"La Chine force les nomades tibétains à habiter en ville” : info ou intox ?

A l'occasion des Jeux Olympiques, les grands médias relaient de plus en plus d'informations hostiles envers la Chine. Mais les sources sont-elles fiables ?

L’organisation américaine Human Rights Watch a publié en mai 2007 un rapport concernant la délocalisation de bergers tibétains. “De nombreux éleveurs tibétains ont été contraints d’abattre leur troupeau et d’aller habiter dans de nouvelles habitations, à proximité des villes. Ils abandonnent ainsi leur style de vie traditionnel (…) avec, pour conséquence, une pauvreté croissante.”

HRW exige du gouvernement chinois « l’autorisation d’envoyer une commission internationale indépendante d’experts et l’arrêt immédiat de la délocalisation des populations ». L’accusation été reprise dans le rapport de la Commission pour les Droits de l’Homme du Congrès Américain en octobre 2007 . Ensuite, le 27 novembre 2007, la Commission pour les Droits de l’Homme du Parlement Européen a invité des orateurs de HRW et de « International Campaign for Tibet » (ICT) qui ont renouvelé l’attaque contre le gouvernement chinois .

La période précédant les Jeux Olympiques est propice à des attaques en règle contre la Chine, dont la délocalisation des bergers tibétains est un exemple. Le lobby occidental anti-chinois saisit l’occasion des Jeux Olympiques pour forcer la Chine à accepter une série de concessions: la liberté de presse, tolérer une dissidence (subsidiée de l’extérieur), des équipes internationales d’inspection pour le respect des droits de l’homme, des syndicats libres pro-occidentaux, une liberté d’action politique pour les religions, le retour du dalaï lama et « les Chinois hors du Tibet ».

Ce sont là des méthodes connues qui visent l’extension de la sphère d’influence de l’Occident. Il en existe d’autres. Par exemple, les grands dirigeants internationaux, venant entre autre au secours des bergers tibétains, sont (foncièrement !) frustrés de voir la terre chinoise échapper à la propriété privée et ainsi glisser de leurs mains. Ce qu’ils disent, c’est: “les pauvres tibétains perdent le droit sur LEURS terres,” mais en fait, ce qu’ils veulent dire, c’est: “en Chine, n’existe pas le droit de posséder des terres ». En effet, les bergers tibétains qui déménagent et qui commencent un autre métier ne sont pas indemnisés sur base du prix de la terre. Une indemnisation est calculée en fonction de l’usufruit, c'est-à-dire du revenu qu’ils tiraient de la terre qu’ils cultivaient. HRW stigmatise cela comme une violation des droits de l’homme, car pour eux la propriété privée de la terre est un droit universel et sacré. Mais cela les concerne-t-il que la terre ait un autre prix en Chine qu’en Arizona?

Pourquoi les bergers tibétains déménagent-ils? Selon HRW, “ils sont forcés d’aller habiter dans des agglomérations urbaines, afin de pouvoir les contrôler davantage.” Mais, qu’en est-il en réalité ? Il y a trop de bétail et il y a trop de personnes. Dans l’ancien Tibet, les gens mouraient jeunes. Par exemple, la mère de l’actuel dalaï lama donna naissance à 16 enfants, dont seuls 7 ont survécus ; c’était une famille de paysans ordinaires, pas des plus pauvres, et ils vivaient dans une région relativement fertile. Dans d’autres régions, les conditions de survie étaient nettement plus dures. Maintenant, il y a partout de meilleurs soins de santé, l’alimentation est devenue variée, les épidémies sont écartées depuis les années cinquante, et l’espérance de vie a presque doublé. De plus, pour les Tibétains, il n’y pas de limitation des naissances. Tout cela a contribué à tripler la population par rapport aux années quarante, mais le cheptel (troupeaux de yacks et de moutons) a triplé en même temps !

Bref, on pourrait penser que dans l’ancien Tibet, “harmonieux et traditionnel” étaient synonymes de “mourir jeune”. La Chine actuelle compte, au total, 400 millions de bovins, moutons et chèvres, contre 105 millions aux USA, pour une superficie de pâturages identique . Ce qui veut dire qu’aux USA l’herbe reste et qu’en Chine elle disparaît. Pourquoi l’herbe disparaît-elle en Chine ? Parce qu’il y a beaucoup plus de bétail. Pourquoi y a-t-il plus de bétail en Chine? Parce qu’il y a plus de gens. C’est l’aspect principal du problème de délocalisation des bergers tibétains : trop de gens, donc trop de bétail, donc plus assez d’herbe.

Un deuxième aspect vient du réchauffement climatique mondial. Depuis longtemps, le Nord du plateau Qinghai-Tibet connaissait un climat sec, avec à peine 100 mm de précipitation par année, ce qui équivaut au volume de précipitation d’un mois pas trop humide chez nous. Durant les derniers 50 ans, cette moyenne a encore diminué de 20 mm , tandis que la température moyenne sur le Haut Plateau a augmenté de 1°C. Une augmentation supplémentaire de 1°C est prévue à l’horizon 2020. Le Haut Plateau se déssèche : des précipitations en baisse continue et une hausse des températures. De plus, le Fleuve Jaune, qui prend sa source sur le Haut Plateau et qu’on appelait le “Fléau de la Chine” (pour ses inondations catastrophiques), a perdu un tiers de son débit en trente ans : les glaciers fondent, se raccourcissent et s’amincissent. Pour ces raisons aussi, l’herbe sur le Haut Plateau se fait de plus en plus rare. Or il s’agit d’une superficie égale à 1,5 fois la France et se situant entre 4.000 et 5.000 mètres au-dessus de la mer. J’ai parcouru une grande partie de ces étendues durant les dix dernières années, constatant de mes propres yeux la désertification galopante. Les paysans et les bergers se disent très préoccupés par la raréfaction de l’herbe et la difficulté à trouver de l’eau potable. J’ai même rencontré des pasteurs qui avaient quitté des régions nettement plus vertes pour s’installer dans un semi désert, avec toutes les difficultés que cela représente… pourquoi ? Parce qu’ils se marchaient sur les pieds dans leur région d’origine, à cause de la soudaine croissance démographique. Pourtant, HRW crie au scandale : la Chine les soustraient à leurs traditions et à leur culture, et d’ajouter : « si la Chine leur donne une maison, que ce soit au moins à proximité de leur terre et de leur troupeau.” Qu’il n’y ait plus un brin d’herbe, ni une goutte d’eau, cela ne fait apparemment pas de différence pour HRW. Pourtant, ne serait-ce pas là un manque de respect des droits de l’homme ?

Les autorités locales du Tibet et celles des provinces du Qinghai et du Gansu veulent s’attaquer à temps au problème, ne pas attendre que la planète se refroidisse ou que les yacks se déshydratent. Une seule mesure immédiate s’impose: réduire le cheptel de façon rigoureuse et offrir d’autres jobs aux gens impliqués. Mais développer une nouvelle activité économique avec 1 à 2 habitants dispersés sur 1 km2 (densité moyenne de population dans cette région immense) est impossible. De là, l’idée de nouveaux villages qui surgissent sur le Haut Plateau. Dans ces nouvelles agglomérations, les ex-bergers se regroupent et peuvent apprendre un autre métier. Les autorités mettent gratuitement une maison à leur disposition et, pendant dix ans, octroient à chaque famille une allocation minimale, de survie, peu importe si les membres de la famille trouvent tout de suite du boulot ou non. J’ai parlé avec des ex-bergers dans ces nouveaux villages : c’est vrai qu’ils n’étaient pas les plus heureux au monde. D’un côté, ils se réjouissaient des meilleures conditions d’enseignement pour leurs enfants, mais d’un autre côté, ils estimaient que leur allocation de survie était bien maigre et, surtout, ils se plaignaient du manque de travail. La Chine n’est pas encore un Super Saint Nicolas, elle reste un pays aux moyens réduits. Depuis cinq ans, le plan de relogement se déroule sur base volontaire : environ 60.000 personnes dans la partie la plus touchée du Qinghai ont accepté l’offre. Les autorités espèrent en convaincre encore autant avant 2010 en leur offrant une amélioration du niveau de vie.

Actuellement, des projets et des budgets énormes sont prêts pour… replanter de l’herbe, de l’herbe dure, au-delà de 4.000m, manuellement, sur une surface plus grande que la France. Dans un système de marché libre comme chez nous, un tel projet ne pourrait pas même être envisagé.

Jp Desimpelaere

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