Secret des affaires ou droit à l’information ?

Le 18 avril, les parlementaires français sont appelés à voter la loi du Secret des affaires. Dans une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, un collectif citoyen regroupant des lanceurs d’alertes, des syndicats, des associations, des journalistes et des chercheurs, apparente cette loi à une “arme de dissuasion” qui aurait pour effet “d’inverser les principes républicains : le secret devient la règle, et les libertés des exceptions”. Pour connaître l’enjeu de cette loi controversée, nous avons interviewé Hacène Hebbar, coordinateur de l’ONG Pollinis et porte-parole de l’initiative Stop secret d’affaires.

 

Vous faites partie d’un collectif assez large, qui alerte sur l’enjeu de cette proposition de loi dite du “secret des affaires”. Est-ce que le point de vue des citoyens qui en font partie a été entendu ?

 

En 2015, lorsque cette directive est apparue, il y a eu en France plus d’un million de citoyens qui se sont élevés. Il y a eu par exemple un collectif qui s’appelle “Informer n’est pas un délit” qui regroupe des journalistes issus de tous les médias. Aujourd’hui, notre collectif est formé par plus de 52 associations : sociétés de rédaction, syndicats, ONG, chercheurs, etc.

En tant qu’ONG, nous à Pollinis, qui travaillons avec des infos sur les homologations, savons que cela va nous obliger à les considérer comme de la dynamite, de la nitroglycérine ! On ne saura jamais vraiment si ces infos sont protégées ou pas par la loi du secret des affaires.

 

Dans un récent communiqué, vous avez dénoncé un “revirement” de la part des gouvernements successifs français au sujet de ce projet de loi. Pourriez-vous revenir là-dessus?

 

Il y a 2 ans, dans la Loi Macron, du nom de celui qui est devenu président entre-temps, il y avait eu un “amendement cavalier” qui visait justement à produire la notion du “secret d’affaires”. Et il l’a retirée de sa proposition de loi, en disant qu’il n’en voulait pas. Et 2 ans plus tard on voit revenir ça !

Ce qu’il faut savoir, c’est que cela fait très longtemps que les lobbies et les multinationales travaillent sur la notion de “secret d’affaires”. Aujourd’hui, ils la font passer dans une procédure accélérée. Elle avait été retirée, et aujourd’hui cela devient une proposition de loi qu’il faut absolument voter tout de suite sans aucune étude d’impact. On ne comprend pas ce revirement…

 

Comment cette directive a-t-elle réussi à prendre le dessus sur le droit français ?

 

C’est une procédure qui a été très rapide, pour laquelle il n’y a pas eu de débat. En fait, 80% du corps législatif européen est fait de transpositions des directives ou des règlements. L’Europe crée des directives ou des règlements qui ensuite sont transposés au niveau national partout, dans tous les pays.

 

Alors, qu’est-ce qu’elle apporterait de nouveau ?

 

En France, il y a aujourd’hui déjà beaucoup de lois ou de règlements autour de la protection des affaires : sur la propriété intellectuelle, les brevets, les clauses de non-concurrence… il y a déjà énormément de choses !

Ce qu’elle introduit, c’est la notion de “secret d’affaires” dans sa globalité, sans la préciser, de sorte qu’elle devient très floue. En plus, lorsque cette directive a été élaborée au niveau européen, la Commission a uniquement auditionné des multinationales. Ils ont oublié les ONG, les chercheurs, plein de gens !

Par conséquent, nous pensons que cette directive ne sert pas forcément à protéger les PME ou les opérateurs économiques entre eux – comme elle le prétend – mais à les protéger du reste de la société !

Les ONG ne sont pas des opérateurs économiques concurrents. Les journalistes, les chercheurs non plus. Donc il suffit de l’écrire ! Et si un journaliste ou une ONG travaille ou publie des informations pour la concurrence, alors c’est facile pour la partie poursuivante de le prouver !

 

Quelle menace représente-t-elle concrètement pour la société ?

 

En fait aujourd’hui avec la notion de “secret d’affaires” il va y avoir des menaces à deux niveaux : la première c’est que, comme le dit le sénateur Frasse, rapporteur de la loi au Sénat, c’est une notion floue. Et ce flou permettra aux entreprises de déclencher des procédures qu’elles ne vont peut-être pas gagner, mais qui vont user les rédactions, les ONG, les chercheurs…

Et cela veut dire qu’à terme il y aura des bâillons qu’on va se mettre sur la bouche. Car en permanence on va se poser la question : est-ce que cette information, cette donnée pourrait être couverte par cette loi sur le Secret des affaires et est-ce qu’on va se faire attaquer juste parce qu’on détient cette information ?

C’est une menace pour tous les journalistes et tous ceux qui travaillent sur des sujets délicats, dont les entreprises ne veulent pas entendre parler. Franchement, il n’y a jamais eu de scandale lié aux PME : ce sont les multinationales qui vont déclencher des procédures pour se mettre à l’abri ! Le danger, c’est d’avoir une société bâillonnée. Pour préserver le secret des affaires, on ne préserve plus l’intérêt public ? C’est cela la vraie question.

 

Et comment comptez-vous continuer à mobiliser autour de cette question ?

 

Là, nous sommes en train de faire circuler une pétition Stopsecretdaffaires.org, qui réunit déjà aujourd’hui 350 000 signataires. Et cela pour un sujet qui n’est pas pour l’instant un sujet très public !

Pourtant, les autorités ne tiennent pas compte de cela, ni du travail qui a été fait depuis 2 ans par les juristes et les avocats. Lorsqu’on leur soumet ce travail, et qu’on leur demande : “D’accord, dites-nous alors ce qui vous empêche de limiter cette loi aux seuls opérateurs économiques concurrents.”, la seule réponse que l’on obtient est la suivante :”c’est une directive, nous sommes contraint de la transposer à minima”.

Mais une directive lie les États quant à l’objectif à atteindre et non aux moyens d’y parvenir. Et notre demande respecte l’esprit de la directive, contre le pillage économique. 

Le champ d’application de la loi doit porter sur les seuls opérateurs économiques concurrents, ainsi, l’intérêt général, celui de de tout le monde sera protégé !

 

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