Négociations politiques : la fin de la violence en Colombie?

Depuis les années 60, la Colombie a vu la naissance et la disparition de nombreux groupes guérilleros tels que le M-19, l’ADO, Quintin Lame, le PRT, le CRS, ou la EPL qui font aujourd’hui partie de l’histoire de la Colombie. Il ne reste à ce jour que les FARC-EP et l’ELN.

Ces deux groupes se trouvent aujourd’hui au cœur du processus de paix avec le gouvernement colombien ; deux tables de négociation, deux méthodes et deux stades de négociations différents.

Il est important de préciser que le gouvernement a annoncé dès le début que le modèle économique ne serait pas négociable. Ce modèle est pourtant celui qui a effectivement provoqué la guerre et le conflit social en Colombie ; ce sont donc les raisons structurelles de la violence que le gouvernement s’est refusé à mettre sur la table des négociations avec les FARC, c’est-à-dire la pauvreté, la misère, l’exclusion sociale et politique, la répression et la négation de l’opposition.C’est pour cela qu’il est nécessaire d’affirmer que la fin de la guerre en Colombie ne signifiera pas la fin du conflit social puisque les motifs structurels qui ont déclenché la guerre ne seront pas remis en question.

Que vont donc changer les accords de paix avec l’ELN et les FARC ? Tous ces affrontements et ces effusions de sang étaient-ils nécessaires ? Ce sont sans doute des questions que se pose le peuple, et l’une des réponses qu’il faut donner est que plus jamais la Colombie ne voie se reproduire les atrocités de la guerre.

Cette période doit rester gravée dans l’histoire comme étant notre époque de « patrie stupide », mais elle doit aussi permettre aux classes dominantes de comprendre que le peuple colombien leur offre une nouvelle opportunité de corriger les erreurs du passé ; que notre pays ne peut continuer à être aux mains de quelques-uns alors que la grande majorité du peuple vit dans la pauvreté et la misère, dans une exclusion totale, loin d’une vie digne, avec comme seule certitude celle de mourir dans l’indifférence.

Le gouvernement et l’ELN ont déjà fait savoir publiquement qu’ils étaient prêts à entamer des négociations publiques. L’ELN a exprimé le rôle-clé que devait avoir la question de la « participation de la société » dans la recherche d’un accord.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est donc dans les différents tours de négociations à organiser, le premier concernant la participation, que doivent se créer les mécanismes permettant à la société colombienne toute entière de participer directement et sans intermédiaire à la recherche de solutions pour résoudre les problèmes structurels de la société. Car c’est elle qui a subi les effets directs de la guerre en Colombie. L’ELN a insisté sur le fait que ses membres ne représentaient pas la totalité du peuple colombien et cela permettrait de donner un coup de fouet à l’organisation sociale qui se verrait renforcée, mobilisée et pourrait ainsi exiger le respect de ses droits. Mais il est aussi évident que cela élargirait et compliquerait le processus.

Il incombera aux deux parties de trouver un équilibre pour que les convictions de l’un ne soient pas malmenées par l’orgueil de l’autre.

Les cinq autres points des négociations avec l’ELN visent à mettre sur la table des sujets délicats pour le gouvernement et pour l’oligarchie colombienne. Des thèmes comme l’extractivisme, les ressources naturelles, les mécanismes de participation citoyenne (consultations populaires), sont ceux sur lesquels il sera difficile de s’entendre.

L’agenda entre le gouvernement et l’ELN se compose des six points suivants :

  • Participation de la société
  • Démocratie pour la paix
  • Victimes
  • Transformations pour la paix
  • Sécurité pour la paix et dépôt des armes
  • Garanties pour la mise en pratique d’actions politiques.

Même si les deux processus de paix n’aboutissent pas à « la révolution » que l’on pouvait espérer, ils méritent d’être soutenus dans la mesure où la guerre ne convient à personne.  Il suffit de se rappeler les milliers de morts qui ont décimé les rangs de l’UP, de A Luchar, des organisations syndicales, paysannes et étudiantes religieuses de gauche, tous montrés du doigt par un État répressif n’acceptant ni les différences ni l’opposition.

Ce que les accords ne changeront pas

Il faut comprendre les accords comme étant un premier pas pour effectuer de manière institutionnelle les changements que les armes n’ont pu amener. Afin que les changements s’amorcent ou se poursuivent, c’est le peuple qui aura un rôle important à jouer pour éradiquer la pauvreté, la misère et l’exclusion. Persistent cependant dans la réalité colombienne des situations susceptibles de mettre en péril la ratification de la paix et de rendre le pays ingouvernable à bien des niveaux pour les prochaines administrations :

1. Le dernier rapport d’INDEPAZ1 relate l’existence à l’heure actuelle de 14 groupes paramilitaires d’extrême droite dans 149 municipalités du pays. Ces groupes ont réussi à prendre le contrôle du territoire et à y imposer leur pouvoir. Les militants de gauche et les démobilisés craignent que des assassinats ciblés se reproduisent, comme cela fut le cas avec le M-19 après que ce dernier eut signé un pacte de paix avec le gouvernement colombien dans les années 90.

2. Selon le coefficient de GINI, l’inégalité en Colombie en 2012 et en 2013 était de 0,539 (où 0 correspond à une égalité totale et 1 à une inégalité absolue). En 2014, cet indice était de 0,538 et plaçait la Colombie au quatorzième rang des pays les plus inégalitaires sur les 134 observés (Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD, 2015).

Le chiffre était de 0,87 en 2012 dans les zones rurales. Les exploitations de plus de 500 hectares représentent aujourd’hui 62% du territoire national et les propriétaires ne représentent que 4% de la population..

3. 77% des terres arables sont aujourd’hui détenues par 13% des propriétaires, et 3,6% de ces derniers sont propriétaires de 30% de ces terres3.

4. De 2009 à 2013, la culture de la canne utilisée pour la production de biocarburants a fortement augmenté, passant de 0 à 41 000 ha, celle de l’huile de palme atteignant 476 000 ha contre 157 000 pour l’année initiale4.

5. Selon des chiffres du Haut-Commissariat à la Paix en Colombie, près de 6,7 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays.

6. Malgré le manque de moyens de production, de recours économiques et malgré la négligence de l’État, 70% des aliments que nous consommons viennent des petits producteurs (économie paysanne) ; grâce en particulier au travail des femmes paysannes.

7. La Colombie est passée de 700 000 tonnes d’aliments importés en 1991 à plus de 10 millions de tonnes en 20155, conséquence du modèle néolibéral imposé sans vergogne à partir de la décennie 1990.

8. Les gouvernements colombiens poursuivent leur politique d’implémentation du modèle néolibéral, comme en témoigne en 2016 le nombre de traités de libre échange ratifiés par la Colombie : CAN [Communauté Andine des Nations, NdT] (5 pays), MERCOSUR [Marché Commun du Sud, NdT] (4 pays), CARICOM [Communauté Caribéenne, NdT] (12 pays), Union Européenne, EFTA [Association Européenne de Libre Échange, NdT] (4 pays), Alliance du Pacifique, Triangle Nord Centraméricain (Salvador, Guatemala, Honduras), sans compter ceux signés avec le Mexique, le Venezuela, Cuba, les États-Unis, le Chili, le Canada, le Nicaragua et la Corée du Sud6.

9. Il n’existe pas de chiffre officiel concernant les Colombiens vivant à l’étranger, mais il oscille entre 6 et 9 millions d’individus, parmi lesquels près de 400 000 réfugiés politiques. Il n’existe pas aujourd’hui de programme efficace pour leur assurer un retour dans la dignité et la restitution de leurs droits.

La Colombie négocie en outre avec les pays suivants : Chine, Turquie, Panama, Israël, Costa Rica, Japon. Enfin, la Colombie a pris part aux négociations sur le TISA (Accord sur le Commerce des Services) ; cet accord changera la face du monde au niveau des relations économiques et remettra les décisions entre les mains du marché, faisant de l’État la cinquième roue du carrosse.

Le rôle de la société civile sera vital dans l’application des accords afin de garantir les transformations sociales qui commencent déjà à mettre fin aux conditions qui ont entraîné la guerre ; c’est pour cela que les mécanismes qui vont rester en place pour la réalisation des accords sont une conquête importante de même que pour l’insertion et la participation de la société civile dans cette réalisation.

Un élément important que doivent comprendre les « nouveaux acteurs de la lutte légale » lorsque l’on parle de démobilisation est que la Colombie est un pays complexe, qu’il existe plusieurs Colombie et que c’est de cette perspective qu’il faut partir afin de pouvoir agir ; ces acteurs doivent intégrer qu’ils ne sont ni les détenteurs de la vérité ni les phares qui vont diriger la lutte. Le moment est venu de faire place aux organisations sociales et de les renforcer. Sans négliger leur importance, il est aussi de notre responsabilité de construire l’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ. Peut-être, comme le pensait un vieux renard de gauche, que « la guerre a pris fin et nous passons à une autre étape de la lutte : la lutte institutionnelle…mais la lutte continue ».

Notes :

1) http://remaacpp.com/index.php/analisis/967-14- grupos-paramilitares- en-149- municipios-de- colombia-indepaz

2) IBID

3) https://www.grain.org/es/article/entries/5251-acaparamiento-de-tierras-en-colombia

4) Journal El Tiempo http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-1524716. 24 novembre 2004.

5) Chiffres du Ministère du Commerce Extérieur de la Colombie.

Source : Le Journal de Notre Amérique No.15, Investig’Action

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