Travail & environnement : « Il n’y a pas d’emplois sur une planète morte »

On ne le sait pas assez, mais les syndicats jouent un rôle important dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils étaient présents en masse aux sommets sur le climat de Copenhague, Paris et Bonn. Comme l’explique Bert De Wel, représentant de la CSC à la Coalition pour le climat, une base sociale solide est indispensable pour réaliser les grands changements nécessaires à la transition climatique.

 
On pense souvent que le syndicalisme et le militantisme écologique sont difficilement compatibles. Qu’en pensez-vous?
 

Bert De Wel. Cela dépend de ce qu’on entend par « militantisme écologique ». Heureusement, dans notre pays, les militants de l’écologie se préoccupent aussi de justice sociale. Ils comprennent que, si l’on veut protéger la planète, il faut le soutien de tout le monde dans la société. Dans notre travail syndical, nous défendons les intérêts de tous les travailleurs et de leur famille. Le réchauffement climatique est un des plus grands enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés. Nous devons y répondre. Notre slogan fondamental est « Il n’y a pas d’emplois sur une planète morte ». Ce sont d’ailleurs les travailleurs pauvres et leur famille qui, déjà aujourd’hui, sont les victimes du réchauffement climatique alors qu’ils n’en sont pas responsables. Par exemple, les paysans africains, ou des habitants d’Asie du Sud-Est et des Caraïbes qui ne peuvent pas se payer des maisons solides. Ce que nous voulons absolument éviter, c’est que l’on oppose la protection de l’environnement et l’emploi, que des travailleurs soient contraints d’accepter des boulots néfastes à l’environnement. Avec notre concept de « transition juste », nous plaidons pour un emploi digne pour tout le monde dans une économie protégeant l’environnement.

Ces deux objectifs sont parfaitement compatibles, et ils sont tout à fait réalisables si les gouvernements mènent une bonne politique, qui respecte la concertation sociale, écoute le mouvement de défense de l’environnement et demande à tous les acteurs concernés (travailleurs, PME et entreprises) de contribuer à la transition vers une économie durable.

 

Lors des négociations climatiques de Copenhague en 2009, la forte présence de syndicalistes belges dans la grande manifestation pour le climat avait été très remarquée, entre autres par la presse danoise.

 

 Ce n’est pas étonnant. Les syndicats travaillent depuis longtemps à réconcilier emploi et écologie. Du côté néerlandophone, l’ASBL Arbeid en Milieu (emploi et environnement), une association regroupant les trois syndicats et l’association environnementale Bond Beter Leefmilieu, existe depuis 1987. En 2009, tout le monde a compris qu’il y avait une vraie possibilité que les dirigeants politiques se mettent à avancer dans la direction d’une politique climatique. Les politiciens n’agissent que lorsqu’on leur met la pression. La CSC avait alors mobilisé ses membres pour descendre dans la rue. Malheureusement, le monde politique n’a pas suivi et il a fallu encore six ans, jusqu’à la conférence de Paris, avant d’obtenir une avancée significative. Il n’y a d’ailleurs pas que lors de la conférence de Copenhague que nous avons été actifs. La CSC a toujours encouragé les manifestations pour la protection du climat, tant dans notre pays que lors des grandes conférences à l’étranger.

 
Les syndicats belges ont d’ailleurs été dès le début, en 2007, des piliers de la Coalition belge pour le climat…

 

Rendons à César ce qui appartient à César : c’est avant tout le milieu écologiste et des organisations Nord-Sud qui sont les piliers de la Coalition. Dans les syndicats, nous nous efforçons surtout d’informer les gens et de les mobiliser. Nous apprécions énormément que la Coalition Climat prenne en compte l’aspect social du problème. On a pu le constater lors de la récente campagne disvestment (désinvestissement) qui appelle les banques à stopper leurs placements dans les secteurs fossiles. Nous en avons parlé explicitement avec nos membres au sein des entreprises.

 

En juin 2010, la Confédération syndicale internationale (CSI) a tenu un important congrès sur le climat à Vancouver. Depuis, vous travaillez systématiquement à la convergence entre lutte sociale et lutte écologique

 

Lors de ce 2e congrès de la CSI en 2010, une résolution historique sur le climat a été prise pour que tous les syndicats dans le monde mettent à leur agenda le concept de « transition juste ». Ce n’était pas juste de belles paroles, les acteurs syndicaux sont réellement mis au travail, tant dans les pays riches d’Europe et d’Amérique du Nord que dans les pays pauvres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Chacun l’a fait à sa manière, en tenant compte des spécificités de son pays. Il ne faut pas oublier que, dans certains pays, on assassine toujours des syndicalistes et des militants  écologistes, comme Berta Caceres en 2016 au Honduras.
 

À Bonn, la CSI a organisé avec d’autres une conférence intitulée « Travail décent sur une planète vivante ». Qu’entendez-vous par « travail décent » ?

 

Un travail décent respecte les droits des travailleurs : la liberté de s’organiser, de protester ou de participer via des négociations collectives aux décisions ayant un impact sur leurs conditions de travail. Chaque travailleur, quel que soit son statut,  doit pouvoir obtenir ces droits fondamentaux, surtout les travailleurs pauvres, ceux des secteurs défavorisés, ceux de l’économie informelle. L’Organisation internationale du travail OIT), une agence des Nations unies, a établi les critères définissant la notion de « travail décent ». Chacun de ces pays, en accord avec les syndicats et les représentants du patronat, sont censés veiller au respect de ces normes. Cela n’est pas toujours évident.

L’OIT définit ainsi le travail décent : un travail librement choisi ; un salaire suffisant pour assurer la subsistance d’une famille ; le respect des droits fondamentaux du travailleur comme le droit de s’organiser et de mener des négociations collectives ; la protection sociale ; le dialogue social ; l’égalité entre hommes et femmes.

 

La notion de « transition juste » est aussi très importante dans le débat.

 

Pour les syndicats, il est fondamental que la conférence de Paris ait reconnu explicitement le rôle des travailleurs dans la politique climatique. L’Accord de Paris évoque l’importance du « travail décent » et la nécessité de créer de tels emplois. Nous attendons donc de tous les pays qu’ils réfléchissent à l’impact de leur politique climatique sur l’emploi. Nous leur demandons de prendre celui-ci explicitement en compte dans leurs décisions de politique climatique. Quels emplois seront créés ? Des emplois vont-ils disparaître ? Quels seront les travailleurs qui seront mis en difficulté si la température augmente encore ? Les plans nationaux pour le climat doivent présenter des réponses à toutes ces questions.

Lors du congrès de la CSC à Ostende les 23 et 24 novembre 2017, et d’ailleurs aussi lors d’autres congrès, nous avons clairement signifié ce que nous entendons par « transition juste » : « Les  défis sociaux et climatiques doivent être affrontés ensemble. Le progrès social dépend de la protection de l’environnement et des richesses naturelles. Cinq aspects sont importants pour réaliser cette transition :

1. Ce n’est que par une concertation sociale à part entière au sein des entreprises, au niveau régional et national, qu’une base peut être créée. Cela signifie que le patronat et les gouvernements doivent impliquer les travailleurs dans les décisions politiques.

2. Une protection sociale solide est indispensable. La transition durable de notre économie entraîne des changements considérables dans le monde du travail. Elle ne peut être réalisée que si les travailleurs sont assurés de bénéficier d’un système solide de protection sociale incluant les indemnités de chômage, l’assurance-maladie, etc.

3. Tous les emplois doivent être des emplois à part entière et décents.

4. Tous les travailleurs doivent avoir accès à la formation et à la reconversion sans perte de salaire pour pouvoir s’adapter aux innovations technologiques et aux évolutions de la société.

5. Tous les secteurs, y compris le service public, doivent s’engager dans la voie de la transition juste. Un programme de transition doit être établi dans chaque secteur, en concertation avec le patronat et les syndicats, avec une analyse de son évolution future, les étapes pour y arriver et en prenant en compte les préoccupations sociales. Dans ce cadre, il faut des plans d’investissements ambitieux, dirigés par les pouvoirs publics. »

 

La lutte contre le réchauffement climatique exige que l’on mène d’importants changements dans l’industrie et dans la société. Le syndicat veut que personne ne reste sur le bord de la route. Il ne s’agit pas seulement de nouveaux emplois dans l’industrie verte, mais aussi des dizaines de milliers d’emplois existant dans l’industrie actuelle : la pétrochimie, la métallurgie… qui pèsent très lourd dans l’addition carbone de la Belgique.

 

Prendre au sérieux le défi climatique implique des changements radicaux dans les secteurs utilisant les combustibles fossiles. Cela signifie par exemple que, vu le niveau actuel de nos connaissances technologiques, nous devons arrêter au plus vite d’utiliser le charbon comme source d’énergie. À terme, il n’y a plus aucune perspective à investir dans ce secteur. Et comme, en tant que syndicats, nous ne voulons laisser personne au bord de la route, il faut une solution sociale juste pour chaque travailleur. Ces solutions existent, c’est juste une question de volonté politique et, surtout, de faire en sorte qu’il y ait une pression sociale suffisante pour qu’il y ait cette volonté politique.

Par ailleurs, nous ne faisons pas de différences entre les emplois « verts » ou « bruns ». De toute manière, vu le défi auquel nous faisons face à brève échéance, tous les emplois devront devenir verts. Toutes les activités économiques doivent aller dans le sens des objectifs de durabilité. Les emplois du secteur « brun » ne peuvent échapper à cette évolution. Notre préoccupation majeure est de faire en sorte que tous ces emplois verts soient aussi des emplois décents, avec de bonnes conditions de travail, avec un soutien syndical, sans discrimination, etc. Nous refusons la flexibilité à la Über, comme on la voit apparaître dans certains secteurs de l’économie. Se battre pour des emplois stables et décents dans les nouveaux (et anciens) secteurs est crucial pour donner une chance à la transition vers une économie durable pauvre en rejet de carbone. Sans fondements sociaux solides, il n’y aura pas la base pour réaliser les changements nécessaires à la transition. Et les syndicats sont ici un partenaire crucial.

 

Source : Magazine Solidaire de janvier 2018Abonnement.

 

Camarades, Je demande la parole !

 

Eux n’hésitent pas : loi travail, négociations secrètes TTIP, retraites à la casse, chômeurs exclus en masse. Dans une Europe du fric, qui n’a jamais voulu être sociale. Et en face ? Du côté des travailleurs ? D’abord, malgré tout, cette très bonne nouvelle : le peuple est dans la rue, partout en Europe et au-delà. Debout.

 

 

Mais quelle sera, demain, la place des syndicats? Cogérer la misère imposée, de recul en reculade ? Ou bien renouer avec les glorieuses traditions de résistance ?

Camarades, je demande la parole ! propose des pistes pour rénover, démocratiser et moderniser le syndicalisme. Afin de ne pas rater le rendez-vous avec la jeunesse agressée, mais révoltée aussi et en recherche. Elle a droit à un avenir.

 

ACHETEZ LE LIVRE :
CAMARADES, JE DEMANDE LA PAROLE !

 

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.