L’Argentine renoue avec son passé néolibéral et répressif

Le PRO, Propuesta Republicana (NdT : Proposition Républicaine) est un parti néolibéral et conservateur né au moment de la crise de 2001 sous un format rénové (Macri commence son parcours comme président du club de football de Boca Juniors, l’un des plus populaires du pays, à l’instar de Berlusconi en Italie) afin de toucher un électorat beaucoup plus large, lui permettant ainsi de rem- porter les élections présidentielles. Sa structure politique consiste en un leader incontesté qui est Mauricio Macri, en un idéologue en la personne de Jaime Durán Barba, et en une utilisation des médias comme porte-parole de ses mesures.

Le grand mérite du parti de la capitale a été d’abandonner son étiquette de parti local et d’être devenu aujourd’hui une force politique au niveau national. Pour ce faire, il s’est allié au sein de la coalition Cambiemos (NdT : Changeons) à l’historique Parti Radical lequel lui a permis de profiter de ses fiefs électoraux et de s’ancrer dans l’Argentine profonde.

Leur thème de campagne comportait trois grands axes : 1) politique : s’attaquer à la corruption et rétablir le système républicain en récupérant les bases institutionnelles ; 2) social : rétablir le dialogue dans la société en effaçant la fracture de celle-ci ; 3) économique : reformuler la structure macroéconomique, en s’attaquant en priorité à l’inflation.

Ces trois axes ont été martelés tout au long de la campagne tant par les responsables politiques du parti que par la plate-forme multimédia (du groupe Clarín) qui lui a fourni un soutien inconditionnel.

Si un individu se promène dans les rues argentines et s’arrête pour parler au premier passant qu’il rencontre, il entendra certainement que le kirchnérisme était le gouvernement le plus corrompu qui a existé en Argentine, le plus autoritaire, et que, finalement, c’est de lui que vient cette fracture.

Cette construction collective, diffusée avec succès par les grands médias de désinformation, a telle-ment percé dans la société qu’elle lui permet aujourd’hui (une fois l’élection présidentielle remportée avec 51% et encore plus après avoir effective-ment pris le pouvoir) d’entreprendre des actions qui vont à l’encontre de son discours basé sur le respect des institutions, du slogan « pauvreté zéro » et de la tentative de gommer la fracture. Les exemples sont multiples, comme le nombre de décrets de nécessité et d’urgence (DNU) qui ont été signés en si peu de temps (déjà plus que sous Cristina Kirchner, en 8 ans de gouvernement).

Des décrets au contenu illicite comme : celui qui modifie la loi de services de communication audiovisuelles (loi des médias) ; celui qui nomme deux juges de la Cour Suprême (mesure inédite dans l’histoire argentine) ; et celui qui a ramené le système éducatif actuel à celui des années 90, et qui s’accompagne de la suppression d’au moins la moitié du budget alloué à l’éducation.

À la suite de la mise en place de cette nouvelle forme de gouvernement, le parlement est devenu un lieu oublié. De fait, aucune des décisions de Macri n’est jusqu’à présent passée par le circuit législatif, malgré les demandes solennelles de l’opposition qui appelle à la tenue de sessions extraordinaires.

C’est à partir du mois de mars (date à laquelle débute le cycle législatif) que Cambiemos devra montrer ses aptitudes politiques afin de parvenir à des accords qui lui permettraient d’obtenir les votes nécessaires pour édicter de nouvelles lois et pour valider les décrets adoptés. L’obstacle principal sera la chambre haute du parlement où les sénateurs kirchneristes ont la majorité absolue.

Pendant ce temps, le nouveau gouvernement s’est emparé des institutions. Depuis l’arrivée au pouvoir de Cambiemos, l’Institut National des Statistiques et du Recensement (INDEC) a arrêté de publier les chiffres de l’inflation (ce sera encore le cas pendant sept mois, chose qui n’était jamais arrivée, même en période de dictature), l’objectif politique étant d’affaiblir les commissions paritaires qui auront lieu en février et en mars afin de pouvoir transférer les ressources de la classe laborieuse vers la classe patronale.

Un autre changement a consisté à utiliser la répression comme mécanisme institutionnalisé afin de contrôler les mouvements sociaux. Un mécontentement social qui découle des licenciements massifs effectués dans le secteur privé, mais aussi, et plus particulièrement, dans le secteur public, au sein duquel est en train de s’opérer une purge idéologique qui rappelle les heures sombres de l’histoire argentine. Le meilleur exemple de cela a été la détention de Milagros Sala (responsable de l’organisation sociale Tupac Amaru et membre du Parlasur [NdT : Parlement du Mercosur]) pour avoir organisé une manifestation au moyen d’un campement sur la place principale de Jujuy (dans le nord-ouest du pays).

Le ministre des finances, Prat Gay, a annoncé que le secteur public allait procéder à des licenciements, ou plutôt « éliminer la graisse du militantisme » selon ses propres mots. On estime à vingt mille le nombre d’emplois qui ont été supprimés parmi lesquels des postes d’employé municipal, ministériel, parlementaire, scientifique, etc.

En toute logique, des mobilisations se sont organisées en signe de protestation contre ces mesures, et la réponse apportée a été la même qu’à chaque fois que des licenciements du secteur public ou privé sont entrepris : répression et absence d’un dialogue pourtant au cœur de la dernière campagne.

Cela fait quelques années que le thème de la « fracture » est un sujet constant en Argentine, laquelle fait référence à une impossibilité supposée de dialogue entre les kirchneristes et les antikirchneristes. Ce terme, inventé par Jorge Lanata (journaliste vedette du groupe Clarín), a servi de manière récurrente à accuser jadis le discours officiel d’intolérance qui empêchait le dialogue et l’entente. Il s’agissait en réalité de mettre sur la table des thèmes fondamentaux pour la politique argentine, ce qui génère toujours des luttes de pouvoir.

La fracture n’est pas en train de se résorber grâce au dialogue, elle est plutôt en train d’être supprimée de manière grossière : on essaie de faire disparaître une des deux parties du jeu communicationnel.

Cela a été démontré de manière criante le lundi 12 janvier dernier lorsque Víctor Hugo Morales (journaliste phare des sympathisants kirchneristes) a été licencié en direct de son programme radio ainsi que du programme télévisé qu’il présentait.

Le niveau d’alignement médiatique sur la politique de Cambiemos atteint des niveaux jamais observés depuis le retour à la démocratie en 1983. La seule exception à cela est le poids spécifique qu’ont progressivement acquis les médias sociaux en termes d’information alternative.

Le plan économique, qui a pourtant été au centre de la majorité des promesses électorales, n’est pas à la fête non plus, c’est même plutôt le contraire compte tenu de la concentration de richesses à laquelle on assiste. Les taxes sur la viande, le blé et le maïs ont été totalement supprimées, et elles ont été réduites pour le soja. Comme on pouvait s’y attendre, ces mesures ont eu deux conséquences immédiates : d’un côté on a assisté à une augmentation des prix des aliments qui ont pour bases ces denrées, et d’un autre côté, on a observé un transfert de richesses formidable estimé à plus de 85 milliards de pesos (6,1 milliards de dollars selon le taux de change officiel).

La tranche d’impôt sur le revenu a été relevée pour les travailleurs (elle ne concernait précédemment que les plus gros salaires, à savoir 12% des travailleurs). Mais le revers de la médaille se trouve dans les déclarations du ministre des finances, Prat Gay, qui a conseillé aux syndicats d’être prudents au moment de négocier les salaires à la hausse étant donné que cela pourrait entraîner des licenciements si ceux-ci étaient trop élevés.

On estime à 10% en moyenne la perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs, ce qui représente au total presque 200 milliards de pesos qui vont passer des mains des travailleurs aux mains des patrons en une année seulement.

Macri déclarait en 1999 : « Nous devons réduire les coûts et le salaire est un coût en plus ». Cette phrase, à l’instar de celle de Prat Gay, ne fait rien de moins que mettre en lumière la décision politique d’augmenter le chômage pour ainsi pouvoir réduire le pouvoir d’achat des travailleurs et améliorer la rentabilité des entreprises.

C’est sur cette politique que s’est alignée María Eugenia Vidal, gouverneur de la province de Buenos Aires, en signant un décret qui mettait fin aux commissions paritaires des employés municipaux de sa province, décret qu’elle a dû annuler face à la pression des syndicats.

La problématique de l’emploi ne se limite pas à la purge idéologique qui est pratiquée au cœur de l’État. Des difficultés d’envergure se profilent à l’horizon et elles découlent de deux situations : l’absence de l’État quand il s’agit d’empêcher des licenciements dans le secteur privé, et l’ouverture indifférenciée des barrières à l’importation.

Des secteurs comme celui de la chaussure, du jouet, ou du textile se voient affectés et d’autres secteurs connaîtront le même sort, mettant à la rue des milliers de travailleurs comme cela s’est produit lors des sombres années 90. Il en est de même pour la suppression des aides aux entreprises privées comme c’est le cas pour Aerolínea Sol ou pour la société avicole Cresta Roja.

Tout cela n’est pas dû au hasard, il s’agit d’une restauration du modèle de concentration économique des années 90 mais en plus organisé. Il n’est pas surprenant de voir des PDG être nommés à la tête d’un portefeuille ministériel comme celui de l’énergie (ex-PDG de Shell) ou à la tête d’entreprises comme Aerolíneas Argentinas (ex-PDG de General Motors). On peut également citer le secrétaire à l’agriculture de Vidal qui est l’ancien directeur général de Monsanto, et on pourrait poursuivre la liste des exemples pendant longtemps.

En définitive, après avoir pris le pouvoir, on a vu que le discours basé sur le respect des institutions, sur le slogan « pauvreté zéro » et sur la tentative de remédier à la fracture n’était in fine qu’un discours.

L’histoire argentine montre que le peuple n’a pas pour habitude de rester passif face à un État qui restreint les droits et détériore le climat social.

Il faut rajouter à cela une donnée fondamentale : le kirchnerisme a su fédérer un vrai cercle de sympathisants (les tenants du pouvoir comme les appelle Cristina Kirchner) qui se voient comme le foyer de la résistance pour que Macri ne puisse pas mettre en œuvre son plan néolibéral.

Traduction de l’espagnol par Rémi Gromelle pour Investig’Action

Source : Le Journal de Notre Amérique, Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.