"Musulmans déchaînés à Naplouse" : des images mises en scène ?

N'étant pas sur place, nous n'avons pu vérifier là-bas cette dénonciation. Mais nous avons vérifié que leurs auteurs étaient sur place et avaient recoupé l'info. (MC)

Les photos et brèves vidéos de la ville de Naplouse, qui ont fait le tour du monde depuis vendredi, et censées illustrer le "déchaînement des masses musulmanes", après la publication de caricatures racistes dans la presse occidentale, sont le fait d’une mise en scène de A à Z, avons-nous appris lundi par des témoins directs des événements.

C’est un photographe de Naplouse, collaborateur de l’agence Reuters et d’autres titres, israéliens et internationaux, rémunéré à la pièce ("free lance") et non sur la base d’un salaire garanti, qui en a été le metteur en scène.

A.B., flairant la possibilité d’une bonne "pige" (la somme payée par un média à un collaborateur free lance, pour un article, une photo ou une vidéo), a d’abord été averti, jeudi, d’un incident insignifiant touchant le Centre Culturel Français (CCF) de Naplouse. En l’occurrence, un appel téléphonique anonyme de menaces passé au centre, à la suite duquel le CCF avertit la police de l’Autorité Palestinienne. L’auteur de l’appel fut rapidement identifié, et un policier se rendit au CCF pour une visite de quelques minutes. Mais à la sortie, A.B. était là, avec ses appareils : il demanda au policier de poser, en armes, devant le CCF, reconnaissable à la plaque tricolore ornant sa devanture. N’y voyant pas malice, le policier accepte, et, pour faire comme les Zorros-flics masqués américains, français ou russes qu’il voit régulièrement à la télévision, dans les téléfilms aussi bien qu’aux "informations", il revêt lui aussi une cagoule. En deux ou trois clicks, c’est parti : la légende accompagnant la photo racontera au monde entier que le CCF a été "attaqué", par le "Palestinien armé" qu’on peut voir sur la photo.

Vous avez aimé la photo ? Vous adorerez la vidéo, se dit alors A.B. Dimanche, A.B. passe une série d’appels téléphoniques, dont un au responsable de la maison des associations "Darna", à Naplouse.

En substance, il prévient qu’il "va y avoir une manifestation contre le Centre Culturel Français", en précisant qu’elle aura lieu à 14 heures précises. Effectivement, à l’heure dite, une petite vingtaine d’hommes encagoulés et armés arrive devant le CCF.

"Montre en main, l’opération n’a pas duré trois minutes. Deux des hommes se détachent du groupe pendant une minute à peine, le temps de taguer le CCF avec une inscription Allahou Akbar. A.B. dirige la manoeuvre, donne des ordres pour que les hommes restent bien dans le plan du CCF et il mitraille. Après, tout le monde se disperse comme des moineaux", raconte notre témoin.

Qui sont les hommes du "commando anti-français" ? "A.B. m’a avoué qu’ils n’appartiennent à aucun groupe armé ayant de quelconques ramifications politiques, avec le Hamas ou le Fatah par exemple. Il reconnaît que ces hommes n’appartiennent même pas aux ’Brigades des Martyrs Al-Aqsa’, dont le statut est déjà lui-même nébulleux. Il s’agit plutôt d’une bande de circonstance, dont je ne jurerai pas qu’ils n’ont pas reçu une petite gratification pour jouer cette farce".

A Naplouse, on est atterré, avec un terrible sentiment d’impuissance face au cours des événements. "Bien sûr que tout le monde a été indigné en apprenant la publication, en fanfare depuis quelques jours, de ces caricatures anti-musulmanes montrant le prophète Mahomat en chef terroriste. Mais l’immense majorité de la population a réagi avec calme. Personne de sensé à Naplouse n’aurait eu l’idée de s’en prendre au Centre Culturel Français, dont les activités, artistiques, éducatives et autres sont grandement appréciées ici, et nous permettent de rompre un peu l’isolement auquel nous contraint l’occupation israélienne. Il est regrettable que le gouverneur de la ville soit resté passif devant ces provocations, même si je peux comprendre la difficulté de la tâche : à moins d’exactions d’une extrême gravité, on ne peut pas prendre le risque d’un affrontement sanglant entre Palestiniens. Israël a fait de Naplouse une véritable prison, avec des mouchards et des provocateurs à sa solde, comme dans toute prison, et c’est en réalité un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de casse entre nous jusqu’à présent", nous confie un vieil habitant de la ville.

Seulement, le "splendide" reportage de A.B. a eu des conséquences très concrètes. Les autorités françaises, au Ministère des Affaires Etrangères à Paris comme au Consulat général de France à Jérusalem, ont bondi sur l’occasion, et décrété que le CCF resterait fermé jusqu’à nouvel ordre. Les grosses ONG d’origine française, type Médecins Sans Frontières ou Médecins du Monde, ont également plié bagage. Au nom, bien entendu, de l’intérêt des ressortissants français, et du "principe de précaution". C’est une hypocrisie, car y compris aujourd’hui, le risque encouru par un étranger, fût-il français, dans la ville de Naplouse, reste bien inférieur au risque encouru quotidiennement par n’importe quel gamin de la ville du fait de l’occupant israélien, avec ses descentes permanentes, ses chiens d’attaque et ses cartons "accidentels" sur les gosses des camps de réfugiés de Balata ou Askar.

Heureusement, il se trouve encore à Naplouse de nombreux volontaires internationaux, qui ne se sont pas laissés intimider par tous les bons apôtres du "choc des civilisations", et qui continuent d’assurer leurs missions d’aide au peuple palestinien.

Par CAPJPO-EuroPalestine

publié le mardi 7 février 2006

Article imprimé à partir du site de

l'Association CAPJPO-EuroPalestine; : http://www.europalestine.com

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