« Ce ne sont pas les sans-papiers qui ont fermé Caterpillar »

Le 21 octobre, la caravane des migrants faisait escale à Mons. C’était l’occasion pour les sans-papiers d’aller à la rencontre des étudiants, des associations et des élus locaux. Doudou et Serge nous expliquent comment le gouvernement fédéral mène une politique migratoire stérile et pourquoi la régularisation des sans-papiers est dans l’intérêt de tous les travailleurs.

 


 

Vous faites partie du collectif des sans-papiers et vous vous déplacez de ville en ville rencontrer la population. Comment est né ce projet de caravane des migrants ?

Doudou : Fin 2014, ce mouvement des sans-papiers a été lancé en Belgique. Nous avons organisé des manifestations. Nous avons également rencontré Théo Francken, le secrétaire d’État à l’Asile, et des membres de son équipe à plusieurs reprises. Nous avons aussi conduit une marche symbolique de Bruxelles à Anvers, et une autre de la capitale jusque Wavre, commune du Premier ministre Charles Michel. Mais la situation est totalement bloquée au niveau politique. Nous n’avons pas de réponses satisfaisantes des dirigeants. C’est pourquoi nous avons décidé d’aller directement à la rencontre des gens, ceux qui votent pour ces politiques.

Serge : Cette idée a été renforcée par la « crise des migrants ». En réalité, c’est une crise de l’accueil. Quand le gouvernement s’est retrouvé dépassé par l’afflux de réfugiés, c’est parce qu’il avait sabré le budget de l’asile. Nous, sans-papiers, nous étions les premiers sur le terrain pour accueillir les réfugiés. Mais depuis, notre cause a été oubliée. Aujourd’hui, nous voulons sensibiliser le public à notre situation. Nous souhaitons construire des ponts avec la population qui subit elle aussi les mesures du gouvernement. Travailleurs avec ou sans papiers, nous sommes tous mangés à la sauce suédoise.

 

C’était à vous de faire le premier pas pour aller à la rencontre des gens ?

Serge : Oui, car en nous traitant comme des criminels, le gouvernement installe la peur dans l’esprit des gens. Et de la peur naît la xénophobie. Nous voulons déconstruire cela en allant au contact de la population. Nous ne sommes pas dangereux, nous sommes en danger.

Doudou : Notre criminalisation est stérile, même du point de vue du gouvernement. J’en connais qui sont retenus dans des centres fermés. On les nourrit pendant des mois. Puis, on les expulse par avion. Il faut payer le voyage et les frais pour les policiers qui accompagnent. Mais ça n’empêche pas les migrants de revenir. Au final, on gaspille l’argent public pour pas grand-chose.

 

Que répondez-vous à ceux qui disent que la Belgique et l’Europe ne peuvent pas accueillir toute la misère du monde ?

Doudou : Tout d’abord, il y a un vrai problème politique. La Belgique a signé des conventions qui l’obligent à accueillir les personnes qui fuient la guerre et la répression. La crise économique ne peut pas être invoquée pour fuir ces responsabilités. Ensuite, dire que l’Europe accueille toute la misère du monde, c’est faux. Ce sont les pays du Tiers-Monde, voisins des pays en crise, qui accueillent le plus de réfugiés. Le Liban par exemple, a accueilli 1,1 million de réfugiés syriens, alors que c’est un pays de 4,4 millions d’habitants. Cela fait un ratio de 1 réfugié pour 4 habitants. À titre de comparaison, la Belgique a accueilli 7100 Syriens en 2015, au plus fort de la crise. Cela équivaut à 1 réfugié pour 1.577 habitants ! Enfin, la migration est un phénomène naturel. Les gens ont toujours bougé et bougeront toujours. On ne peut pas empêcher cela en construisant des forteresses. D’autant plus que de nombreux Belges partent aussi à l’étranger. Pourquoi les gens pourraient-ils voyager dans un sens et pas dans l’autre ?

Serge : Les migrants ne sont pas responsables de la crise économique. Ce ne sont pas les sans-papiers qui ont fermé Caterpillar. La lutte pour les sans-papiers est le meilleur moyen de lutter à la fois contre la xénophobie et pour le bien-être de tous les travailleurs. En effet, quand on nous fait travailler sur les chantiers à deux euros de l’heure, ça tire les salaires vers le bas. Les politiques qui sont au service du patronat cautionnent cela. Ils voient les sans-papiers comme un vivier exploitable à merci qui vont faire pression sur les salaires. La régularisation des sans-papiers est donc dans l’intérêt des travailleurs. Il faut mettre en place cette solidarité. C’est ce que nous voulons faire avec la caravane des migrants.

 

Pourquoi venez-vous ici en Belgique, travailler pour deux euros de l’heure ? L’Afrique regorge pourtant de richesses…

Doudou : Mais ces richesses sont pillées par les politiques impérialistes ! Le père du Premier ministre de Belgique, Louis Michel, les connaît bien les richesses de l’Afrique. Mais son fils veut nous expulser. En réalité, l’Occident empêche l’Afrique de se développer. Par exemple, c’est la France qui fixe le prix auquel la Côte d’Ivoire doit revendre son cacao sur le marché mondial. Et c’est fait dans l’intérêt de la France, pas de la Côte d’Ivoire.

 

Vous dites que l’Occident bloque le développement de l’Afrique. Les gouvernements occidentaux dépensent pourtant beaucoup d’argent dans l’aide au développement, non ?

Doudou : L’aide au développement, c’est une arnaque. Des millions d’euros sont envoyés en Afrique. Mais tout cet argent tombe dans les mains de présidents fantoches qui replacent la plus grosse partie dans des banques occidentales et des paradis fiscaux. Moi par contre, quand je travaille et que j’envoie de l’argent à ma famille, c’est dépensé et directement injecté dans l’économie de nos pays. Nous contribuons plus au développement de l’Afrique en travaillant, et c’est tout ce que nous demandons.

Serge : François Hollande a dit qu’il n’accepterait pas les dictateurs. Mais dans mon pays, le Congo-Brazzavile, le président Sassou-Nguesso occupe le pouvoir depuis plus de 32 ans. Il a payé pour l’organisation de la COP 21 à Paris. Du coup, François Hollande a laissé Sassou-Nguesso tripatouiller la Constitution pour pouvoir rester au pouvoir, malgré sa défaite aux élections. Des manifestations ont été sévèrement réprimées avec de vrais massacres. Il n’y a pas de honte à fuir une telle misère. Ici en Belgique, les gens doivent prendre conscience du martyre que nous endurons.

 

Quelles sont vos revendications ?

Serge : Il faut régulariser les sans-papiers. Ceux qui pensent que la Belgique n’en a pas les moyens devraient regarder du côté de la Suède. La croissance économique y a été boostée par les migrants. Il faut également mettre un terme à la criminalisation des sans-papiers. Nous n’osons plus mettre nos enfants à l’école. Les mères hésitent même à chercher du pain au magasin, car elles craignent les arrestations, les centres fermés et les expulsions. Ces centres sont des prisons pour innocents. C’est aberrant dans un pays comme la Belgique, au 21e siècle ! Dans 50 ans, on se demandera sans doute comment la bêtise humaine a pu laisser faire ça. Comme on se le demande aujourd’hui pour les camps de concentration. Il est temps que cela cesse. Seuls, nous n’y arriverons pas. Mais le combat des sans-papiers ne concerne pas seulement les migrants. Nous comptons donc sur votre solidarité pour y arriver.

 

Source: Investig’Action

Crédit Photo: Luca Pistone

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