« Nich a Poulbwa » : la Guadeloupe, un peuple en sursis

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
En Guadeloupe, tout nouvel arrivant français a un statut. S’il n’était rien d’important dans sa France natale profonde, ici, il devient quelqu’un. Il bénéficie de privilèges. Il est de la même origine que les maîtres de l’île. Même s’il est arrivé les poches vides, il pourra espérer vivre confortablement, ainsi que le veut son statut de « métropolitain ».

 

Il en va tout autrement pour le Nègre guadeloupéen. Son lot, au contraire, est fait chez lui de discriminations qui, pour être sournoises, tacites, n’en sont pas moins bien réelles et préjudiciables pour lui.

Des organismes d’état bien connus : la DDE (direction départementale de l’équipement), la DASS (direction de l’action sanitaire et sociale), la DAF (direction de l’agriculture et de la forêt), l’ONF (office national des forêts)… réservent leurs postes de cadres supérieurs aux Blancs. Qu’on me permette cette brève anecdote, en guise d’illustration. Deux anciens étudiants se rencontrent en Guadeloupe, l’une européenne, l’autre « autochtone », mais tous les deux ingénieurs (même promotion-même diplôme).

Après l’échange d’usage sur leur passé commun à l’université, l’autochtone fait part de ses difficultés à trouver du travail, à se faire recruter sur place, notamment à la DDE, où il a postulé. Et l’autre, très gênée, de lui apprendre, qu’elle a eu vite fait de trouver un emploi et justement…à la DDE. Pour cette fois, l’histoire se termine bien. L’ « autochtone » nègre a fini par s’y faire embaucher, grâce au soutien de sa camarade blanche. De tels exemples sont légion.

Ainsi, il m’a été rapporté que dans certaines banques, les cadres recevaient comme consigne officieuse –verbale, non écrite- de faciliter l’accès pour les prêts aux blancs nouvellement arrivés. La CCI même, un organe de développement économique prétendument local, fait venir et embauche des cadres blancs, refusant obstinément de placer des noirs à ces postes.

Un certain ministre des DOMTOM n’a pas manqué de reconnaître que la discrimination sévissait, en Guadeloupe, que dans la zone industrielle de Jarry, les Blancs travaillaient dans les bureaux climatisés, à l’étage supérieur, pendant que les nègres, affectés aux tâches subalternes, au rez-de-chaussée, s’échinaient sans même un ventilateur pour se rafraîchir. C’était en 2009, dans le cadre du grand mouvement populaire que l’on sait.

Un Président de la République, en personne, a dû concéder publiquement, que des injustices flagrantes perduraient…

Mais que s’est-il passé depuis ? Des ministres de l’Outre-mer au teint plus coloré. Mais encore ?
La discrimination n’est pas absente de nos hôpitaux… Les infirmières et médecins blancs s’affolent et courent dans tous les sens, dès qu’on leur amène un petit blanc. Par contre, j’ai eu, dernièrement, connaissance de la mort d’un bébé nègre haïtien, mort après une nuit de souffrance. L’urgentiste (blanc) de garde ne s’était pas vraiment soucié de lui, malgré l’insistance d’une infirmière (noire) présente à ce moment-là. La mère, éplorée et digne, n’a pas voulu porter plainte. Sans doute, parce qu’elle a déjà intériorisée la souffrance et la mort, comme inévitables, dans son cheminement…

Il en va de même en matière de sécurité. En Guadeloupe, les gendarmes se comportent comme une force d’occupation. Conscients de leur position de dominants, ils privilégient l’aide apportée à leurs semblables blancs. Au moindre appel, ils se hâteront de se rendre sur les lieux. Pour les Noirs, en revanche, la plupart du temps, ils ne se déplaceront qu’en cas de circonstance grave avérée. Naturellement, en cas de mouvement de population, comme en 2009, des troupes « fraîches » appelées en renfort, auront tôt fait de débarquer, et d’arriver à la rescousse.

Ne parlons même pas des banques ! Il est depuis longtemps de notoriété publique qu’en Guadeloupe, l’accès à l’emprunt est pour le Noir un parcours d’obstacles. Si c’est pour le futile, l’éphémère (voitures, biens de consommation), passe encore : en veux-tu, en voilà. Mais un Noir a-t-il l’outrecuidance de vouloir monter une affaire rentable, qui lui permette de prospérer, toutes sortes de difficultés se dressent tout à coup devant lui. Et si, par bonheur, il arrive, malgré tout, à faire démarrer son activité, tout sera fait pour le décourager. En particulier s’il risque de concurrencer les « poul’bwa ».

Quant à la téléphonie mobile et à l’Internet, pour l’essentiel, les mêmes en ont hérité, et fidèles à leurs habitudes, ils nous font payer très cher : de deux à trois fois les tarifs pratiqués en France, en toute légalité, et en toute impunité.

Ce « rapport de forces » au détriment du Noir facilite la manifestation de plus en plus arrogante d’un racisme « décomplexé ».

Ainsi, le moindre « va nu pieds », arrivé sans le sou, du fait de son appartenance ethnique lui donnant un statut de dominant, tout surpris au tout début de sa position inespérée, prend de l’assurance, pour ensuite prospérer et devenir arrogant et méprisant, à l’égard de ces nègres « paresseux et incompétents » qui ne méritent pas ce beau pays, dans lequel ils vivent.

Et, très rapidement, ils peuvent déclamer leurs « vérités générales » à la cantonade, dans ces milieux desquels ils ne sortent jamais, et qui se résument à des aller et retours répétitifs entre la mer, la plage, le bateau, le tennis. Tout ceci ponctué parfois par de parties de sexe, de fumette, voire de consommation de poudre blanche…

« D’ailleurs, ce pays est une partie de la France. On est en France, ici. …»

« Les représentants des forces de l’ordre sont blancs… les cadres supérieurs sont blancs… la zone industrielle de Jarry est quasiment blanche… les propriétaires des distilleries sont blancs… ainsi que les usiniers… la Marina de Pointe-à-Pitre est blanche, ainsi que celle de Rivière-Sens à Basse-Terre… les commerces importants sont blancs…

« Tout ce que les gens d’ici savent faire, c’est s’acheter de belles voitures à crédit… danser dans les boîtes de nuit jusqu’à cinq heures du matin… s’acheter des vêtements qu’ils pensent être chics, et se jeter comme des « morts de faim » sur tout ce qui vient d’ailleurs, sans réflexion et sans discernement… »

« C’est tout de même un comble pour eux, se faire coloniser par les « nègres d’Haïti », les plus pauvres au monde… les plus méprisés par les guadeloupéens eux-mêmes… »

Ce discours, bien évidemment, est ponctué d’éclats de rire stridents. Car, à leurs yeux, nous ne sommes que des plaisantins, des insignifiants.

Les nouveaux arrivants se comportent selon les stéréotypes les plus anciens, les plus archaïques. Comme si le temps s’était figé. Comme si l’Homme n’avait aucunement progressé. Comme si, d’une certaine manière, il était demeuré à l’âge de pierre. Le fantasme colonial est toujours présent dans les têtes. Il s’exprime par l’affirmation d’une supériorité incontestable et incontestée, qui détient de façon légitime et naturelle, le pouvoir économique, les postes à responsabilité dans les administrations, l’esprit d’entreprise, l’aptitude à commander, diriger, gérer…

En y réfléchissant, on se rend compte que tout ce mode de penser et de faire rétrograde est lié, d’une façon ou d’une autre, au désir de posséder. S’étendre. Se répandre. Par conséquent, il est tout simplement dicté par la cupidité.

Le plus révoltant est, pour reprendre une expression anglaise, que l’injure s’ajoute à l’insulte. Tout est fait par ceux qui nous dominent pour saper notre estime de soi, enfoncer dans nos têtes une image négative de nous-mêmes. On en veut pour exemple cette série télévisée locale, « La baie des flamboyants ».

C’est l’archétype d’une stratégie qui conduit le Noir à s’auto-dénigrer et à douter de sa beauté. Il s’agit ni plus ni moins que d’une lamentable entreprise de déstructuration mentale, qui met en vedette des blancs et des mulâtres, servis par des domestiques nègres.

La médiocrité de ce produit ne mérite pas qu’on s’y attarde. Mais il faut souligner la nocivité des procédés qu’elle illustre, à savoir, par exemple, la recherche délibérée d’acteurs métis… Ne faudrait-il pas que nos compatriotes clairs (« chaben », « chabin », mulâtres, mulâtresses, câpres, câpresses, et autres nègres rouges), cessent de se laisser berner, et de faire le jeu de la division ?

A l’origine de ces stratégies, il y a encore la cupidité : la vente des produits de dépigmentation de la peau, le commerce de toutes les futilités liées à la mise en valeur du canon dominant. Privilégier un type de corps, un groupe ethnique, en particulier, c’est faire injure à toute la richesse de la diversité des autres femmes, c’est faire injure à la beauté.

Avec les « poul’bwa », ce pays va se transformer en baril d’explosifs !

Je suis ulcéré.

Ulcéré de voir que « la croisière s’amuse », alors que notre bateau est sur le point de sombrer, de disparaître. Outré de cette inconscience qui fait de nous des victimes non seulement consentantes, mais parfois complices de leur prédateur.

A ce stade, j’éprouve le besoin d’appeler à la rescousse Léon-Gontran Damas, de citer ces vers de Pigments : « Ils ont si bien su faire les choses / si bien su faire les choses / les choses / qu’un jour nous avons tout / nous avons tout foutu de nous-mêmes / tout foutu de nous-mêmes en l’air ». Damas le dit dans un poème qui s’intitule « Ils ont ». Un texte qui s’applique admirablement aux « poulbwa ». Un texte qui nous parle aussi et surtout de notre propre indignité. Une indignité dont seules les formes ont changé, mais qui demeure.

Notre indignité a aujourd’hui le visage de cette multitude, vorace de friandises, qui se rue à trois heures du matin, bébé sur les bras, dans le plus grand hypermarché de l’archipel pour arracher quelques promotions de fin d’année.

Notre indignité a aujourd’hui le visage de ces « élites » qui se vautrent dans le confort et n’adorent que l’argent, de ces hommes et femmes politiques qui nous étourdissent par leur volte-face et leur course aux mandats. Tandis que les « poul’bwa », se gardant de se montrer au grand jour, tapis dans l’ombre, se réjouissent de ce triste spectacle.

Combien de temps encore comptons-nous prolonger ce sommeil léthargique ?

 

Source : extrait de l’ouvrage “Nich a Poulbwa” – La Guadeloupe, un peuple en sursis (Editions Nestor)

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