Qui sème le terrorisme en Libye récolte les attentats à Manchester, Londres…

Depuis l’odieuse attaque de Manchester le 22 mai 2017 à la sortie d’un concert, tout le monde a compris que les choses ne sont pas aussi cloisonnées que l’on voudrait nous le faire croire.

 

Les rebelles traquant Mouammar Kadhafi, photo DR

 

Selon le principe de cloisonnement cher à la propagande de guerre et ses relais médiatiques, les choses ne sont pas liées entre elles. Il y a les riches d’un côté et les pauvres de l’autre. Il y a les démocrates et les autocrates, les civilisés et les barbares. Il y a des guerres humanitaires préventives pour empêcher un dirigeant de massacrer sa population civile d’un côté et de l’autre, les attaques des fanatiques qui, en « loups solitaires », s’en prennent à « notre civilisation ». Ce principe de cloisonnement à l’infini vise à brouiller la compréhension de la complexité et de l’imbrication des événements qui constituent notre vie de tous les jours.

Peut-il y avoir un lien entre une guerre impérialiste maquillée en intervention humanitaire dans un coin de l’Afrique ou d’Asie et une attaque terroriste dans une grande ville occidentale ? Depuis l’odieuse attaque de Manchester le 22 mai 2017 à la sortie d’un concert, tout le monde a compris que les choses ne sont pas aussi cloisonnées que l’on voudrait nous le faire croire. En effet, Salman Abédi, l’auteur de cet attentat suicide est le fils d’un Libyen que l’Angleterre et ses alliés de l’OTAN ont utilisé pour renverser, puis tuer le Guide libyen Mouammar Kadhafi.

 

La Libye et l’effet boomerang

 

Six ans après l’intervention occidentale en Libye ayant eu pour conséquences l’assassinat de Mouammar Kadhafi et la transformation du pays en no man’s land, il est clairement établi que l’objectif n’était pas de « sauver un peuple menacé de génocide » par son propre leader. Pour renverser le Guide libyen, plusieurs scénarii furent utilisés et les grandes démocraties ont été impliquées dans toutes sortes de basse manœuvre. Les USA, la France et la Grande Bretagne ont usé de tous les moyens pour assassiner Kadhafi, dans l’optique de mettre la main sur les immenses puits de pétrole du pays.

Le 21 octobre 2010, la France joue sa partition : ce jour-là, le chef du protocole de Mouammar Kadhafi se rend à Paris. Officiellement, il vient pour une visite médicale. Fait curieux pour une consultation chez le médecin, Nuri Mesmari arrive à Paris avec toute sa famille. Seconde curiosité, il ne rencontre pas de médecin. Il aura plutôt des séances de travail avec les agents des services secrets français et rencontrera certains proches du président d’alors, Nicolas Sarkozy. Le 16 décembre, il conduit une délégation qui se rend à Benghazi et qui rencontre – entre autres – Abdalah Ghani, un colonel libyen que Mesmari a présenté comme étant prêt à déserter les rangs de l’armée nationale.

Dans le renversement de Kadhafi, l’homme des USA s’appelait Khalifa Hifter. Colonel de l’armée, il a décidé de déserter pour aller s’installer en Virginie. Il bénéficiera de l’appui du NED (National Endowment for Démocracy) et sans doute de la CIA pendant ses 20 ans d’exil étasunien. C’est lui qui dirigeait les opérations militaires du Conseil National de Transition libyen.

Avant l’attentat de Manchester, peu de personnes étaient au courant de la participation des combattants partis d’Angleterre pour aller combattre en Libye et tuer Kadhafi. Ceux qui en parlaient étaient présentés comme des complotistes, des défenseurs d’un dictateur – dont l’assassinat a été présenté comme un acte de salut public. Depuis le 22 mai 2017, après 22 morts, les médias qui hier occultaient l’appui du Royaume-Uni aux insurgés, voire aux terroristes pour renverser Mouammar Kadhafi, sont obligés de rétablir les faits.

Manchester : 22 innocents tués par un terroriste bien connu

 

En trois mois, la Grande-Bretagne a été la cible de trois attentats. Il y a eu Westminster le 22 mars, Manchester le 22 mai et Londres le 3 juin. Après l’attentat qui a fait 56 morts en 2005, celui de Manchester (22 morts et 116 blessés), devient le plus meurtrier. Mais qui est ce Salman Abedi, auteur du carnage ?

Né en 1994 à Manchester, il est le fils de Ramadan Belgassem. Pour comprendre l’agressivité de Salman Abédi, il faut remonter le passé de son géniteur : début 1990, alors employé des forces de sécurité de la Libye, Ramadan Belgassem participe à l’un de ces nombreux coups d’Etat contre Kadhafi. La tentative ayant échoué, il prend le chemin de l’exil en Arabie Saoudite. Deux ans plus tard, il s’installe en Angleterre avec sa famille.

En 1993, le couple donne naissance à un enfant, Ismail Abédi. L’année suivante Salman vient au monde. La famille est réputée très pieuse. Lorsque les soulèvements contre Kadhafi se déclenchent en 2011, Ramadan retourne au pays natal. Non pas pour servir l’armée qui l’a employé et payé, mais pour combattre aux côtés des insurgés qui comptent beaucoup d’islamistes dans leurs rangs. La guerre contre la Libye fut atroce.

Officiellement, tout commence avec le renversement du président tunisien Ben Ali. La vague de protestation se propage vers l’Egypte et y emporte le Raïs, Hosny Moubarak. On parle de Printemps arabes. En mars 2011, la Libye entre en ébullition. Une partie de la population descend dans la rue pour exiger le départ de Mouammar Kadhafi à la tête du pays depuis 1969. Contrairement à la Tunisie et l’Egypte, les insurgés libyens sont armés jusqu’aux dents. Après une visite du « philosophe » médiatique français Bernard-Henry Lévy en Libye, l’insurrection devient une guerre ouverte.

Menacé d’éclaboussures par la famille Kadhafi qui dit avoir financé sa campagne électorale en 2007, Nicolas Sarkozy fait de l’assassinat de Kadhafi une affaire personnelle. Grâce à un lobbying intense, il réussit à convaincre Barack Obama et David Cameron de s’engager en Libye. Il obtiendra d’ailleurs une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour créer une zone d’exclusion aérienne.

Le résultat, on le connaît : la résolution onusienne est transformée en licence pour tuer le Guide libyen. Assassinat de Kadhafi et de ses proches, destruction des infrastructures de développement du pays, etc. Les soldats étrangers, faisant front commun avec les islamistes, mettent la Libye à sac. Malgré les gestes d’ouverture faits par Mouammar Kadhafi et les propositions de négociation faites par l’Union Africaine, le trio guerrier de l’Otan oppose une fin de non-recevoir.

 

David Cameron nommément indexé

 

Kadhafi et son régime ne faisait pas de la liberté des citoyens sa principale préoccupation. Et il n’envisageait pas de laisser le pouvoir de sitôt. De quoi susciter le courroux légitime de certains Libyens. C’est d’ailleurs sur cette vague que les détracteurs du Guide libyen vont surfer pour rallier l’opinion internationale à sa traque. Et pour l’assassiner, les USA, l’Angleterre et la France au moins, soutiendront activement ou passivement les islamistes.

Après l’intervention de l’Otan en Libye, et face aux critiques qui fusaient, le parlement britannique a créé une Commission d’enquête pour savoir si le Premier ministre d’alors, David Cameron, n’avait pas engagé l’armée anglaise pour un dessein inavoué en Afrique. Le rapport de cette Commission d’enquête (une cinquantaine de pages) a été rendu public courant septembre 2016 et les enquêteurs y relèvent cinq objectifs visés par un Nicolas Sarkozy qui a embarqué David Cameron dans son expédition africaine :

1-S’emparer d’une plus grande part de la production libyenne de pétrole
2-Accroître l’influence française en Afrique du Nord
3-Améliorer la situation politique personnelle de Nicolas Sarkozy en France
4-Permettre à l’armée française de réaffirmer sa position dans le monde
5-Répondre à la volonté de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique francophone

Le rapport précise que “des solutions politiques auraient dû être explorées”. Pour les parlementaires britanniques, David Cameron et Nicolas Sarkozy auraient dû savoir que les djihadistes allaient chercher à profiter du chaos en perspective. La montée du terrorisme et des trafics divers dans le Maghreb et en Europe est une des conséquences du chaos qui règne en Libye depuis six ans. A cela, il faut ajouter l’augmentation du nombre des migrants qui arrivent en Europe lorsqu’ils ne se sont pas noyés en mer.

 

La mondialisation du terrorisme

 

Jadis l’un des pays les plus stables du continent – avec un taux de scolarisation, de couverture santé, et de développement largement au-dessus de la moyenne -, la Libye est devenue, six ans après l’intervention de l’Otan, un véritable Far West. Les êtres humains y sont vendus tels des moutons en 2017 ! Jouant autrefois le rôle de filtre des immigrants qui entendent gagner l’Europe, la Libye est devenue une terre de transit privilégiée pour les candidats à l’immigration, les passeurs y ayant élu domicile. La Libye est surtout devenue un champ de recrutement, d’entrainement et de recyclage pour les groupes terroristes.

Les djihadistes de tous âges y vont faire leurs armes avant d’aller semer la mort à travers le monde. Le parcours du tueur de Manchester confirme ce statut de la Libye comme terre de prédilection des terroristes. Faute d’Etat doté d’institutions capables de surveiller l’ensemble du territoire et ce qui s’y fait, la Libye accueille désormais les terroristes du monde entier.

Après le 11 septembre 2001 aux USA et à Londres en 2005, l’Afrique et le Proche- Orient étaient devenus les principales cibles, et donc les victimes du terrorisme. Mais depuis trois ans, la donne a changé et on assiste à une véritable « mondialisation » du terrorisme.

Source : Investig’Action


Jihad made in USA

Au moment où le Moyen-Orient s’embrase dans une guerre sans fin,
cet ouvrage interroge : quels sont exactement les liens entre USA
et « jihadistes » ? Crucial, car ce conflit va déborder sur l’Europe,
l’Afrique, la Russie, voire la Chine.

Acheter le livre sur notre boutique en ligne

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.