Milagro Sala, Leopoldo López et le double discours de Macri

Le 16 janvier, à San Salvador de Jujuy, la dirigeante sociale et députée au Parlasur, Milagro Sala a été arrêtée sous le motif d’ « incitation à commettre des délits et des émeutes ». La raison ? Etre à la tête d’un camp opposé au gouvernement de la province de Jujuy.

Cet article est extrait du Journal de Notre Amérique du mois de mars (n°12)

En accord avec l’acte de détention, le juge Raúl Eduardo Gutiérrez prononce les poursuites contre Milagro Sala en spécifiant que les délits sont survenus quand les manifestants du groupe Tupac Amaru ont bloqué la circulation des véhicules le 14 décembre 2015 et ont occupé avec des tentes les lieux devant la Maison du Gouvernement provincial. Dans ce sens, on accuse Milagro Sala et d’autres dirigeants de l’organisation « d’agir pour inciter publiquement un nombre indéterminé de personnes, des affiliés aux organisations sociales qui les accompagnent en occupant les espaces publics ».

« Ces comportements ont provoqué – continue le juge – un changement de l’ordre public dans le sens où la situation de confiance dans laquelle on vit, dans une atmosphère de paix sociale, s’est vue altérée, amenant avec eux « la colère collective de la population ».

On peut citer des vidéos enregistrées comme éléments de preuve, entre autres, dans lesquelles Sala apparaît « en gesticulant et prônant des discours de manière à susciter le campement de divers groupes de personnes, qui s’approchent successivement du lieu où ils se retrouvent pour recevoir les dites directives ».

Mettant de côté la forme particulière de décrire une situation typique de mobilisation populaire, l’écrit est clair puisqu’il explique que la conduite qui pose problème est l’organisation d’une protestation sociale.

Quelques paragraphes plus loin, le juge soutient que l’installation du campement « a pour objet de s’affronter publiquement accompagnés des campeurs qui sont sur les lieux, contre la décision d’exécuter le Plan de Régularisation et Transparence des Coopératives et Bénéfices Sociaux annoncé par le Gouvernement de la Province, pour empêcher son exécution ». Et il ajoute en suivant : « Cette affirmation ressort du rapport effectué par Mr le Gouverneur ».

Quelques semaines avant, le nouveau gouverneur de Jujuy, Gerardo Morales, dirigeant du radicalisme et faisant partie de l’Alianza Cambiernos, avait déjà annoncé quelle serait la ligne d’action du gouvernement face au campement, quand il a été invité par Mirtha Legrand dans son programme de télévision du 19 décembre.

Morales avait dit que Milagro Sala « devra rendre des comptes ». Morales a, en plus, rejeté tout type de dialogue avec l’organisation. « Je ne vais pas parler avec des personnes violentes, je ne vais pas parler avec elle. Avec celui qui coupe les routes, il n’y a pas de dialogue ».

Et il a aussi ajouté que « pour rétablir l’ordre (…) il y a des mesures à prendre qui ont quelque chose à voir avec la justice et avec le Code Contraventionnel que je vais commencer à implanter dès le 1er janvier »

Deux semaines après le premier jour de l’année, le Pouvoir Judiciaire agissait dans ce sens. Maintenant : c’est vraiment cette politique que défend le président Mauricio Macri au niveau international ?

 

Leopoldo López, prisonnier politique ?

 

Pendant que le campement s’étendait et que ces concepts sur la protestation sociale grandissaient, Mauricio Macri se préparait pour son premier évènement international en tant que président.

Le 21 décembre, le Sommet des Présidents de Mercosur avait lieu à Asuncion et, lors de cette occasion, comme on s’y attendait, Macri a dit ce qu’il considérait comme « une grave situation des droits humains au Venezuela ». Concrètement, il faisait allusion à la détention de Leopoldo López, dirigeant opposant vénézuélien qui était à la tête du plan insurrectionnel connu comme « La Sortie » en 2014.

Le nombre de protestations se référait ouvertement à la sortie du président constitutionnel du Venezuela, Nicolás Maduro, élu neuf mois avant. López lui-même l’a exprimé à plusieurs reprises de manière publique et a même déclaré devant les caméras de télévision que les protestations termineront « quand le gouvernement s’en ira ».

Les actions comportent des épisodes graves de violence entre le mois de février et mai 2014, laissant un bilan de 43 personnes assassinées et un grand nombre d’immeubles et transports publics détruits. Parmi ces faits, il faut noter qu’au moins 8 personnes – incluant six personnes intégrantes des forces de sécurité – furent assassinées par des tirs de francs-tireurs ; qu’une autre personne – le jeune Elvis Durán – est mort décapité par un fil de fer placé intentionnellement pour fermer la rue et que plusieurs universités et institutions publiques furent incendiées.

Dans un de ces incendies, des dizaines d’enfants qui se trouvaient à la crèche ont failli perdre la vie. Cette crèche était placée à l’étage supérieur d’un immeuble qui fut attaqué par des groupes de droite, les mêmes qui avaient participé à un essai de coup d’Etat.

 

Un double discours avec un grand appui médiatique

 

Les circonstances qui ont amené López en prison furent rappelées par la chancelière vénézuélienne, Delcy Rodríguez, quand elle a répondu à Macri pendant le Sommet de Mercosur.“Vous êtes en train de vous entremettre dans des évènements au Venezuela. Arrêtez de défendre les personnes violentes”, exigea la chancelière, en signalant en même temps le double jeu de Macri ; devant cette situation, le président argentin a dû garder le silence. De manière étonnante, c’est aussi le même silence que pratiquent habituellement les moyens privés de communication devant l’information qui ne va pas avec sa ligne éditoriale.

Le jour suivant, aussi bien Clarin que La Nación et Infobae ont oublié de décrire les photos et de citer les phrases avec lesquelles Delcy Rodríguez avait démontré ce qui est assez évident : les protestations dirigées par Leopoldo López ne peuvent être d’aucune manière considérées comme pacifiques.

Comme le gouvernement de la Alianza Cambiemos, ces moyens de communication changeront aussi leurs ressentis par rapport à l’Argentine. Et du « respect à la protestation sociale » (dans le cas de Leopoldo López), ils sont arrivés à la légitimité déclarée de la détention de Milagro Sala, en jouant sur la limite de la désinformation et en affirmant des faits totalement faux.

Depuis quelques jours, tous ceux-ci mettent en avant le supposé vol d’argent destiné aux coopératives de la Tupac Amaru, en synchronisation avec ce que soutient le gouvernement Morales. Mais il se trouve que rien de tout cela ne se trouve dans les motifs de détention qui sont bien clairs : être à la tête d’un campement contre une politique spécifique de l’Exécutif provincial.

Le site web Infobae va encore plus loin “en clarifiant” dans une note sans signature que Milagro Sala « fut arrêtée après les campements pour provocation à commettre des délits et pour avoir avec elle des protestants mineurs » (sic).

Même si nous assumons qu’il y avait sur le campement des protestants mineurs « sous les ordres de la dirigeante » – et non par exemple parce que leur mère et leur père exercent un droit constitutionnel et portent leur famille avec eux – à aucune partie des quatre pages de l’acte judiciaire il est mentionné que Sala avait des jeunes qui protestaient avec elle et que ce fait était un des motifs de sa détention.

De cette manière, on dirait que l’opinion hégémonique ne s’impose pas en Argentine par la véracité et la cohérence de ses arguments, mais plutôt par la répétition de la part des principaux médias.

Source : Notas

Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas Balbona

Fernando Vicente Prieto – @FVicentePrieto

Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés

 

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