Quand un ministre des Finances aide les fraudeurs, les médias en parlent-ils?

Marco Van Hees est licencié en sciences politiques, fonctionnaire au ministère des Finances et journaliste. En avril 2007, il a publié un livre au titre explicite : "Didier Reynders, L'homme qui parle à l'oreille des riches". Que nous apprend ce livre ? Voici la réponse en quelques éléments, parmi beaucoup d'autres (étayés de page en page par un type qui travaille aux Finances, et donc qui s'y connaît) :

– Carmeuse, dont Didier Reynders a été administrateur, a payé, en 2005, 0,8 % d'impôts (moi, plus de 50 %). Et vous ?

– Didier Reynders est, depuis longtemps, proche de l'actionnariat de MRTL (du coup, il y a des "coïncidences" que l'on comprend mieux) ;

– Didier Reynders préside le Golf Club Liège Bernalmont, créé sur le site de l'ancien charbonnage de la Grande Bracnure ;

– Désolé pour la pression fiscale dont Didier Reynders tonne qu'elle a diminué : selon Belgostat, les recettes fiscales atteignaient 30, 4 % du PIB en 1999, et 30,9 % du PIB en 2005 (notamment par le jeu de la multiplication des petites taxations en tous genres) ;

– les centres de coordination créés par le libéral De Clerck ont notamment permis aux multinationales de réaliser des gains d'impôts en millions d'euros, mais aussi de présenter de leurs filiales belges l'image financière la mieux adaptée à leurs stratégie interne, peu importe la réalité des chiffres. La fraude "légale" ainsi permise par le recours aux centres de coordination s'élevait, en 2002, à 84 milliards de francs belges ;

– lorsqu'on cumule les différents avantages accordés aux grandes entreprises avec la bénédiction de Didier Reynders, on aboutit à une situation dans laquelle plus de la moitié des bénéfices de celles-ci n'est tout simplement pas taxable ;

– tout en reportant à 2010 la fin des centres de coordination pourtant exigée par l'Europe, Didier Reynders a créé la technique des intérêts notionels, dont les conséquences en termes de pertes de rentrées d'impôts fut initialement évaluée à 500 millions d'euros par ab, les fiscalistes estimant cependant que ce devrait être infiniment plus ;

– que, grâce à la technique dite de l'immunisation des réserves … immunisées (cela paraît fou, mais le livre explique clairement les choses), Didier Reynders a offert à Electrabel un gain fiscal de 178 millions d'euros, Electrabel dont l'auteur relève que la maison-mère a pour premier actionnaire le milliardaire Albert Frère, ami personnel de Didier Reynders ;

– que, dans le cadre du plan de sell-and-lease-back des bâtiments publics (méthode qui consiste à vendre des bâtiments pour les louer aussitôt à ses nouveaux propriétaires, la vente se faisant sous prétexte de faire rentrer immédiatement des montants dans les caisses de l'Etat, tout en soulageant celui-ci des frais d'entretien de ce qui a été vendu) tel qu'établi par Didier Reynders, le gouvernement aura déjà déboursé, en 2017, au titre de locations, 76 % des montants qu'il aura reçus à fin 2006 pour la vente des bâtiments aux nouveaux propriétaires … qui les lui louent ;

– que Didier Reynders a vendu, pour 27,1 millions d'euros, la Cité administrative de l'Etat dont le prix avait été estimé à 74 millions d'euros, que la Tour des Finances a été vendue sans estimation préalable et que le consultant extérieur auquel Didier Reynders a fait appel pour accompagner la vente des bâtiments publics a été payé 815.000 euros, au lieu des 372.000 euros initialement annoncés ;

– que les cent plus grosses fortunes du Royaume détiennent ensemble 51,5 milliards d'euros et qu'il faut additionner les avoirs de 2.285.174 Belges les moins riches pour atteindre le même montant ; que, par contre, les plus grosses fortunes ne sont pas imposées comme elles le devraient et que, si elles l'étaient, cela rapporterait à l'Etat 816 millions d'euros, soit le double du montant nécessaire pour rendre l'ensemble du trafic voyageurs sur le réseau ferroviaire belge totalement gratuit ;

– que, prenant en considération l'ensemble des taxes auxquelles chacun est soumis, on se rend rapidement compte qu'un travailleur qui gagne 1500 euros net par mois a un taux final de taxation de 51,24 % … contre 5,28 % pour un propriétaire et actionnaire de société s'attribuant une rémunération anneuelle d'un million d'euros – exemple qui s'explique notamment par le fait que nombre de taxes sont forfaitaires et n'évoluent donc pas avec le niveau de salaire, et que le propriétaire-actionnaire peut faire prendre en charge par sa société des séries de choses que le simple travailleur doit assumer seul sans que la moindre déduction ne lui soit accordée à cet égard) ;

– que les méfaits des fraudeurs en Belgique coûtent chaque année 30 millards d'euros au Trésor belge, soit 7.000 euros par ménage ; que,dans le même temps, l'administration fiscale se trouve dépeuplée (- 958 emplois depuis 2004 et on annonce un seul remplacement pour deux départs à partir de 2009)et en manque constant de moyens techniques ;

– au rayon des présumés profiteurs, que les 10 % les moins riches de la population sont responsables de 0,1 % de la perte fiscale due à la fraude, tandis que les 10 % des plus riches sont responsables de 57, 4 % de cette même perte fiscale due à la fraude ;

– que, laissant échapper à l'impôt les 3 milliards de bénéfice réalisés par les holdinds d'Albert Frère en 2004 et 2005, l'Etat s'est privé d'un milliard d'euros de rentrées fiscales, permettant aux groupes GBL et CNP de payer 4.274 euros d'impôts (chacun de nous connaît donc une longue liste de petits indépendants qui paient chaque année davantage d'impôts que ces groupes milliardaires) ;

– qu'eu égard au personnel du Ministère des Finances, désormais, une entreprise a une chance d'être contrôlée une fois tous les septante-et-un ans (je l'écris en toutes lettres, parce que si je l'avais écrit en chiffres, vous auriez pu croire à une erreur de frappe) ;

– que, selon une enquête récemment menée par la CSC auprès de 3.613 fonctionnaires des Finances, 70 % des personnes interrogées dénoncent, je cite, un management déficient du département.

Voilà, tout ce qui précède est dans le livre, lequel en dit beaucoup plus encore, livrant chaque fois – c'est utile de le rappeler – l'explication de ce qu'il indique, souvent même, tableaux à l'appui.

Imaginez une seule seconde un livre pareil sur un ministère géré par un socialiste ; imaginez une seule seconde le bruit médiatique fait parfois autour d'un seul élément dans d'autres dossiers. Ici, nous avons une collection de faits stupéfiants, mais vérifiés. Et vous en entendez parler ? Non ! Vous avez lu des Une et des pages entières de journaux pour évoquer ce livre ? Non ! Olivier Maroy et Pascal Vrebos ont consacré à ce livre des heures d'antenne de leur émission dominicale ? Non ! La presse a publiquement demandé à Didier Reynders de s'en expliquer ? Non, ou alors vraiment très discrètement ! Vous avez vu ce livre dans les vitrines de vos librairies et en tête de gondole de vos supermarchés ? Non, mille fois non.

Dans le même temps – et il est clair qu'il faut dénoncer la moindre faute, et la punir, où quel se produise -, on a publié des centaines de pages de journaux, barré des centaines de Unes, réalisé des centaines d'heures d'antenne sur quelques vieux échevins et une caisse noire (punissable par nature) d'une trentaine de milliers d'euros. C'est important, une trentaine de milliers d'euros. C'est tout de même un millionnième de la fraude fiscale annuelle contre laquelle Didier Reynders ne trouve aucune inspiration.

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