Et l’Etat ? Le Pérou et l’Equateur face à El Niño

Ces jours derniers, le phénomène d’El Niño a déchaîné sa fureur contre les côtes de l’Equateur et du Pérou. L’inclémence climatique comprise comme réchauffement de la surface des eaux du Pacifique, réchauffement qui touche principalement le Sud-Est Asiatique, l’Australie et l’Amérique du Sud, se caractérise par la rentrée d’une masse superficielle d’eaux chaudes dans l’océan qui génère la hausse de la température de la masse des eaux et provoque des pluies d’une rare violence.

Ce genre de phénomène climatique soumet à rude épreuve non seulement les plans d’urgence gouvernementaux pour la gestion des catastrophes, mais aussi l’efficience de la planification et la si fortement décriée « dépense publique ». Dans un de ses derniers rapports, le Centre des Opérations d’Urgence Nationale informe qu’au Pérou on compte déjà 2 739 personnes sinistrées, 9 550 touchées par les catastrophes et 70 décès et on compte, en outre, 353 habitations détruites, 392 habitations devenues inhabitables et 1 813 fortement endommagées ; ce à quoi il faut ajouter les dommages subis par les bâtiments publics : 24 écoles endommagées et 2 collèges inutilisables et les localités qui ont vu leurs voies de communication coupées. 40,83 kilomètres de voie communale détruites, 115,74 kilomètres de voie endommagées, 526,57 kilomètres de route détruits et 507,62 kilomètres de route ayant subi des détériorations considérables. [1]

Depuis longtemps des voix s’élevaient pour avertir des possibles conséquences de ce genre de phénomène climatique. Pas plus tard qu’en 2015 nous avons connu un évènement semblable au cours duquel 6 régions subirent des huaycos (glissements de terrains bloquant des cours de rivière et entraînant des inondations) avec un bilan de 13 morts. Et en dépit de cela la prévention des risques n’a pas connu d’avancée significative : la municipalité de Lima, aujourd’hui frappée par une pénurie d’eau potable, disposait d’un budget de 34 217 868 de sols inscrits au chapitre « Réduction de la Vulnérabilité et Secours d’Urgence en Situation de Catastrophe Naturelle », mais à cause de l’absence de toute planification et du gaspillage des fonds publics, seulement 4 millions de sols de ce budget ont été investis dans des travaux de prévention ; le reste a été employé à l’aménagement du front de mer de la Costa Verde [2]. Ainsi, à cause de l’énorme quantité de boues et de déchets charriés, les canaux de captage d’eau potable ont rendu l’âme et la population de la capitale s’est retrouvée privée de cette ressource vitale. La photo ci-jointe montre les habitants de Lima venant s’approvisionner en eau potable aux fontaines situées à l’extérieur du Palais du Gouvernement.
Les conséquences d’un Etat absent durant des années et des manquements dans la planification et l’exécution des travaux indispensables font que certains ouvrages tels que le Pont de la Solidarité, sur le front de mer Checa, à San Juan de Lurigancho, ont été emportés par la force des eaux torrentielles. Ce pont emporté par les flots allonge la liste des 28 autres ponts détruits. En outre, le défaut de planification urbaine a permis la multiplication des habitations dans des zones devenues zones à risque à cause de l’érosion des sols ou des crues des fleuves.

Verónika Mendoza, la candidate du Frente Amplio (Front Elargi) aux élections présidentielles, a affirmé, dans un message transmis sur les réseaux sociaux, qu’on a besoin « d’une politique sérieuse d’organisation des territoires, de prise en compte des risques de catastrophes naturelles et d’adaptation au changement climatique ». Il faut, en outre, « prévoir, planifier et classer par ordre de priorité les investissements ». Et c’est un sujet qui a été totalement absent du débat politique, au Pérou, durant toutes ces dernières décennies. Que de fois « n’avons-nous pas insisté en utilisant ce mot tellement détesté par la classe politique traditionnelle : PLANIFICATION » ! [3]. En attendant, le gouvernement Kuczynski promet de réserver 800 millions de sols (242,4 millions de dollars) pour les secours et la reconstruction des régions de Piura, Tumbes et Lambayeque, et les populations exigent la venue du président dans les zones sinistrées pour qu’il constate le renoncement gouvernemental. Jusqu’à jeudi dernier, le président persistait dans son refus de décréter l’état d’Urgence Nationale parce que, disait-il, cela n’était pas « nécessaire ». Avec plus de 70 morts, tout dernièrement, samedi, l’état d’urgence a été décrété dans 15 districts de Lima et 24 districts de 7 provinces du département de Lima.

En Equateur, 6 000 familles ont été sinistrées suite aux pluies torrentielles. On déplore 15 morts, 6 000 habitations endommagées et 123 habitations totalement détruites. Cependant, les conséquences du phénomène climatique auraient été bien plus dramatiques si la Révolution Citoyenne n’avait pas entrepris toute une série de grands travaux. Entre 1982 et 1983, le phénomène d’El Niño avait causé des pertes chiffrées à plus de 630 millions de dollars. Plus récemment, en 1998, les pertes s’élevèrent à 2 900 millions de dollars.

Le gouvernement de la Révolution Citoyenne a misé sur un investissement d’un milliard deux cents millions de dollars destiné à réaliser 6 mégas projets hydrauliques dans les provinces de Guayas, Manabí, Santa Elena, Los Ríos et Cañar. 6,4 millions de dollars sont destinés à la prévention des inondations comme dans le cas des projets multifonctions de Bulubulu, Cañar, Naranjal et Chone. Ces ouvrages ont évité des pertes pour une valeur de presque 131 000 hectares de terres agricoles suite aux débordements des fleuves et plus de 330 000 habitants en ont tiré profit.

Et pourtant, face à ces mégas ouvrages, l’opposition s’acharne à critiquer cette « dépense publique » démesurée sans prendre en considération que ces ouvrages, au bout du compte, permettent des économies qui, à cause de l’inertie du gouvernement, seraient par la suite investies dans des travaux de reconstruction. Sans compter que cela permet de sauver des vies humaines.

En Equateur, l’investissement public représente 32% du PIB, ce qui est moins que dans d’autres pays comme la Suède (49,1%), l’Argentine (38%) et les Etats Unis (36%). Le fond de la critique concernant la « dépense publique » est à rattacher à l’argument qu’il faut réduire le rôle de l’Etat pour remplacer l’investissement public par l’investissement privé et qu’il faut faire en sorte que le secteur extérieur et le privé soient responsables des travaux publics. L’exemple que nous fournit le Pérou met sur la table les risques qui découlent d’une telle politique.

Notes :
[1] https://redaccion.lamula.pe/2017/03/17/coen-hay-casi-tres-mil-damnificados-por-huaicos-y-lluvias-en-lima-h/leslierosas/
[2] http://www.americatv.com.pe/noticias/actualidad/85-fondos-emergencias-lima-se-gasto-costa-verde-n269379
[3] https://www.facebook.com/veromendozaf/posts/1515160351836316

 

Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas Balbona pour Investig’Action

Source : CELAG

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