Vanessa Stojilkovic dérange les médias

Invitée par deux associations réunionnaises, la jeune réalisatrice décortique les manipulations médiatiques. Dans son film “Bruxelles-Caracas”, elle montre les regards belges et venezuéliens sur la révolution d’Hugo Chavez. Selon elle, la fracture sociale est largement soutenue par une information inféodée aux plus riches.

3 mars 2007

Le journal de l'île de la Réunion

http://www.clicanoo.com/article.php3?id_article=150275

“Au départ, je n’avais pas prévu de faire un film”. Vanessa Stojilkovic, Française de père serbe, devait juste se rendre à Caracas, la capitale du Venezuela, avec son ami Michel Collon. “J’ai voulu faire un vidéo-trottoir dans Bruxelles, pour montrer ce que les Belges savent de la révolution bolivarienne”. Elle questionne et filme différents passants, réalise le montage. Arrivée à Caracas, elle montre son film aux Venezuéliens, qui ne s’y reconnaissent pas. “Ils étaient très déçus. Ils ont vu que les Belges ne savent pas ce qui se passe au Venezuela. Ils le considèrent encore comme un pays du tiers-monde, avec une vision paternaliste. Pour les Belges, le président Chavez n’est qu’un dictateur populiste et démagogue”. L’idée lui est soufflée d’aller tourner la réplique dans les quartiers de Caracas. Aussitôt dit, aussitôt fait. Vanessa, accompagnée d’un jeune cameraman venezuélien et d’un journaliste, promène micro et caméra, d’abord dans les quartiers les plus pauvres, où tout le monde lui dit le plus grand bien d’Hugo Chavez. “J’ai posé les mêmes questions à tout le monde : quelles sont les réformes de Chavez ? Est-ce que ça a changé quelque chose à votre vie ? Y a-t-il plus ou moins de démocratie qu’avant ? Pourquoi les États-Unis s’opposent-ils à Chavez ?”

“ALLEZ VÉRIFIER TOUT CE QUE JE DIS”

Les mêmes questions, posées dans le quartier chic de San Ignacio, suscitent des réponses totalement différentes. “Les gens nous répondaient en anglais. Ils nous parlaient de Chavez comme d’un fou, d’un dictateur. Ils expliquaient qu’ils souffraient depuis son arrivée : Notre pouvoir d’achat en dollars US a empiré. C’était très tranché”. Le film terminé s’appellera “Bruxelles-Caracas”. Entre les témoignages souriants des gamins pieds nus, ravis d’aller enfin à l’école et d’y déjeuner gratuitement, et les plaintes de personnes frustrées de consommer moins, Vanessa a vite choisi son camp. Non seulement elle veut expliquer cette fracture sociale, mais elle veut surtout montrer aux Européens que les médias ont choisi l’autre camp. D’où l’image de dictature, totalement infondée selon elle, qui est donnée par les journalistes américains et européens. “C’est normal, ils ne vont qu’à San Ignacio”, lâche-t-elle. Dérangeante, la réalisatrice admet que ses films ne passeront jamais dans le circuit commercial. “Quand le film est fini, le travail commence. Car le Venezuela est menacé. Plus on le fera connaître, moins la propagande marchera”. Pour elle comme pour les deux associations réunionnaises qui l’ont invitée (Perspectives du cinéma et L’Association initiatives dionysiennes), il est important de décrypter les manipulations médiatiques qui entretiennent les injustices entre pays riches et pauvres, à Caracas comme ailleurs. Son discours rappelle-t-il le folklore marxiste de l’ex-Europe de l’Est ? Vanessa balaie l’objection : “Allez vérifier tout ce que je dis. Moi, je veux seulement que les gens se posent des questions”.

Véronique Hummel

Projection des films “Les Damnés du Kosovo” (le matin) et “Bruxelles-Caracas” (l’après-midi), suivie de débats. Samedi 3 mars à la médiathèque du Port, de 9 h 30 à 16 h 30. Dimanche 4 mars à la médiathèque de Saint-André, même horaire. Renseignements : 06 92 04 37 77.

“J’ai compris que le racisme se fabriquait”

Sans fard ni vernis. Juste un bijou discret sur des mains blanches, et un visage rond sous des cheveux raides. Vanessa Stojilkovic, 29 ans, observe le monde au-delà des apparences médiatiques. Et ce, depuis un certain mois d’août 1991. L’adolescente se rend avec ses parents en Yougoslavie, pays natal de son père. “Nous traversions la Croatie en voiture. Et là, nous avons croisé des colonnes de réfugiés serbes, roms et croates”. Les vacances terminées, la famille rentre en France, à Valence. Et là, surprise : Vanessa n’entend pas un mot de ces réfugiés, ne voit pas une ligne dans la presse. Puis elle apprend le décès de sa grand-mère serbe, et questionne ses parents. “Ils m’ont expliqué que ma grand-mère diabétique est morte parce qu’il n’y avait plus d’insuline, à cause de l’embargo. Là, je me suis dit : c’est la France qui a tué Mémé. Je vis dans un pays en lequel je n’ai plus confiance”. La jeune Vanessa poursuit son questionnement. Pourquoi des gens qui ont toujours vécu ensemble sont-ils racistes ? “Là, j’ai compris que le racisme se fabriquait. À l’époque, en France, les Serbes ont été accusés de génocide, diabolisés. Un ami m’a dit : “Tu mériterais qu’on te fasse la même chose”. Or, la Serbie n’a pas commis de génocide”. Il y a eu génocide musulman à Srebrenica (8 000 hommes assassinés) ; mais il n’a pas été planifié par l’État serbe, a indiqué la Cour internationale de justice le 26 février dernier.

“MENSONGES MÉDIATIQUES”

Vanessa comprend : l’agressivité de l’entourage découle clairement des actualités télévisées, mal comprises, mais surtout, selon elle, tendancieuses. Dans son entourage, quelques-uns semblent plus lucides : “mes copains musulmans m’ont toujours soutenue. Eux mettaient déjà en doute le discours des médias, car ils savaient qu’on y racontait beaucoup de bêtises sur les pays d’origine de leur famille”. Après un baccalauréat économique, la jeune fille s’oriente vers des études de droit. Un prof la remarque et lui assène : “Si tu veux réellement changer le monde, ce n’est pas avec le droit que tu pourras le faire”. Vanessa abandonne la fac au bout de trois mois, bourlingue. Sa rencontre avec le journaliste belge Michel Collon sera l’occasion d’un nouveau départ. Avec lui, elle décortique les “mensonges médiatiques” dans différents pays. Yougoslavie, Kosovo, Venezuela, Irak, Mali…

V.H.

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