres et d’attester d’obscures manigances ; en amenant enfin le Conseil de Sécurité de l’ONU à prendre, pour apaiser l’agresseur, des mesures susceptibles de parer l’agression d’une aura de quasi-légalité. Lorsque se préparait l’agression contre l’Iraq, la flak [du nom de la DCA allemande sous le 3e Reich : virulent tir de barrage des think tanks, fondations et autres médias de droite, indiquant qu’on passe les bornes. L’objectif de cet appel du pied est généralement de cantonner le débat dans des limites bien précises, avec à un extrême les positions les plus radicales, et à l’autre les positions médianes, excluant de facto toute une partie des positions et éclairages possibles. Le matraquage prendra, en fonction du public cible, aussi bien la forme de pamphlets, d’articles, de documentaires ou d’ouvrages imposant les thèses les plus extrêmes, avec ripostes d’un média à l’autre (d’un ciblage à l’autre) ou celle de virulents accrochages lors d’émissions à thème simulant un débat public ouvert, mais dont certains faits et points de vue sont arbitrairement exclus.] s’était acharnée contre l’ONU, la France et l’Allemagne, pour n’avoir pas donné carte blanche à la toute puissante Amérique. Ces derniers ne s’en répandirent pas moins en obséquieuses courbettes au moment d’apaiser l’agresseur, pour finalement avaliser une agression/occupation aussi meurtrière qu’illégale [sans dénonciation ni demande de sanction d’aucune sorte]. Dans les préparatifs d’agression contre l’Iran, les Etats-Unis ont maintenu une intense pression sur l’AIEA et l’Union Européenne afin qu’ils condamnent l’Iran pour ses « dissimulations » et son manque de « transparence », pressant l’AIEA d’inspecter d’autant plus fréquemment et intensément (17 rapports d’inspection écrits sur l’Iran et 4 oraux ont été présentés au siège de l’AIEA par ses agents depuis mars 2003) dans l’espoir, semble-t-il, de pousser l’Iran à se retirer du TNP, offrant à l’agresseur le casus belli idéal. Soulignons que ces exigences émanent d’un agresseur qui n’a pas encore digéré sa dernière proie et qui demeure en violation patente dudit TNP.

Un onzième principe consiste à prétendre que la frénésie et l’activité des Grandes Puissances autour de la menace iranienne reflète une réelle inquiétude planétaire, plutôt que les seuls intérêts de la superpuissance américaine et la nécessité de lui assurer satisfaction. L’Union Européenne a ici coopéré bien plus étroitement avec l’administration Bush qu’avant l’agression de l’Iraq, se faisant l’écho des condamnation de l’Iran pour un supposé non respect de ses engagements, et pressant l’AIEA de s’acharner sans cesse davantage. Dans le même temps l’U.E. fermait ostensiblement les yeux sur les violation du TNP par les USA, sur leurs menaces ouvertes à l’encontre de l’Iran, et sur l’illégalité de leurs programmes ouvertement annoncés de déstabilisation et d’intervention, en violation patente de la Charte des Nations Unies [sans parler des Crimes de Guerre et Crimes contre l’Humanité accumulés en Iraq]. De sorte que la « communauté internationale » coopère cette fois pleinement et activement à la prochaine agression planifiée et annoncée des Etats-Unis.

Un douzième principe consiste enfin à éluder tout intérêt non officiel que pourraient avoir les Etats-Unis à s’en prendre au pays cible. L’objectif officiel d’écarter la menace que constitue l’Iran pour la sécurité nationale U.S. étant de toute évidence aussi bidon que celui concernant la prétendue menace irakienne de 2002-2003 et les USA refusant de concéder à l’Iran la moindre garantie de sécurité dans le cadre des négociations sur le contrôle des armements, le refus d’examiner les motivations réelles du programme américain est un comble d’irresponsabilité de la part des journalistes comme de la communauté internationale. S’agit-il de la simple « projection de puissance » d’un Etat impérialiste, telle que réclamée à cor et à cri nombre d’officiels de l’entourage de Bush dans le cadre du Projet Pour un Nouveau Siècle Américain : « Reconstruire les Défenses de l’Amérique » (2002), et telle qu’exposée dans la « Stratégie de Sécurité Nationale des Etats-Unis » (2002) ? Est-ce l’une des étapes d’un projet de prise de contrôle des principales réserves de pétrole impliquant, en Iran comme en Iraq, l’installation d’un régime client ? S’agit il de mettre en échec l’instauration en Iran d’une Bourse du pétrole susceptible de ne pas conserver au Dollar sa position dominante sur le marché des changes ? S’agit il de faire obstacle à l’émergence d’un alignement énergétique entre la Chine, l’Iran et différents pays asiatiques ? S’agit-il de permettre à Israël de conserver sa position hégémonique au Proche Orient et de poursuivre sans encombre son nettoyage ethnique de la Cisjordanie et de Jérusalem Est ? Une combinaison de ces différents objectifs sous-tend incontestablement l’attitude agressive et menaçante des Etats-Unis. Des médias démocratiques et une communauté internationale responsable ne manqueraient probablement pas d’en débattre et d’en tirer les conséquences.

Conclusions

Oncle Chutzpah et ses exécuteurs zélés – les médias, les Nations Unies et la meute des plus lâches et des plus corrompus – ont isolé l’Iran, désormais à la merci d’une probable campagne de déstabilisation et agression. Cela pourrait sembler impossible, vu la similitude flagrante entre les accusations et arguments avancés ici et ceux qui avaient prévalu à l’épouvantable invasion/occupation de l’Irak, si la puissance de l’agresseur et la servilité des médias et de la communauté internationale n’étaient manifestement sans bornes.

Cette attaque de l’Iran n’est pour autant nullement inévitable, elle est seulement hautement probable, et si elle se produit, il ne s’agira probablement que de bombardements. On en jette pour l’instant les bases, et ceux à qui il reviendra probablement d’en décider sont des criminels avérés qui couramment recourent à la torture et violent le Droit International, forts de leur supériorité miliaire, de leur flagornerie à couper le souffle et de l’immunité qui les tient à l’abri de toute poursuite, quelque exactions qu’ils puissent commettre. Loin de chercher le moins du monde à entraver leurs ambitions, la communauté internationale leur assure soutien et assistance dans la préparation de leur « (im)moral » et quasi-légal dessin. Spéculateurs habiles, les dirigeants de cet Etat agresseur reconnaissent les vertus de la guerre comme moyen de se remettre d’aléas politiques. Peu leur chaud d’être décriés chez eux comme à l’étranger comme de piètres politiques, ils ont su rendre au monde des affaires d’immenses services et ce sont ces succès, précisément, qui leur valent soutien et protection. Il pourrait donc sembler avantageux de jouer leur maintien au pouvoir, au dépens du plus grand nombre, sur un cas de force majeure. Comme le soulignait Thorstein Veblen il y a une centaine d’années, “La valeur culturelle directe d’une politique d’affaire martiale est sans équivoque. Elle amène la populace à des prises de position conservatrices… Du même coup, elle oriente les intérêts populaires vers des préoccupations autrement plus nobles et institutionnellement moins périlleuses que l’inégale répartition des richesses. » (The Theory of Business Enterprise [1904], pp. 391-3). Lorsque, chaque jour, on arrange un peu mieux les plus riches aux dépens du plus grand nombre, la guerre peut offrir l’avantage d’amener le bon peuple à se tourner à nouveau vers des préoccupations « plus nobles et institutionnellement moins périlleuses » comme, par exemple, en finir avec l’intolérable menace d’une bombe iranienne.

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