Philippines: le Président Duterte pour les nuls (4/4)

Il est tellement haï par les ‘élites’ et par l’Occident que cela semble un miracle qu’il soit encore en vie et aux commandes…

 

Qui déteste Duterte et qui a peur de lui ?

 

Comme nous l’avons démontré plus haut, l’Occident le hait et surtout ceux qui, là-bas, essaient de déclencher la guerre contre la Chine et la Russie. Duterte admire ces deux pays, disant que la Chine a « l’âme la plus aimable », tout en admirant ouvertement le président russe Vladimir Poutine. « (les Russes) n’insultent pas les gens, ils ne font pas d’ingérence », a déclaré Duterte.

Les grandes compagnies multinationales le détestent, en particulier les énormes conglomérats miniers qui opéraient aux Philippines pendant des années et des décennies, assassinant des milliers de Philippins sans défense, pillant les ressources naturelles et ravageant l’environnement. Le président Duterte met un point final à un tel chaos féodal et fasciste.

Il est haï par les médias de masse, chez lui et à l’étranger, pour des ‘raisons évidentes’.

Il est haï par de nombreuses ONG, locales et internationales, souvent parce qu’elles sont tout simplement payées pour le haïr, ou parce qu’elles sont sincères mais mal informées de la situation ‘sur le terrain’ (dans son pays) ; ou encore, tout bêtement parce qu’elles ont l’habitude de garder les œillères occidentales pour juger ce qui se passe aux quatre coins du monde.

Certaines victimes de la dictature de Marcos le détestent, mais pas toutes, assurément. De nombreux ‘activistes’ de la période actuelle ont, en fait, des liens trop étroits avec l’Occident, tout au moins à mon goût. Mme Susan D. Macabuag, qui est responsable de Bantayog ng mga Bayani (le monument des héros), un hommage aux héros et martyrs de la loi martiale, est une personne que j’ai rencontrée plusieurs fois et qui ne cache pas son antipathie envers le président :

« C’est dommage que ce soit Duterte qui dise ce qu’il dit à propos des USA … si c’était dit par une autre personne, cela ferait du chemin. »

Elle a fait ensuite plusieurs déclarations illustrant son aversion pour la Chine. Plus tard, elle a ajouté :

« Mon fils vit aux Etats-unis. Nous sommes nombreux à avoir de la famille aux Etats-unis. Nous sommes très préoccupés par la situation. »

Pendant un certain temps, j’ai tenté de comprendre ce qu’elle voulait dire exactement, mais j’ai vite abandonné.

Dans une librairie intellectuelle, petite mais notoire, Solidaridad, j’ai rencontré le romancier le plus respecté des Philippines, F. Sionil José, qui vient de fêter son 92e anniversaire. Nous avons parlé un moment de la Russie, de l’Indonésie et de la littérature moderne. Puis, je lui ai demandé à brûle-pourpoint : « Aimez-vous le président Duterte ? »

« Je l’aime et je ne l’aime pas », m’a répondu cet auteur accompli, évasivement et avec le sourire. « Mais il faut bien dire qu’il est narcissique. »

Mme Leni Robredo, la vice-présidente de Duterte (et ancienne député et juriste des droits humains) déteste son chef. Constitutionnellement, il ne pouvait pas la congédier en tant que vice-présidente, il l’a donc au moins empêchée d’assister aux réunions de son cabinet début décembre (il n’a plus confiance en elle, il pense que son parti tente de le destituer). Plus tard, elle a démissionné de son poste de présidente du conseil de coordination du développement urbain et du logement (HUDCC) et a entrepris de rassembler des forces contre le gouvernement de Duterte.

« Nous sommes si nombreux à nous opposer à la politique du président. J’espère pouvoir unifier toutes les voix discordantes », a dit Robredo à Reuters dans une interview à son bureau de Manille-Quezon.

Mme Robredo est une personnalité importante au sein du parti libéral ‘jaune’. Dès le 13 septembre 2016, Inquirer rapportait :

« Sans mentionner directement le LP (Liberal Parti), Duterte a accusé lundi les forces ‘jaunes’ de se mobiliser pour le destituer en montant en épingle la question des violations des droits humains sous son gouvernement. 

‘Ne fuyons pas les évidences. Savez-vous qui est derrière tout ceci ? C’est le jaune’, a dit le président, faisant allusion à la couleur politique du LP. »

Le 5 décembre, j’ai rencontré l’historien Dr Reynaldo Ileto à Manille, qui a dit : « Léni applique la même politique (que l’Ouest) sur le Sud de la mer de Chine… »

Nous avons parlé des ‘révolutions colorées’ déclenchées par les Occidentaux, et du modèle Ukraine, Brésil, Argentine et Arroyo aux Philippines après qu’elle ait osé se rapprocher de la Chine. Robredo va-t-elle tenter de faire à Duerte ce que Temer a fait à Dilma ?Va-t-il y avoir une nouvelle ‘révolution’ au nom de quelque ‘action anti-corruption’ ou pour les ‘droits humains’ ?

Des dynasties et de puissants clans politiciens ou d’affaires haïssent aussi le président Duterte. Evidemment qu’ils le haïssent ! J’ai eu par le passé l’opportunité de les connaître, d’approcher certains d’entre eux de près. J’ai vu comment ils opèrent : sans pudeur, brutalement et dans une totale impunité.

Les dynasties ont tué et violenté ceux qui leur faisaient obstacle. Ils ont pillé le pays pendant des siècles. Comme en Amérique centrale (l’héritage colonialiste espagnol et US), ils n’ont jamais hésité à sacrifier des milliers de ‘peons’.

Le sommet de la hiérarchie militaire, éduqué aux Etats-unis et ailleurs en Occident, le déteste. En fait, il le déteste passionnément.

Il est haï par des millions de Philippins vivant aux Etats-unis. Il doit être très prudent lorsqu’il traite avec certains d’entre eux. Récemment, dans la ville de Davao, le président Duterte a déclaré :

« Il vaut mieux être prudent avec les expressions ‘nous nous séparons’ ou ‘nous coupons nos relations diplomatiques’. (Ce n’est) pas faisable. Pourquoi ? Parce que les Philippins des Etats-unis me tueraient. »

De fait, il est tellement haï par les ‘élites’ et par l’Occident que cela semble un miracle qu’il soit encore en vie et aux commandes.

Les conspirations en vue d’un coup d’état ont été démasquées. L’appareil de propagande occidentale a fonctionné à plei régime dans le but de l’affaiblir et le discréditer.

Il s’en moque. Il a maintenant 71 ans. Il est en mauvaise santé. Il ne croit pas pouvoir tenir jusqu’à la fin de son mandat. C’est un guerrier. Il ne s’est jamais mis à genoux devant les colonisateurs du passé ni du présent. Il a dit récemment :

« Je ne m’agenouille devant personne, si ce n’est le Philippin miséreux de Quiapo qui marche dans la colère et la pauvreté extrême. »

C’est ce que Chavez, Morales ou Fidel pourraient dire. C’est ce qui fait que les gens sont assassinés par l’empire, par le régime occidental. C’est aussi simple que cela !

***

L’empire sait ce qui est en jeu. Les Philippines sont une nation de plus de 100 millions d’habitants, située stratégiquement au confluent de routes maritimes parmi les plus importantes du monde. Une nation qui était parmi les plus obéissantes et résignées de l’Asie-Pacifique.

Elle ne l’est plus ! Son peuple s’est soudain réveillé, plein de défi et de colère. L’Occident a tué, pillé et humilié ce peuple durant des siècles. L’éducation était façonnée pour glorifier les envahisseurs. La culture était dépouillée de son essence et perfusée de doses mortelles de pop Occidentale.

Très souvent, on m’a dit que si le président Duterte était tué ou déchu, le pays exploserait. Il y aurait une guerre civile. Et si la rébellion allume des millions d’âmes, le retour en arrière ne sera plus possible.

Au cas où quelqu’un ne l’aurait pas encore remarqué, il s’agit d’une authentique révolution. C’est une révolution extrêmement lente et douloureuse. Ce n’est ni une ‘belle’ révolution ni une révolution d’opérette. Mais c’est quand même une révolution.

«  Si Duterte avance trop vite, il sera renversé par l’armée », a affirmé le professeur Roland Simbulan.

Duterte dit « Bye-bye, l’Amérique ! » Il annule des exercices militaires conjoints, tout en conversant poliment avec Donald Trump. L’atmosphère est extrêmement tendue. Il pourrait arriver n’importe quoi n’importe quand : un assassinat, un coup d’état … c’est un champ de mine, tout autour du président, jusque sous ses pieds ou presque.

Il en est parfaitement conscient. C’est comme cela qu’on écrit l’Histoire ; avec son sang, avec son propre sang.

Ce que nous voyons à Manille, en ce moment, ce n’est pas la réunion du conseil d’administration de quelque ONG humanitaire sponsorisée par l’Occident. C’est l’apparition tambour battant d’une grande nation, blessée, torturée, se levant de son lit de mort, encore couverte de sang et de pus, mais soudain ayant l’audace d’espérer survivre, pleine de colère et de défi mais déterminée à vivre, a vaincre.

Si elle veut vivre, il lui faudra oser et se battre, envers et contre tout.

Au cœur des cimetières sordides habités par les êtres les plus misérables, j’ai été témoin de l’espérance. Je le certifie. Ceux qui ne me croient pas, ceux qui ne comprennent pas, devraient aller voir de leurs propres yeux. Ils devraient aller dans le bidonville abject de Baseco, et dans la ville de Davao. Alors seulement ils pourront parler. Jusque là, qu’ils restent cois !

Je peux témoigner que les Philippines sont un pays en rébellion, galvanisé par un homme, son énorme détermination et son incroyable courage.

Est-il un saint ? Non. Il dit lui-même qu’il n’en est pas un. De toute façon, je ne crois pas aux saints, et vous ? Duterte ne peut pas se permettre d’être un saint. Il y a plus de 100 millions d’hommes, femmes et enfants derrière lui, accrochés dans son dos, en ce moment … la plupart d’entre eux très pauvres, la plupart démunis d’absolument tout.

S’il traverse la tempête, la plupart d’entre eux survivront et auront une vie meilleure. C’est pourquoi, épuisé et blessé, il continue d’avancer. Il serre les poings, il jure. Il n’a pas le droit d’échouer ni le droit de tomber. Il doit, il est obligé de passer. Au nom de son peuple de cent millions d’âmes.

Alors qu’il entend les insultes, sent pleuvoir les coups, imagine les assassins l’attendant à chaque tournant, il se répète vraisemblablement ce que son grand héros Hugo Chavez a clamé jusqu’au bout : «  Ici personne ne se rend ! »*

 

* « Nadie se rinde Aqui ! » (NDT)

 

*****

André Vltchek est un philosophe, écrivain, réalisateur et journaliste d’investigation. Il a couvert guerres et conflits dans une douzaine de pays. Trois de ses derniers livres sont : un roman révolutionnaire, “Aurora” et deux best-sellers de politique-fiction : Exposing Lies Of The Empire et Fighting Against Western Imperialism. André fait des films pour teleSUR et Al-Mayadeen. Voir Rwanda Gambit, son documentaire incendiaire sur le Rwanda et la RD du Congo. Après avoir vécu en Amérique latine, en Afrique et en Océanie, Vltchek reside à présent en Asie Orientale et au moyen Orient, tout en continuant à voyager et travailler autour du monde. On peut le contacter sur son website et son Twitter. (liens à la fin de l’article original)

 

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