Carnet de voyage : Un Africain à Cuba (1/2)

Quand on est communiste partisan et défenseur de Cuba socialiste, visiter Cuba c’est vérifier de visu auprès de la population, dans l’organisation sociopolitique, socio-économique et dans l’environnement naturel, la réalité de la révolution cubaine. Il s’agit en plus de voir en quoi le blocus est un handicap, comment la révolution s’organise pour résister, continuer à mobiliser le peuple Cubain et fournir ainsi les arguments d’une solidarité internationaliste.

Roland Fodé Diagne au musée du comité de défense de la révolution à La Havane.

Venir à Cuba c’est forcément, en plus des motivations personnelles diverses, se confronter directement et au quotidien à la question : comment un petit pays de 109.884 km2 et 11 millions d’habitants a pu tenir face à la terrible guerre que lui inflige une puissance impérialiste hégémonique comme les Etats-Unis d’Amérique. Dans le contexte de l’actuelle « politique d’ouverture » d’Obama, beaucoup doutent et se demandent : « ce qui n’a pas réussi par la force agressive peut-elle le devenir par la ruse » ? Tous les touristes rencontrés ont, au détour d’une conversation sur leurs motivations touristiques, fait allusion à cette double équation avec pessimisme et rarement avec optimisme. Même les touristes étatsuniens, qui sont contraints de contourner les dispositions légales du blocus en passant par un tiers pays, souvent le Mexique pour se rendre à Cuba, vous disent qu’ils sont “venus à Cuba avant que tout ne change”. Le pessimisme sur l’avenir de la révolution est parallèlement tempéré par les Cubains eux-mêmes : « Nous avons besoin que cesse le blocus, que Guantanamo nous soit restitué comme moyen de sortir du sous-développement pour édifier un socialisme prospère ».

La réalité du sous-développement

Cuba est un pays marqué par les caractéristiques économiques et infrastructurelles du sous-développement consécutif du colonialisme. Pays essentiellement agraire dont les cultures d’exportation sont la canne à sucre, de laquelle est tiré le rhum, et le tabac. De cette dernière culture, les Cubains produisent artisanalement les cigares. C’est là un héritage typique des monocultures coloniales. Le colonialisme et le néo-colonialisme ont pour fonction de freiner l’essor économique du pays dépendant. A Cuba, la principale industrie extractive exportatrice est le nickel.

La structure économique caractéristique des économies coloniales a persisté y compris après l’indépendance conquise de haute lutte par Cuba contre le colonialisme espagnol, sous la direction du leader patriote José Marti en 1898. Le néocolonialisme US, s’appuyant sur des pouvoirs semi-coloniaux comme celui du tyran Batista, fit de Cuba un vaste casino, un bordel livrant aux bourgeois impérialistes et leurs vassaux locaux un terrain privilégié de prostitution, de pédophilie, de blanchiment de l’argent sale, etc. Cuba a été une vaste boîte de nuit où les impérialistes US et occidentaux déversaient leurs vices bestiaux jouisseurs qui prolongeaient tout simplement, au fond, les crimes contre l’humanité que furent le génocide des Indiens, la traite des Noirs et le colonialisme.

José Marti débarrassa Cuba du régime colonial dans le sillage de la révolution indépendantiste et anti-esclavagiste d’Haïti en 1804, mais le néocolonialisme US imposa au peuple la perte de sa souveraineté.

L’intégration dans le camp socialiste

Avec la Révolution en 1959 et surtout l’option socialiste par la fusion du M26 juillet de Fidel Castro dans le Parti Communiste Cubain (PCC), Cuba reçut la solidarité du camp socialiste, en particulier de l’URSS qui pallia le blocus économique US en lui fournissant les machines-outils, le pétrole à bas-prix, l’achat du sucre en remplacement de la rupture du “Sugar act” par les USA à un prix double de celui du marché mondial et une coopération militaire défensive contre l’agression US, etc.

Cuba adopta la stratégie de la planification économique en nationalisant 90% du secteur industriel et 70% du secteur agricole. Le COMECON fonctionnait sur le principe d’une coopération économique fondée sur des échanges eux-mêmes basés sur la spécialisation économique et sur le développement non capitaliste des pays intégrés au camp socialiste.

A la différence des “intégrations et coopérations” néocoloniales, Cuba développa la scolarisation et la médecine gratuites et mit ainsi l’accent sur le développement de la médecine, de la recherche médicale, pharmaceutique et de la santé à la fois comme base d’un développement socio-économique d’une performance inégalée dans le monde et d’un internationalisme coopératif entre pays sous-développés. La coopération militaire défensive avec l’URSS et le camp socialiste a permis le développement d’une armée populaire dont les prouesses internationalistes ont été les défaites des armées sud-africaines racistes à Cuito Cuanavale en Angola, l’indépendance de la Namibie et ont permis la libération de Nelson Mandela, la suppression de l’apartheid politique et l’avènement du pouvoir de l’ANC. Le premier voyage à l’étranger de Nelson Mandela fut à Cuba pour y exprimer, contre l’impérialisme US et occidental, la gratitude du peuple sud-africain vis-à-vis de Cuba.

La lutte interne contre le blocus pour préserver les acquis du socialisme La défaite du camp socialiste et de l’URSS contraint Cuba à développer, pour exister et sauver l’essentiel des conquêtes sociales et patriotiques (santé et école gratuites), l’agriculture vivrière, en particulier l’agriculture suburbaine, biologique, l’agro-écologie et l’agroforesterie.

Ayant perdu brusquement 80% de ses échanges économiques internationaux, seules les cultures d’exportation comme le tabac et le rhum ont été maintenues. Alors, pour nourrir les villes, la révolution a littéralement mis les terres autour des villes en culture avec des serres pour atteindre, dès 1996, la fourniture de 300 grammes de légumes frais par jour à chaque Cubain.

Cuba est un pays d’agriculteurs combinant ANAP (association nationale des petits agriculteurs) privées, UBC (unité de bases des coopératives) collectivistes et fermiers privés notamment producteurs de tabac qui sont fournis en machines-outils par l’Etat et vendent 60% de leurs productions à l’Etat.

Cette adaptation, appelée “période spéciale”, à la nouvelle situation a fait enregistrer à Cuba un taux de croissance annuel de 4,2% par habitant de 1996 à 2005 supérieur à toute l’Amérique du Sud en combinant la recherche agricole, notamment basée sur la phytosélection participative qui associe étroitement chercheurs et agriculteurs dans l’amélioration des semences. Cuba socialiste est en effet un exemple qui met en pratique libération nationale, sociale et écologique. C’est dans ce contexte que la stratégie de développement du tourisme maîtrisé et planifié par l’Etat s’est mise en place pour accroître les moyens financiers de l’Etat socialiste en vue d’augmenter ses investissements dans des projets de développement national, d’ouvrir des zones franches spéciales comme celle de Mariel, ce grand port adossé à des projets industriels et de permettre l’expérimentation, pour alléger les dépenses budgétaires étatiques, des activités des “travailleurs indépendants” dont l’évaluation de la première phase est à l’ordre du jour du 7éme congrès du PCC.

Le secteur des biotechnologies est un atout majeur du développement de Cuba avec 32 instituts et entreprises qui sont rassemblés sous l’égide de l’entreprise publique BioCubaFarma, laquelle emploie plus de 21.000 salariés et est le premier exportateur de biens du pays (plus de 680 millions de dollars en 2013). Les produits les plus exportés sont le Herberprot-P, l’érythropoïèse humaine recombinante (iorHuEPO) ou la technologie SUMA. L’industrie pharmaceutique cubaine est l’une des six au monde produisant une protéine nommée interféron (INF). Elle produit aussi le facteur de croissance épidermique, utilisé dans des crèmes contre les brûlures, le vaccin contre l’hépatite B, le vaccin anti méningocoque de type B, la streptokinase recombinante utilisée contre l’infarctus du myocarde et l’embolie pulmonaire, des modulateurs immunologiques, antihypertenseur, hypocholestérolémiant et plusieurs médicaments anticancéreux. Sans oublier le développement d’un vaccin contre le virus du Sida présenté en 2012 à un congrès de biotechnologie à la Havane expérimenté avec succès sur des souris et en voie d’être testé sur les humains. Même les USA, malgré le blocus, ont été contraints pour des raisons de santé publique chez eux de permettre l’importation de deux vaccins élaborés à Cuba. Toutes ces avancées scientifiques et technologiques dans le domaine médical et pharmaceutique sont confirmées par l’OMS. Ce sont là des atouts majeurs de Cuba une fois que le blocus assassin des USA sera levé, blocus auquel obéissent les puissances, pays vassaux et Firmes Transnationales des USA à l’exception des pays de l’Alba, de la Celac d’Amérique du Sud et les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

La lutte mémorielle pour l’indépendance et le socialisme

Partout, y compris dans les maisons personnelles qui appartiennent à 95% aux propriétaires et 5% à l’Etat, ce sont les héros et martyrs de la révolution indépendantiste et socialiste qui ornent les murs. Partout on trouve des musées de la mémoire historique qui célèbrent et commémorent la résistance et les résistants des plus connus aux humbles inconnus du grand public. Partout ces musées portent sur des thèmes comme : la lutte contre les “bandidos” de la contre-révolution où l’on voit des photos et récits sur les combattants révolutionnaires, leurs hauts faits d’armes, leurs paroles, etc. Parmi ces héros et martyrs reviennent très souvent : Che Guevara, Camilo Cienfuegos, José Marti, Marx, Engels, Lénine, Hô Chi Minh, Chavez, Bolivar et Mandela, etc. Et quand on pose la question sur la relative absence de Fidel (à l’exception de phrases murales), la réponse est significative : “Fidel, c’est Fidel, il est vivant, mais quand il ne sera plus là, alors Fidel fleurira nos murs”. Voilà toute une leçon que chacun doit méditer, notamment ceux et celles qui sont victimes de la propagande impérialiste présentant Cuba comme une “dictature” policière, d’endoctrinement et d’embrigadement fanatiques.

Il est important de comparer cela au fait que les commémorations dans la plupart des prétendues “démocraties” impérialistes portent sur les massacres, par exemple en France, commis par les occupants Nazis (Oradour, Ascq, etc) ou sur les victoires militaires comme celle de la Première Guerre impérialiste Mondiale. On commémore les massacres ou les victoires, mais pas la résistance et les résistants. Les semi-colonies d’Afrique ne commémorent même pas les massacres, fêtent l’indépendance nominale en jetant la chape de plomb de l’oubli volontaire sur les crimes et les résistants héros et martyrs de la première phase de lutte pour la décolonisation.

Cuba offre un exemple de lien dialectique entre les massacres, les victoires et les résistances et les résistants. Ailleurs les impérialistes et les bourgeoisies néocoloniales utilisent les massacres et les victoires pour enterrer dans l’oubli les résistances et les résistants, c’est toute la différence. Dès la maternelle et à tous les cycles scolaires, la visite du mémorial du Che est une coutume qui forge l’unité nationale, la conscience du patriotisme et du socialisme.

Citons le poète à la brouette, Luis, rencontré à Trinidad : “Subissant l’adversité mortelle de la contre-révolution, la Révolution française sous le gouvernement de salut public dirigé par Maximilien Robespierre, dont on trouve la statue à Arras ville du Pas-de-Calais, a décapité plus d’hommes que notre révolution cubaine”. Ce poète dictionnaire ambulant est le prototype même de la culture générale et de l’instruction dispensées à Cuba. Les enfants, dès le collège, y font des stages en agriculture pour y apprendre à connaître les plantes, les animaux et l’environnement naturel qui fait de Cuba un véritable monument écologique classé par l’ONU comme patrimoine de l’humanité. L’écologie politique antisociale et anti-écologique, qui culpabilise le “consommateur/client” et non les grands patrons des firmes transnationales, ferait bien d’aller se ressourcer à Cuba pour comprendre ce que Marx écrivait dans ses Manuscrits de 1844 : “le capitalisme exploite et détruit l’homme et la nature”.

Source : Journal de l’Afrique No.20, Investig’Action

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