Offensive turque en Syrie : vers une fin de partie ?

La Turquie fait une avancée décisive contre les combattants kurdes à la frontière syrienne.

 

Le 20 janvier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé le début d’opérations militaires menées par les forces turques aux cotes de l’armée syrienne libre dans la ville syrienne d’Afrin, qui devrait se poursuivre avec une poussée à Manbij. L’aviation militaire turque bombarde ainsi la ville pendant que les forces turques et leurs alliés franchissent la frontière.

 

La Turquie menace depuis longtemps d’entrer en Syrie afin d’éliminer les troupes des Forces Démocratiques Syriennes (Syrian Democratic Forces, SDF) soutenues par les États-Unis. Il faut rappeler que les SDF ont vu leur création en 2015 par les diverses forces politiques kurdes syriennes et leurs branches militaires, les Unités de Protection du Peuple (en kurde YPG), et les Unités de Protection de la Femme (YPJ).

Les Kurdes syriens ont pris la décision politique qu’ils ne seront pas capables d’affronter correctement l’“État Islamique” (EI) en Syrie du Nord sans une alliance avec d’autres minorités ethniques, (notamment les Assyriens) – et avec les principales tribus sunnites dans la région, en l’occurrence les Shammars.

Les SDF ont été créé comme une plate-forme pour donner aux kurdes syriens la possibilité de se joindre à ces autres groupes dans une alliance militaire anti-“État Islamique”. Mais, du point de vue des Turcs, il a toujours été évident que les SDF sont dominés par les Kurdes syriens et de ce fait il s’agit d’un projet essentiellement kurde.

 

Le cœur du conflit

 

La guerre pour vaincre l’“État Islamique” à Raqqa, la principale ville du nord de la Syrie, n’aurait pas pu se faire par les Etats-Unis et la Russie et leurs divers alliés entièrement à partir de l’air. Cela demandait la présence d’un partenaire au sol. L’armée turque n’était pas dispose à entrer en Syrie pour combattre l’EI.

L’armée Syrienne Arabe était déjà engagée dans des opérations dans l’ouest et le sud de la Syrie, et donc n’avait pas de troupes pour avancer vers Raqqa. Raison pour laquelle le gouvernement américain a conclu un accord avec les SDF pour lui fournir un support aérien lorsque les SDF ont franchi la frontière turco-syrienne.

Les SDF, avec ledit support aérien, ont mis en déroute l’EI a Raqqa en mi-octobre 2017. Les hautes instances kurde-syriennes ont donc suggéré à cet effet que la population de Raqqa puisse se joindre à la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie, plus connue sous le nom de Rojova.

Le terme “Rojova” révèle ce qui est au cœur du conflit. Il signifie “Kurdistan occidental” et affirme les ambitions de la population kurde envers la région ainsi que pour un futur Etat Kurde indépendant qui serait composé de territoires en Irak (Kurdistan oriental) et en Turquie (Kurdistan du Nord).

La tentative par les Kurdes irakiens en 2017 de déclarer leur indépendance a été coupée court pour le moment par l’intervention armée de l’armée irakienne dans la région autonome kurde. La tentative des Kurdes syriens de construire une région autonome similaire à la frontière turco-syrienne a causé une levée de bouclier à Ankara.

La Turquie voit toutes ambitions d’autodétermination kurde comme une abomination. Ankara a déclaré l’instrument de ces ambitions en Turquie, le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK), organisation terroriste. La guerre contre les Kurdes turques se poursuit dans le sud-est de la Turquie, avec des couvre-feux dans les villes kurdes et avec les partis politiques kurdes effectivement interdits. La guerre contre le PKK s’est étendue en Irak et en Syrie, où les forces aériennes turques bombardent de façon régulière les camps du PKK et ses affiliés.

 

Pour compliquer les choses, c’est le PKK qui a aidé les Kurdes syriens dans la création du YPG, qui fut à la base du SDF. Les États-Unis, à la suite de la Turquie, leur partenaire dans l’OTAN, avait déclaré le PKK comme organisation terroriste. Mais, confronté par l’absence de troupes au sol en Syrie, les États-Unis se sont alliés avec les SDF dans la guerre contre l’EI.

La Turquie, à cette époque, rumina sans pour autant agir pour arrêter l’alliance, les Etats-Unis ayant peu de choix. Mais maintenant, avec l’EI largement vaincu et avec les américains comme allié inconsistant aux Kurdes syriens, les forces armées turques ont pris l’initiative.

 

Abandon

 

La Turquie n’a pas agi seule, au vu des assurances recherchées par Mr Erdogan chez tous les principaux acteurs du nord de la Syrie, pour envoyer ses troupes. Les Etats-Unis ont trahi leurs alliés kurdes syriens lorsque le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, a déclaré que les États-Unis ne ferait aucune proposition sur la formation d’une force frontalière permanente dans le Nord sous la gestion des SDF.

 

Les Russes se sont retirés de la région puisque l’armée syrienne arabe, dépendant des russes, a donné l’assurance qu’elle ne s’opposerait pas à l’invasion turque. Il ne reste donc personne pour stopper l’entrée des turques en Syrie et personne pour fournir de l’aide aux Kurdes syriens. L’aviation de combat turque continue ainsi de bombarder les positions du SDF sans obstacles, ne laissant ainsi aucune chance aux kurdes syriens.

 

Les chars d’assauts turcs se sont rapidement déplacés à travers les districts de Shera et de Sherawa d’Afrin, avec les combattants du YPG et du YPJ faisant de leur mieux pour résister à l’assaut terrestre. La domination totale de l’aviation de combat turque sur ces villes frontalières donnera un très certain avantage décisif contre les Kurdes syriens.

 

Les protestations en Turquie contre cette intervention auront très peu d’impact, de même qu’il n’y aura personne avec la volonté de se rendre aux Nations Unies pour demander à la Turquie de cesser sa guerre.

 

Traduit de l’anglais par Tamarvlad pour Investig’Action

Source : The Hindu

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