Evo Morales : 63% à la hausse. Pas trop « déçu » ?

Dimanche soir on a fêté jusqu’à tard dans la nuit la victoire d’Evo Morales, avec plus de 63% des voix. Evo Morales est sans doute le Nelson Mandela de l’Amérique Latine. L’arrivée au pouvoir en Bolivie d’un indien, qui se revendique comme tel, qui représente les exclus de 500 ans d’état colonial et qui entreprend des changements profonds dans ce pays, est clairement comparable à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
 

 

Ayant participé pendant ces deux dernières années, avec ma petite goutte de labeur et de passion, aux changements qu’entreprend ce pays, je m’en sens très heureux. Et même, avouons-le, un peu fier.

Dans un pays qui hérite de 500 ans d’état colonial et de bureaucratie importée, organiser et conduire un ouvrage n’est pas chose facile. Des tas de démarches à chaque étape, et chaque démarche est une entrave. Un système construit par deux décennies de néo-libéralisme qui, sous argument “d’efficacité”, réduit l’état à son plus simple appareil, le dépouillant de son devoir de servir l’intérêt général mais conservant les fils de marionnettiste nécessaires au intérêts des puissants. Pourtant dans sa sagesse, le gouvernement d’Evo Morales a donné consigne de respecter la loi et la règle. On changera cela peu à peu, démocratiquement et légalement.

Cela peut être exaspérant pour qui attend des changements plus radicaux. C’est surtout injuste pour qui espère simplement l’équité et la justice sociale. Mais la tactique est claire : face à la violence, la paix, face aux fantaisistes accusations de limitations de liberté, patience et respect scrupuleux de la règle, même sous les insultes et le mépris. Quand on y regarde de près, simultanément aux immenses changements entrepris et malgré les innombrables entraves, ce premier mandat d’Evo Morales est sans doute l’une des plus longues périodes de stabilité du pays depuis des siècles.

L’heure n’est pas au “bilan”, l’heure est à l’engagement, sachant simplement que cette fois-ci nous n’avons plus droit à l’erreur. Ce premier mandat, où l’opposition fait tout ce qui est permis (et ce qui ne l’est pas) pour tenter de renverser ou faire échouer un gouvernement populaire, cette phase de processus constitutionnel, ont donné à ce mouvement sa pleine légitimité institutionnelle et un deuxième mandat franc. C’est maintenant qu’il faudra montrer la capacité de construire un appareil d’état juste et efficace, pour mettre en œuvre les règles et les projets démocratiquement établis.

Comment peut-on alors parler “d’être déçu” ? Pourquoi ce mot incongru à la fin du titre de ces lignes-ci ? Eh bien c’est simple : dans un article du JDD, je me retrouve avec trois autres “expatriés” comme l’un des “décus de Evo Morales”.

 
Après avoir pris soin de parler explicitement avec chacun, j’informe ici que ni Victor Roldán, ni Hervé do Alto, ni Louca Lerch, ni moi-même ne nous considérons comme des “décus d’Evo Morales”. C’est à dire qu’AUCUNE des quatre personnes qui sont interviewées, ne se sentent en quoi que reflétées dans le titre de l’article. 100%, la TOTALITÉ des personnes citées, considèrent leur propos trahis par le titre et par le contenu de cet article mensonger du JDD. Un “attentat idéologique”, me disait Víctor scandalisé, le seul des quatre que je ne connaissais pas jusqu’à ce matin, où je l’ai appelé pour lui demander son avis.

Qu’on le dise et qu’on le répète : AUCUN D’ENTRE NOUS N’EST UN DÉÇU D’EVO MORALES. Et plusieurs, au contraire, nous nous considérons comme de fervents défenseurs et supporters de cette révolution démocratique. Même si les citations sont exactes, elles sont à un tel point sorties de leur contexte et absolument contraires à l’essence de notre pensée, qu’elles constituent des mensonge éhontés et déloyaux.

Vous venez de me lire au sujet de la Bolivie. De plus de deux heures d’interview sur le même ton et avec un contenu similaire, Jean-Baptiste et Julie Mouttet, les deux pigistes en vacances (qui ne parlent pas un traître mot d’espagnol, moins encore d’Aymara ou de Quechua) ne retiennent que trois mots : “une bureaucratie crasse”.

Oui, j’ai probablement dit ces mots. Mais je parlais de la bureaucratie héritée de 500 ans d’état colonial, qui malheureusement sévit encore.

Les systèmes corrompus sont en fait les plus bureaucratiques. Il y a pléthore de règles inutiles et contradictoires. En fait, dans un système corrompu, la règle n’a pas de solution viable. La seule manière de résoudre les choses, c’est de sortir de la règle, par la corruption justement. Et une des immenses difficultés de la situation actuelle, c’est que des fonctionnaires intègres, révolutionnaires, et souvent peu formés, ont le souci et l’instruction d’appliquer cette même règle. Ce système n’ayant pas de solution, et face une lutte drastique contre la corruption, les choses ne se font pas, ou se font moins. Et c’est bien difficile de faire comprendre et faire valoir qu’aujourd’hui ce qu’il faut appliquer en premier lieu, c’est la nouvelle Constitution, approuvée par plus de 62% du vote populaire.

Trois mots sorties de leur contexte, c’est de la malhonnêteté pure et simple

Comment sommes nous tombés dans ce piège grossier ? Avant le rendez-vous, j’avais demandé : “si c’est pour faire un article qui casse du sucre sur Evo Morales, c’est pas la peine, je refuse l’interview”. “Oh ! Non, pas du tout ! D’ailleurs en général on travaille surtout pour Politis”. “On a fait l’école de journalisme”. Et tout un tas d’arguties du même genre pour gagner la confiance.

Même, une fois la pige publiée, ils essaient de passer pour les gentils naïfs : “Nous avons été aussi étonnés que vous en le lisant puisque notre titre était : “Bolivie : le bilan positif mais désillusionné des expatriés”.” Leur texte initial est certes un peu moins grossier, mais à peine. Je ne me sens pas non plus “désillusionné”, je ne me reconnais aucunement dans ce terme “d’expatrié”, et les quelques citations coupées sont tout aussi tendancieuses, décontextualisées et malhonnêtes.
In fine, la tactique derrière leurs questions insistantes est claire comme de l’eau de roche. Les deux pigistes apprentis de la presse de vendeur d’armes, Jean-Baptiste et Julie Mouttet, avaient en fait une commande de la rédaction du JDD : trouver les “expats” déçus (ou “desillusionnés”) de Evo Morales. De préférence quelques gauchos un peu ringard, histoire de continuer de conclure à “la fin de l’histoire”.

Ils les cherchent, mais ne les trouvent pas. Et l’article est pour ce dimanche. Alors tant pis pour la déontologie —faut bien bouffer—, on découpe quelques mots qui vont bien pour que la pige réponde à la commande. D’ailleurs, ils le disent eux-mêmes, en réponse à mes protestations : “Nous ne pensons avoir déformé tes propos, nous les avons seulement sélectionnés en fonction de nos besoins dans l’article.” Édifiant…. Maintenant, la “déontologie”, c’est comme jadis le droit d’auteur (lorsqu’on ne le confondait pas avec les oxymorons de la “propriété intellectuelle”) : ça porte sur la forme, pas sur le fond.

Dimanche, dans le “forum” de l’article, je tente de poster une réaction : “Je suis l’un des interviewés de cet article, qui est un tas de mensonges, et j’exige un droit de réponse, au moins aussi long. La Bolivie effectue actuellement un changement profond, avec une nouvelle constitution, laïque et plurinationale, plus de justice sociale, etc. Contre insultes, mensonges, tentatives coups d’état, racisme et violence, elle maintient paix, démocratie, et libertés.”

Le JDD s’en fout. Même envoyé aux deux pigistes et dans l’espace “abus” du site du torchon, histoire qu’ils puissent vérifier que j’en suis la source, pas de réponse. Un seul commentaire via “3615 Claire” encense l’article :

 
Mardi suivant, alors l’article n’est plus en homepage, s’ajoute un deuxième commentaire, un peu contestataire histoire de faire polémique, mais toujours ignorant allègrement la malhonnêteté journalistique des procédés. Non content de pervertir la vérité, le JDD a la malhonnêteté de refuser un droit de réponse et le mépris de ne même pas y répondre.

Il y a quelques mois, un article dans le Diplo soulignait les ravages de l’absence d’investigation dans la presse d’aujourd’hui. Les journalistes sont évalués à l’abondance, à la régularité et surtout à “l’audience” de leur production – même s’il ne s’agit que de strip tease de blogeur – et non pas sur leur capacité et le sérieux de leur investigation, pilier du journalisme comme quatrième pouvoir s’il en est. Mais c’est peut être bien moins et bien pire que cela : quelle est la proportion du contenu de la presse qui n’est qu’un mensonge éhonté, construit selon un procédé où la conclusion conforme aux intérêts suprêmes des patrons du journal est posée d’avance, et dans laquelle il s’agit, coûte que coûte, contre tout critère d’étique et d’honnêteté, de trouver les justifications qui serviront ces intérêts ?

On peut même se demander quel besoin ils ont de payer des pigistes, quel besoin ils ont d’interviewer des vraies personnes, quelle différence il y a à tout simplement tout inventer ? Le risque d’un procès en diffamation ? Non, ne me faites pas rire…

Peut-être ces justifications sont-elles du même ordre que celles qui conduisaient l’inquisition – et qui conduit encore plus d’un pouvoir fasciste – à chercher coûte que coûte “des aveux”. Même obtenus sous la torture, même construits de toute pièce par des conjonctures de piège plutôt que d’investigation et d’intime conviction de juges impartiaux, des aveux et des preuves restent importants pour les aspirants maîtres du monde qui confondent la vérité et le théâtre de leurs mensonges. Étrange espèce humaine…

 

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