Méxique: stratégies de dépouillement territorial: le cas de la défense de la forêt Xochicuautla

Ce que nous montre l’histoire latino-américaine c’est que la guerre que les puissants décrivent comme une guerre contre la “barbarie”, de “l’archaïsme” et du “sous-développement”, est en réalité une guerre contre des formes différentes d’être en relation avec le monde.

1. Développement et dispute pour le territoire.

Les cas de spoliation des territoires par le gouvernement et les classes dominantes, imposés de manière violente, au nom de progrès et du développement, sont innombrables et dramatiques en Amérique latine. Un conflit pour les territoires, élaboré et construit depuis différentes conceptions et intentions. D’un côté, ceux qui au nom du progrès et du développement subordonnent et détruisent tout sur leur passage: les êtres humains, la nature, la mémoire, la vie même donc, un projet de mort au nom du profit et des dynamiques du marché capitaliste.

De l’autre côté, des formes de vie innombrables, héritées et porteuses de sens, qui résistent à l’assujettissement de la vie, sous ses différentes formes- au capital, et qui donc défendent d’autres savoirs, d’autres pratiques.

Il se dessine de cette manière des scénarios de luttes dans ceux qui sont en lutte les idées sur le territoire, depuis ceux qui simplifient les aspects physiques et géographiques, jusqu’à ceux qui conçoivent dans toute sa complexité ce qui est une construction historique avec un enchevêtrement de liens sociaux, économiques, politiques, culturels et environnementaux; dans cette large gamme de conceptions et surtout dans les pratiques d’appropriation et transformation du territoire, les acteurs se disputent l’essence même de l’existence, la vie.

Les acteurs du développement dans la version de la “croissance économique” et du “progrès matériel” appellent à l’évolution nécessaire et l’assujettissement des territoires aux dynamiques du marché, et le Font au travers d’une conceptualisation, comme l’analyse Gudynas (2011), où se retrouve de manière hégémonique les visions d’efficacité et de rentabilité économique ayant pour horizon le mode de vie à l’occidentale.

Bien qu’une telle approche ait été critiquée et réfutée sur base de notions qui récupèrent le thème du développement centré sur l’humain, et par des courant comme le développement durable, ceux-ci sont loin d’envisager un tournant dans les moyens du Développement qui reste synonyme de croissance économique.

De fait les gouvernements progressistes eux-mêmes ne sont pas parvenus à une distance critique et impulsent un modèle de développement neo-extractiviste, qui, bien qu’il se différencie des gouvernements néolibéraux quant à la visión du rôle à jouer par l’État, continuent d’adopter des stratégies d’appropriation massive de la nature, des économies de niche et une insertion globale subordonnée” (Gudynas, 2011:35).

C’est dans ce contexte que surgissent les courants de critique radicale sur la base même de l’idée de développement, dont une des plus est importantes s’appelle “Posdesarollo”, au sein de laquelle a lieu le débat sur les alternatives au développement, ainsi que sur la valorisation d’autres savoirs et pratiques, de modes de vie critique à l’égard du mode de vie néocolonial, “moderne” et capitaliste. Ainsi pour comprendre le conflit dont sont l’objet les territoires, il est important de rappeler qu’il est question de processus de violence sanglante de la part des acteurs hégémoniques, comme le décrivent notamment Composto y Navarro (2014:14):

Ce que nous montre l’histoire latino-américaine c’est que la guerre que les puissants décrivent comme une guerre contre la “barbarie”, de “l’archaïsme” et du “sous-développement”,est en réalité une guerre contre des formes différentes d’être en relation avec le monde. Ces façons différentes de concevoir la propriété, le travail et la vie sont ce qui est attaqué depuis plus de 500 ans dans la région et, sans trêve depuis environ une dizaine d’années, depuis un nouveau cycle d’accumulation capitaliste qui vise à mettre un terme à la crise financière mondiale”.

2. Le cas du territoire ancestral Ñathö à San Francisco Xochicuautla, Etat de Mexico

L’amour pour ce territoire, et l’idée folle de protéger la vie elle-même ont été, pendant près d’une décennie, ce qui a poussé des hommes et des femmes à se débarrasser de leur peur pour se battre. C’est qu’affronter l’ambition de puissants groupes n’est en rien une tâche aisée, mais pour cette communauté indigène localisée dans l’État de Mexico imaginer des terrains de golf, des lotissements résidentiels, des entreprises multinationales et une autoroute sur les montagnes qui leur donnent de quoi manger, leur donne le courage nécessaire pour faire face à un gouvernement tel que celui en place et dont les politiques ont plongé le pays dans une grave crise en ce qui concerne les droits de l’homme.

Impuissance, colère et tristesse ont pris le dessus sur les réseaux sociaux début avril, les photos pouvant corroborer ce que la communauté de Xochicuautla dénonçait depuis des mois. Sur la montagne gisent les morceaux de ciment de la maison du délégué de la communauté Armando Garcia. La maison a été détruite par les machines de la société Autovan, chargée de la construction de l’autoroute Toluca-Naucalpan. Les travailleurs de la filiale du groupe Higa savaient que ce qu’ils étaient sur le point de faire n’était ni légal ni légitime, puisqu’ils ont agi sous la protection de 400 représentant de la Commission d’État de la Sécurité publique (CES). Tout cela a été fait non seulement en dépit des batailles juridiques gagnées, mais sous la protection accordée par le Mécanisme Fédéral de Protection des Personnes pour la Défense des Droits de l’Homme et des Journalistes, attribués à des individus et des groupes considérés comme étant à risque.

Autova travaille toujours sur le tracé de l’autoroute (voir carte ci-dessous) non seulement malgré que le gouverneur de l’État de Mexico, Eruviel Avila Villegas, qui avait promis d’arrêter les travaux, n’a pas trahi la communauté Xochicuautla en permettant la présence de travailleurs, mais également en ne tenant pas compte de l’ordre donné par le cinquième juge de district, qui avait suspendu les travaux de construction jusqu’à ce que le procès soit résolu. Il semble donc que le gouverneur Avila se soucie peu de ce qu’ordonne la justice afin de protéger les intérêts des entrepreneurs tels que Juan Armando Hinojosa, propriétaire du groupe Higa et impliqué dans le scandale de la Maison Blanche et des Panama Papers.

Image : Territoire de la communauté Xochistlahuaca et tracé du projet d’autoroute privée Toluca-Naucalpan. Source : Geocomunes – page consultée le 25 avril 2016

La communauté Xochicuautla refuse de disparaître. La construction de l’autoroute Toluca-Naucalpan, que reliera la luxueuse zone de Santa Fe à l’aéroport International de Toluca, touchera au moins 13 villages. Au fur et à mesure qu’elle progresse, certaines montagnes, véritable cœur de la communauté, disparaitront ainsi que des centres de cérémonies d’une grande importance, des sentiers et des routes sacrées. Cependant, cette communauté ñhathö a littéralement « mis le corps » pour arrêter l’engrenage qui a déjà détruit une partie de leurs récoltes et de leurs coutumes ancestrales ainsi que leurs assemblées, protégées de force par la police qui en prétendant changer l’utilisation des terres à en fait légaliser la dépossession.

Le développement construit au ciment

Ce n’est pas la première fois que cette entreprise envahit des territoires de Xochicuautla. Au mois de juin 2015, des travailleurs d’Autovan sont entrés dans la communautés, protégés par des grenadiers, y ont rasés plus de 23 kilomètres de bois et de cultures de maguey, de maïs, de fèves et de pommes-de-terre et enterrant les preuves au même endroit.

L’histoire de bien des peuples du Mexique se répète à travers cette communauté indigène. Le gouvernement impose des super-projets soutenus par les forces publiques, trompant les gens avec de fausses promesses, des menaces et des intimidations, la fragmentation du tissu social et parfois même la mort.

Dans le cas de ce peuple, la justice lui a donné raison et pourtant la destruction de son territoire se poursuit, tout comme les plantations et l’installation de camps dans les zones touchées. Pour l’un de ses habitants, planter est aussi un moyen de résister, et entre les décombres l’on peut observer quelques pousses de maïs qui sortent de terre. Maintenant, le peuple de l’Etat du Mexique doit faire face à une lutte contre la dépossession et pour la vie, celle qui semble perdre de sa valeur à mesure que celle du ciment augmente.

BIBLIOGRAPHIE:

Composto C., Navarro ML. (Comp). (2014). Territorios en disputa. Despojo capitalista, luchas en defensa de los bienes comunes naturales y alternativas emancipatorias para América Latina (1ª. Ed). México D.F.: Bajo Tierra Ediciones. 452 p.

Rompeviendo TV. (2015). Programa Zona de Impacto: tensión en Xochicuautla [Archivo de video]. Disponible en: https://www.youtube.com/watch?v=g9Xj_RMFaaA Fecha de consulta: 25 de abril de 2016.

Gudynas E. (2011). Debates sobre el desarrollo y sus alternativas en América Latina: una breve guía hederodoxa . En: M. Lang y D. Mokrani (Eds.), Más allá del Desarrollo (pp. 21-53). Quito, Ecuador: Fundación Rosa Luxemburgo y Abya Yala.

* Correspondantes au Mexique pour Investig’Action

Source: Le Journal de Notre Amérique n°15, Juin 2016, Investig’Action

 

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